Les jeunes pousses du spatial français déploient leurs ailes

Les jeunes pousses du spatial français déploient leurs ailes Les entrepreneurs hexagonaux sont de plus en plus nombreux à tenter l'aventure spatiale, et l'Etat est désormais prêt à soutenir cette industrie.

Longtemps, l'espace a été la chasse gardée des Etats. Puis, au cours des années 2000, avec le succès de SpaceX, il a commencé à devenir un marché viable pour les entreprises privées. Celles-ci étaient toutefois, jusqu'à une époque très récente, principalement de puissantes sociétés américaines, profitant de leurs liens avec la Nasa. Mais depuis quelques années, un écosystème de jeunes pousses spatiales commence à voir le jour dans l'Hexagone.

En témoigne, en février dernier, l'initiative lancée par Bruno Le Maire pour structurer l'écosystème spatial français. Le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance a confié à sept jeunes pousses hexagonales la mission de consulter, représenter et structurer l'écosystème des start-ups et acteurs émergents du spatial français. "Nous aurons un SpaceX en 2026", s'est même emballé le ministre en décembre dernier, lors d'un déplacement sur le site de Vernon où sont testés les moteurs de la fusée Ariane.

"L'ouverture du spatial à une économie de marché est de plus en plus ancrée dans les esprits. Il y a toute une nouvelle génération de start-up qui se lance, tout un écosystème qui se structure", affirme pour sa part, enthousiaste, mais plus raisonnable, Jean-Luc Maria, cofondateur et PDG d'Exotrail, l'une des sept jeunes pousses sélectionnées par Bruno Le Maire.

Un minivan pour satellites

Lancée en 2017, Exotrail ambitionne de devenir un véritable prestataire logistique pour l'industrie spatiale, avec une formule exhaustive destinée aux entreprises souhaitant mettre une flotte de petits satellites en orbite. Elle conçoit ainsi une solution logicielle qui permet de définir à l'avance les besoins des satellites en fonction de l'objectif commercial visé : combien d'appareils utiliser pour obtenir une résolution d'image donnée, à quel endroit et altitude les placer autour de la terre, combien de fusées seront nécessaires pour les mettre en orbite, etc.

Ensuite, en plus de proposer un système de propulsion individuelle pour les satellites dans l'espace, la jeune pousse développe également un SpaceVan, une sorte de minibus spatial visant à permettre à un petit groupe de satellites de rejoindre leur position exacte après avoir été mis en orbite par un lanceur. "C'est la dernière brique pour complètement automatiser la gestion d'une constellation de satellites", résume Jean-Luc Maria. Début avril, Exotrail a annoncé que son SpaceVan serait mis en orbite en 2023 à bord d'une fusée SpaceX.

Ailes solaires et mini-écosystèmes portatifs

En 2015, lorsque Jean-Luc Maria a commencé à travailler sur ce qui allait devenir Exotrail, ses homologues se comptaient sur les doigts de la main. Mais depuis, elles se multiplient à toute vitesse. "En ce moment, une start-up se crée chaque semaine dans le spatial en France", note Barbara Belvisi, fondatrice et dirigeante d'Interstellar Labs. Cette jeune pousse fabrique des dômes dotés de leur propre écosystème, avec contrôle de la lumière, de la température, du CO2, de l'humidité, ainsi que le recyclage de l'eau, une approche régénérative permettant de faire pousser des plantes dans n'importe quel environnement, que ce soit dans le désert, en Antarctique, dans l'espace ou sur Mars.

Citons encore Gama, qui a récemment levé deux millions d'euros auprès du Centre national d'études spatiales (CNES), de Bpifrance et d'entrepreneurs privés pour son système qui vise à faire se mouvoir les vaisseaux dans l'espace à l'aide d'une voile utilisant la lumière du soleil comme source d'énergie. Ou encore Kineis, seule jeune pousse du spatial français à avoir à ce jour réalisé une méga-levée de fonds.

En 2020, la start-up a en effet levé 100 millions d'euros auprès de plusieurs investisseurs publics et privés pour financer son projet de constellations de satellites dédiées à l'internet des objets. "Des transports à l'énergie en passant par la logistique et le fret maritime, nous avions repéré plusieurs marchés où s'exprimait un fort besoin d'utiliser des objets connectés en dehors des zones couvertes par les réseaux terrestres, soit environ 85% de la surface du globe. Il fallait pour cela une constellation souveraine et spécialisée, que nous avons décidé de mettre en place", raconte Juliette Reitzer, responsable de la communication de la jeune pousse.

Un écosystème en train de se structurer

Certes, l'écosystème français ne compte encore aucune licorne, et la capacité à trouver des financements demeure bien inférieure à ce qu'elle est aux Etats-Unis. Après avoir tenté, en vain, d'éveiller l'intérêt des acteurs du spatial et des investisseurs en France et en Europe, Barbara Belvisi a ainsi fini par démarrer sa start-up à Los Angeles, ce qui lui a permis d'obtenir le tremplin nécessaire pour se lancer ensuite dans l'Hexagone. "Je suis revenue avec des anciens de la Nasa et de SpaceX, et le projet a tout de suite été pris plus au sérieux, j'ai pu être mise en contact avec le Cnes et les choses se sont accélérées",  résume l'entrepreneuse. Si ses locaux sont désormais situés à Ivry-sur-Seine, son équipe est franco-américaine et elle conserve un pied aux Etats-Unis : c'est ainsi depuis un café à Los Angeles qu'elle s'entretient avec nous.

Les choses sont toutefois en train de bouger. L'écosystème français se structure, et des initiatives pour financer cette industrie bourgeonnante commencent à apparaître, comme CosmiCapital, ou encore Expansion, un fonds d'investissement dédié au spatial récemment né des efforts combinés d'Audacia, fonds de Charles Beigbeder, et Starbust, accélérateur spécialisé dans l'espace, lancé à Paris par François Chopard en 2012 et comptant des antennes un peu partout dans le monde.

Vers l'infini et au-delà

Si l'industrie spatiale privée américaine a pu connaître un tel développement, ce n'est pas seulement grâce aux argentiers de la Silicon Valley, mais aussi et surtout grâce à la commande publique de la Nasa, qui a très tôt fait le choix de développer des synergies avec des acteurs privés innovants. "La Nasa a compris de longue date que le développement de nouvelles technologies spatiales, la création de nouvelles stations orbitales ou encore l'organisation d'un voyage sur mars ne pourraient se faire que via une coopération entre public et privé. Ils ont enclenché cette stratégie dès 2005, avec le programme COTS, qui a lancé SpaceX. Ils ont ainsi fait le choix de devenir les clients de certaines sociétés privées, et ça a permis à toute une industrie d'émerger. Le Cnes en a pris bonne note et s'efforce aujourd'hui de répliquer cette stratégie, surtout depuis l'arrivée de Philippe Baptiste à sa tête", analyse Barbara Belvisi. 

L'entrepreneuse en est convaincue : avec une bonne stratégie, la France a toutes les cartes en main pour développer une industrie spatiale compétitive. "Le pays compte un grand nombre d'ingénieurs talentueux, dont beaucoup veulent travailler dans ce domaine. Il manque simplement le soutien d'une agence. Il faut que le Cnes participe via des financements, des fonds d'investissement, mais aussi des contrats avec les start-up." Autre signe que les choses sont en train de bouger : le plan France 2030 prévoit 1,5 milliard d'euros pour le spatial, dont deux tiers pour les acteurs émergents. De quoi donner un coup de pouce aux jeunes têtes blondes tentées par l'exploration du cosmos.