Jean-Marc Stenger (Société Générale-Forge) "Société Générale-Forge lance son stablecoin euro pour satisfaire l'appétit de la clientèle institutionnelle"

Société Générale-Forge a annoncé ce jeudi 20 avril, jour du vote de la réglementation MiCA au Parlement européen, le déploiement de son stablecoin adossé à l'euro, Coinvertible ou EURCV. Son directeur général explique au JDN les enjeux autour de ce produit.

Jean-Marc Stenger, directeur général de Société Générale-Forge. © Michel Labelle

JDN. Quelle est la vocation de ce stablecoin EURCV ?

Jean-Marc Stenger. L'activité de Société Générale Forge est de déployer des titres financiers pour les clients du groupe Société Générale de façon nativement numérique, au format token sur blockchain. Nos activités historiques tournent autour des security tokens (des titres financiers sur blockchain, ndlr). Quand on émet ce type de jeton, se pose toujours la question de son règlement. Si nous avons le titre financier et le paiement sur blockchain, cela simplifie tout : cela signifie un règlement atomique, c'est-à-dire le paiement et la livraison du produit simultanément, de façon beaucoup plus sécurisée et immédiate. C'est un besoin récurrent.

Nous avons vu qu'il y avait un appétit de la clientèle institutionnelle pour utiliser cet instrument, soit comme outil de règlement, soit comme un outil de gestion de trésorerie on chain ou comme réserve de valeur. Ce sont les trois cas d'usage principaux, avec une typologie de clients différente. Il y avait un timing intéressant à saisir. Si l'on ajoute les turpitudes qu'ont présentées les autres stablecoins existants sur le marché, avec une structure qui diffère de nos standards opérationnels, Société Générale Forge a compris qu'elle disposait de l'ensemble des briques technologiques pour créer un stablecoin. 

Dix millions d'euros de ce jeton EURCV ont été émis. Peut-on s'attendre à de futures émissions ?

Nous avons lancé le produit avec une première souscription : sa promotion débute tout juste. Nous avons d'ores et déjà amorcé des discussions avec certains de nos clients institutionnels, avec des acteurs natifs de l'écosystème crypto, des échanges et brokers en recherche de solution alternative aux stablecoins existants, dont nombre de paramètres pourraient être améliorés, que ce soit en termes de sécurité d'opération et de transparence sur la réserve de collatéral. On espère donc voir une partie du marché se tourner vers ce produit. 

Si ce produit est destiné sur le marché primaire à des clients ayant passé les procédures de conformité de Société Générale Forge, sera-t-il également disponible sur le marché secondaire à une clientèle de particuliers ?

Le primaire et le secondaire sont toujours deux dynamiques de marché très différentes. C'est vrai que sur le marché crypto, il y a une très forte proportion de clients retail. Mais ce produit, du fait des restrictions de commercialisation, ne leur est pas destiné. Nous ciblons une clientèle d'institutionnels déjà actifs sur ces produits et les marchés crypto, lesquels sont souvent déjà très structurés et intermédiés. 

Votre annonce tombe le jour du vote au Parlement européen des réglementations MiCA et TFR. MiCA exige une ségrégation entre les cryptoactifs et les fonds des clients. La procédure est déjà en place avec votre stablecoin. Aviez-vous le texte européen pour cadre de travail ?

Il y a eu évidemment différentes versions du MiCA qui ont circulé depuis plusieurs mois. Le produit a certes été lancé dans une enveloppe réglementaire de droit français mais pour autant, dans la structuration du produit, nous avons adopté une optique prospective qui nous met en ligne avec les attentes futures du marché. Il y a donc une ségrégation complète du patrimoine affecté à ce stablecoin, c'est pourquoi nous nous appuyons sur une fiducie, ou trust, indépendant de Société Générale et Société Générale Forge cette dissociation. 

"Nous allons probablement travailler sur une troisième blockchain d'ici la fin de l'année"

Vous avez choisi la blockchain Ethereum pour émettre ce stablecoin. Etait-ce un choix rendu évident par votre expérience acquise sur ce réseau ?

Nous sommes capables d'émettre sur plusieurs blockchains, nous nous voyons plutôt comme une couche applicative au-dessus du protocole blockchain sous-jacent. Nous émettons selon les cas d'usage sur différents réseaux : nous avons certes beaucoup travaillé sur Ethereum, on a aussi émis sur Tezos et nous allons probablement travailler sur une troisième blockchain d'ici la fin de l'année. Dans ce cas présent, Ethereum nous a semblé assez logique pour démarrer. 

L'annonce lors de la Paris Blockchain Week de l'installation à Paris de Circle, émetteur du stablecoin USDC, a fait grand bruit. Votre produit Coinvertible est-il une réaction à cette concurrence américaine ?

Non, nous restons une banque donc lorsqu'on se lance dans un projet, ce n'est jamais en raison d'une réaction à chaud. Nous avons commencé à travailler sur ce projet à la fin de l'été 2022. Il s'agit vraiment d'une réponse aux besoins de la clientèle institutionnelle du groupe.

En ce qui concerne les security tokens au cœur de l'activité de SG-Forge, plus de 300 millions d'euros de jetons numériques ont été traités par votre société au cours de l'année 2022. Quelles sont vos attentes pour cette année ?

On espère des volumes en hausse en 2023 mais pour nous, l'enjeu concerne davantage le nombre de clients avec lesquels nous réalisons des transactions. Il y a eu une phase de recherche et développement, une phase de test avec nos clients et là, nous rentrons dans une troisième phase d'industrialisation et de développement commercial. 

Combien de clients utilisent SG-Forge sur les activités de security tokens ?

Nous avons une quinzaine de clients actifs, qui sont des clients traditionnels de la banque : gestionnaires d'actifs, assurances, fonds de pension. Une clientèle classique de banque d'investissement. Avec le lancement du stablecoin, nous avons déjà lancé un certain nombre de procédures de KYC/AML (procédure de vérification d'identité et de conformité contre le blanchiment d'argent, ndlr) pour rendre éligible une clientèle nativement crypto et en recherche de services bancaires. 

Par définition, SG-Forge est un acteur proactif du secteur crypto. Il y a-t-il du bitcoin ou de l'ethereum dans votre trésorerie à des fins d'investissement ?

Non. Nous avons de l'ether et d'autres cryptoactifs car c'est évidemment nécessaire lorsqu'on déploie un smart contract ou que l'on réalise des transactions sur blockchain mais nous n'en avons pas comme réserve de trésorerie.