Pourquoi les cryptos connaissent un moment de grâce

Pourquoi les cryptos connaissent un moment de grâce Porté par un ensemble de régulations favorables mises en œuvre par l'administration Trump, mais aussi par la conjoncture économique, le marché des cryptos affiche une forme olympique. Une tendance partie pour durer ?

Les amateurs de cryptos ont de bonnes raisons de se réjouir. Les marchés des cryptomonnaies ont récemment atteint un niveau historique de 4 000 milliards de dollars en capitalisation. Les ETF bitcoin au comptant ont pour leur part enregistré la 1re semaine d'octobre 3,24 milliards de dollars de flux nets entrants, soit la deuxième plus grosse semaine jamais enregistrée, contribuant à propulser pour la première fois le prix de la plus célèbre des cryptomonnaies au-dessus de 126 000 dollars.

Ce mouvement n'est pas seulement porté par les particuliers, mais aussi par les entreprises : au premier semestre, celles-ci ont levé près de 86 milliards de dollars pour acheter du bitcoin et d'autres cryptos.

Le GENIUS Act pousse à l'adoption des stablecoins

Si le marché des cryptos, réputé pour sa volatilité, a toujours connu des phases de hausse et des phases de baisse, la conjoncture actuelle est due à une combinaison historique d'éléments positifs. En premier lieu, la politique du gouvernement américain, très favorable aux cryptomonnaies.

Durant sa campagne, Donald Trump a enchaîné les promesses en faveur de l'industrie afin de récolter les voix de ses adeptes, promettant notamment de faire de son pays "la capitale mondiale des cryptos". Depuis sa prise de pouvoir, il a nommé des personnalités pro-cryptos à des postes clefs et déployé un arsenal législatif visant à favoriser leur adoption.

Cet été, l'administration Trump a ainsi passé le GENIUS Act, une loi offrant un cadre légal aux entreprises souhaitant émettre des stablecoins, ces jetons dont la valeur est adossée à celle d'un autre actif, généralement le dollar américain. Le manque de règles claires et stables sur le long terme est de longue date un sujet de récrimination au sein de l'industrie américaine des cryptos, qui s'est régulièrement plainte de la politique déployée par Gary Gensler, le patron de la SEC sous l'administration Biden, jugée arbitraire et imprédictible.

Désormais, "la loi décrit clairement quelles entreprises peuvent émettre des stablecoins, comment leurs réserves doivent être gérées, quels sont les impératifs en matière de conformité, et comment les jetons peuvent être échangés contre des dollars", résume Hermine Wong, qui dirige un cabinet de conseil sur les cryptos et enseigne le sujet à l'Université de Californie à Berkeley. "Il s'agit d'une première étape importante dans la mise en place de garde-fous et de règles claires pour les stablecoins", ajoute-t-elle.

La loi a déjà eu son petit effet : Richard Teng, le patron de Binance, première place d'échange mondiale de cryptos, confiait récemment dans une interview que le GENIUS Act avait donné un coup de pouce important au marché des stablecoins. Début octobre, la capitalisation totale de ceux-ci a pour la première fois dépassé les 300 milliards de dollars, établissant un nouveau record.

Le début d'un cycle durable

Deux autres régulations mises en place par l'administration Trump dans le courant de l'été ont également eu un effet positif sur le marché des cryptos. La SEC, à la tête de laquelle Trump a nommé Paul Atkins, un fervent défenseur du secteur, a approuvé de nouvelles normes génériques de cotation pour les ETF cryptos. Ce cadre élimine notamment la nécessité de passer par un processus d'approbation au cas par cas, ce qui va permettre une accélération significative de la mise en place de nouveaux ETF cryptos, au-delà de Bitcoin et Ethereum.

Donald Trump a également signé un décret ouvrant la porte à l'inclusion des cryptoactifs dans le 401(k), un plan d'épargne-retraite parrainé par l'employeur très répandu aux Etats-Unis.

Mises bout à bout, ces mesures finissent par avoir un impact certain sur l'appétence du public pour les cryptos. "L'adoption institutionnelle a donné un sérieux coup de pouce aux marchés cryptos", confirme Brian Dobson, directeur de la recherche chez le spécialiste du courtage Clear Street. "Nous y voyons le début d'un cycle durable."

L'entrée des acteurs de la finance traditionnelle

Le marché des cryptos est par ailleurs dynamisé par l'arrivée d'acteurs de la finance traditionnelle, eux-mêmes incités et rassurés par l'adoption d'un cadre législatif aux Etats-Unis. Le hedge Fund BlackRock a ainsi lancé son propre fonds d'investissement dédié au bitcoin en 2024, peu après que la SEC a donné le feu vert aux ETF bitcoin.

Des fonds comme Capital Group, D1 Capital Partners, ainsi que la banque d'investissement Cantor Fitzgerald ont également récemment commencé à miser sur l'achat de cryptos.

Le Founder's Fund du milliardaire et investisseur Peter Thiel, soutien de Donald Trump, s'est pour sa part allié au spécialiste des cryptos Galaxy Digital pour financer l'achat de 250 millions de dollars d'ether par Bitmine Immersion Technologies, un spécialiste de la blockchain.

Une conjoncture économique favorable

Enfin, le marché des cryptos tire parti de la conjoncture économique, avec une baisse des taux d'intérêt programmée aux Etats-Unis suite au ralentissement du marché de l'emploi et à la stabilisation de l'inflation.

"Les investisseurs augmentent leurs paris sur une nouvelle baisse des taux d'intérêt par la Réserve fédérale lors de sa prochaine réunion du 29 octobre, suite à des données sur l'emploi américain plus faibles que prévu. Bien que le récent shutdown gouvernemental ait empêché la publication du rapport principal sur les créations d'emplois non agricoles, les chiffres ADP, qui mesurent les variations d'emplois dans le secteur privé, ont largement déjoué les prévisions, enregistrant une baisse de 32 000 emplois là où les analystes anticipaient une augmentation de 50 000", rappelle Simon Peters, analyste de marchés chez eToro. Lorsque les taux d'intérêt diminuent, les retours permis par les instruments traditionnels comme les livrets d'épargne ou les bons du Trésor baissent également, ce qui rend les alternatives plus risquées comme les cryptoactifs plus attrayantes pour les investisseurs.

Les cryptos, et en particulier le bitcoin, bénéficient également de la conjoncture économique incertaine : en effet, le bitcoin est de plus en plus perçu comme une valeur refuge, au même titre que l'or et l'argent, susceptible de servir de protection en période de forte volatilité des marchés.

Une tendance partie pour durer ?

Reste à déterminer à quel point cet état de grâce peut durer. Comme l'a récemment concédé Donald Trump Junior, le fils du président, lors d'un événement, les réformes procryptos mises en œuvre par l'actuel gouvernement pourraient être remises en cause par une future administration démocrate. C'est particulièrement vrai du décret signé par Trump cet été, qui en tant que décret n'a pas valeur de loi et peut être supprimé sur simple décision présidentielle, et des directives de la SEC, qui peuvent là encore être amenées à changer avec une nouvelle présidence moins favorable aux cryptomonnaies.

Sur l'histoire récente, les démocrates se sont montrés moins favorables aux cryptoactifs que les républicains, l'administration Biden ayant été vue comme particulièrement anticryptos. Le parti est toutefois en train de pivoter sur ces questions, et rien ne permet d'affirmer qu'une future administration démocrate serait nécessairement hostile aux cryptomonnaies, surtout si elles continuent d'être adoptées massivement et deviennent plus populaires aux yeux du public américain.

Une autre raison d'être raisonnablement optimiste sur l'évolution du marché est que les Etats-Unis ne sont pas les seuls à s'être dotés de régulations visant à encadrer les cryptos. En Europe, le règlement MiCA offre également un cadre clair et détaillé aux entreprises. Singapour, le Brésil, et les Emirats arabes unis, pour ne citer qu'eux, ont aussi mis en place un arsenal réglementaire. Si la volatilité des cryptoactifs ne va pas disparaître du jour au lendemain, leur adoption semble donc, elle, bel et bien en place de se démocratiser durablement.