Règlement MiCA : le parcours du combattant des entreprises
Le règlement européen MiCA est entré en vigueur en 2023, et son application effective s'est faite en deux vagues successives l'an dernier, le 30 juin puis le 30 décembre. Depuis lors, les entreprises sont dans une période transitoire, qui prendra fin le premier juillet 2026, date à laquelle elles devront avoir obtenu leur licence MiCA pour continuer à exercer dans l'Union européenne.
Fruit de plusieurs années de travail (l'idée d'un règlement européen sur les cryptoactifs a germé en 2018, suite à l'annonce du projet Libra de Facebook), cette réglementation a pour but d'unifier la régulation européenne autour des cryptos. Celle-ci était jusqu'à présent fragmentée entre les différents Etats, ce qui pouvait vite tourner au casse-tête juridique pour les entreprises souhaitant opérer dans tout ou partie de l'Union.
Pour simplifier les choses, le règlement établit notamment un processus à suivre pour l'obtention d'une licence afin d'opérer n'importe où dans l'UE, ainsi qu'un guide pour la classification des différents actifs. Alors qu'il leur reste moins d'un an pour se mettre en conformité, où en sont les entreprises ? Quelques éléments de réponses glanés lors de la London Blockchain Conference qui s'est tenu dans la capitale britannique en cette fin octobre.
Un outil au service de la crédibilité des entreprises
Outre la volonté d'uniformiser les régulations, MiCA incarne également celle de trier le bon grain de l'ivraie sur un marché des cryptomonnaies, qui s'est malheureusement rendu célèbre pour son grand nombre d'arnaques et de projets bancals, la spectaculaire banqueroute de FTX en novembre 2022 constituant à la fois l'un des fiascos les plus récents et les plus célèbres. Si l'obtention de la licence MiCA implique un nombre de démarches assez lourdes pour les entreprises, elles doivent en retour bénéficier d'un sésame susceptible d'accroître leur crédibilité auprès des investisseurs et partenaires potentiels.
C'est ainsi que le voit Laurent Marochini, un Français à la tête de la division luxembourgeoise de la Standard Chartered, une banque britannique. Permettant à ses clients de détenir trois cryptoactifs différents, le bitcoin, l'ether et le ripple, elle est actuellement plongée dans les démarches pour obtenir sa licence MiCA. "Nous avons déposé notre dossier il y a deux mois et devrions désormais obtenir notre licence dans les mois à venir. Cela représente un travail conséquent, impliquant beaucoup de documentation, mais une fois que nous l'aurons obtenue, ce sera un excellent argument pour montrer à nos clients qu'ils peuvent nous faire confiance et investir en toute sécurité."
Pour Vivek Chand, patron de BSV, une organisation suisse à but non lucratif qui promeut l'usage de la blockchain, MiCA est d'ores et déjà en train de jouer un rôle fondamental pour renforcer la confiance du public et des entreprises dans la blockchain. "Pour les milieux d'affaires, se plaindre des régulations est une marotte, mais dans ce cas précis, MiCA joue un rôle essentiel pour créer de la confiance, renforcer l'adoption de la part du public et des professionnels, et en définitive accélérer l'innovation sur les cryptos. Il y a indéniablement un changement de perspective depuis MiCA."
MiCA demeure un outil d'attractivité pour l'Europe
Lorsque MiCA a été adopté, l'atmosphère qui régnait outre-Atlantique était fort peu favorable aux cryptomonnaies. Echaudée par l'affaire FTX et souhaitant mettre de l'ordre sur un marché jugé chaotique, l'administration Biden, emmenée par Gary Gensler, alors patron de la SEC, gendarme de la bourse américain, menait un bras de fer contre l'industrie, qui a braqué une partie de cette dernière et précipité de nombreux fans de cryptos dans le camp d'en face. Donald Trump, jadis également très critique vis-à-vis des cryptos, a intelligemment sauté sur l'occasion et mené une campagne très favorable à celles-ci, avant de nommer des personnalités proches de l'industrie à des postes clefs : David Sacks, conseiller sur l'IA et les cryptos, et Paul Atkins pour remplacer Gary Gensler à la tête de la SEC.
Mais le fait que l'UE ait su adopter un cadre relativement complet avant tout le monde continue de jouer en faveur de l'attractivité du Vieux continent, selon Christian Moor, expert principal en politiques de l'Autorité bancaire européenne. "Le règlement a été adopté à l'époque où la plupart des pays du monde étaient opposés aux cryptomonnaies, ce qui a contribué à donner de la crédibilité à l'industrie."
En étant pionnière, l'UE a également saisi l'occasion de mettre en place un appareil législatif qui inspire les autres gouvernements soucieux de réguler les cryptos, ce qui offre un avantage aux entreprises européennes, qui ne sont pas en terrain inconnu lorsqu'elles cherchent à obtenir une licence au sein de ces législations.
"Nous avons créé des groupes de travail avec des entreprises issues d'un pays du Moyen-Orient qui souhaitaient proposer un cadre s'inspirant fortement de MiCA pour de futures régulations en cours d'élaboration dans leur pays", raconte Thomas Giacomo, en charge des fintech au sein du Teranode Group, un collectif d'entreprises de la blockchain.
500 000 euros pour obtenir sa licence
Pour autant, l'obtention de la licence MiCA est un parcours long, coûteux et difficile pour les entreprises. Parfois un peu trop, se plaignent certains acteurs. "Ce n'est pas une bagatelle. L'obtention d'une licence MiCA requiert entre 12 et 18 mois de travail et coûte en moyenne 500 000 euros, les frais d'avocat étant particulièrement élevés. J'ai dû fournir 130 documents différents pour le dépôt de mon dossier. C'est gérable pour une grande banque, mais pour une start-up, c'est infernal", glisse Laurent Marochini.
En outre, certaines obligations semblent avoir été décidées sans connaissance de la complexité des procédures légales liées à certains pays. "Il faut par exemple prouver que les membres de votre organe de direction, mais aussi les actionnaires et associés, n'ont pas subi de condamnation pénale. En France, on peut obtenir cela assez facilement sur l'internet, mais si l'un de vos actionnaires se trouve dans un pays comme Singapour ou le Japon, la loi locale exige que vous vous rendiez en personne au commissariat pour obtenir le document...", poursuit-il.
Le règlement n'est toutefois pas figé dans le marbre : il est prévu qu'il évolue en fonction
de l'expérience, des retours des entreprises et de l'évolution de la situation. Ces démarches seront donc peut-être amenées à être simplifiées. "Nous avons reçu en août des doléances de la part d'un certain nombre de professionnels se plaignant de standards trop élevés. Nous en avons tenu compte et certains sont en cours de réexamination", affirme Christian Moor.