Le saumon OGM, un aperçu de l'alimentation du futur Une révolution génétique... et économique

L'opposition farouche aux animaux génétiquement modifiés n'est pas que sanitaire ou écologique. Elle est aussi économique, selon Ronald Stotish, patron d'Aquabounty.

une ferme d'élevage de saumons en norvège.
Une ferme d'élevage de saumons en Norvège. © Cermaq 

"Nombreux sont ceux qui ont des intérêts particuliers et s'opposent [au saumon Aquadvantage] pour ces raisons", a-t-il déclaré, dans une allusion aux pêcheurs de l'Alaska, inventeurs de l'appellation Frankenfish. Les sénateurs de l'Alaska Begich et Murakowski ont même déposé un projet de loi interdisant la production, la vente ou l'importation de saumon génétiquement modifié aux Etats-Unis.

Les animaux OGM ont-ils la capacité de bouleverser le marché de l'agroalimentaire ? Exemple avec notre saumon et l'aquaculture. Selon un rapport de Marketline, le chiffre d'affaires mondial de cette industrie s'élève à près de 110 milliards de dollars en 2011, avec un taux annuel moyen de croissance de 9,5% entre 2007 et 2011. Et le département de l'Agriculture américain évalue la valeur de l'élevage de poissons à plus d'un milliard de dollars outre-Atlantique.

"Les entreprises norvégiennes gardent un œil avisé sur ce qui se passe aux Etats-Unis avec le saumon transgénique"

Mais c'est en Norvège que le marché du saumon atlantique est le plus important, avec une production 50 fois plus importante que celle des Etats-Unis en 2012. "Les entreprises norvégiennes gardent un œil avisé sur ce qui se passe aux Etats-Unis avec le saumon transgénique, nous explique l'analyste de la banque d'investissement Nordea Market, Kolbjørn Giskeødegård, qui suit le marché du saumon depuis 15 ans. Mais l'inquiétude est moindre car en Europe il y a beaucoup de méfiance vis-à-vis des OGM."

Ce que confirme Jon Hindar, PDG de Cemarq, l'une des plus importantes entreprises d'aquaculture de Norvège : "Nous doutons que le marché européen accepte des espèces génétiquement modifiées. Par ailleurs, le saumon grandit peut-être deux fois plus rapidement mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le nourrir. Je ne pense pas qu'ils économiseront tant que cela en fourrage, qui représente en règle générale près de 40% des coûts de production." Contacté par mail, Aquabounty précise que son saumon consomme seulement 10% moins de nourriture en 18 mois que son alter ego issu de l'élevage en 36.  

"Aux Etats-Unis, les éleveurs de saumon atlantique peuvent se faire du souci"

S'ajoutent encore les coûts de maintenance de fermes à l'intérieur des terres. "Cela nécessite des quantités d'eau énormes, analyse Jon Hindar. Encore une fois, ce que vous économisez grâce à une croissance rapide, vous le perdez à cause de cette aquaculture réalisée en parc clos." En 2010, le président d'Aquabounty indiquait à Reuters que produire 2 000 tonnes de saumon en parc clos lui coûtait entre 8 et 10 millions de dollars. Or, d'après Jon Hindar, produire un kilo de saumon d'élevage traditionnel coûte environ 4,3 dollars, soit environ 8,6 millions de dollars les 2 000 tonnes. L'économie réalisée ne saute donc pas aux yeux.

Pour cette raison, Patty Lovera, de Food and Water Watch, doute du fait que la production de poisson transgénique se limitera aux parcs clos : "C'est tout simplement une façon plus difficile de produire du saumon. Prétendre vouloir le faire uniquement sur terre n'est pas sincère."

jon hindar, pdg de cemarq, l'une des plus importantes entreprises d'aquaculture
Jon Hindar, PDG de Cemarq, l'une des plus importantes entreprises d'aquaculture de Norvège. © Cemarq

Cependant, ces fermes permettent également de produire à proximité des points de vente et donc de limiter les coûts de transport. A noter que l'idée initiale de Ronald Stotish est de produire uniquement les œufs de saumon transgéniques pour ensuite les vendre à d'autres fermes.

Pour Kolbjørn Giskeødegård, "le saumon grandissant deux fois plus vite, la rotation des stocks augmente considérablement et vous êtes donc capables de fournir davantage de saumon au marché, ce qui peut faire baisser les prix. Cependant la demande va croitre plus rapidement que la production dans les années à venir : il y aura donc de la place pour tout le monde. Mais dans un avenir plus immédiat, aux Etats-Unis, les éleveurs de saumon atlantique peuvent se faire du souci si le saumon génétiquement modifié n'est pas étiqueté comme tel."

Ce qui sera très probablement le cas selon Patty Lovera : les partisans du saumon OGM "estiment qu'il n'y a aucune différence entre un saumon génétiquement modifié et un saumon normal. Que c'est le même animal avec seulement un gène en plus". Un gène qui change tout.