Un nouveau contrat social pour la réindustrialisation de la France ?
Le déclin industriel de la France est notamment dû à un déficit dans nos relations sociales. D'où l'urgente nécessité d'adopter un nouveau contrat social dans les entreprises. Et pour espérer mobiliser les gens autour de l’industrie française, il faut redonner de l’espoir dans l’industrie.
J’ai
une théorie sur le déclin industriel français et celui d’autres pays que j’aimerais
vous faire partager. Tous les pays qui ont gagné la guerre de 1939-45, la
France, l’Angleterre et les Etats-Unis, ont connu la guerre sociale.
Dans les
trente années qui ont suivi le conflit, nous avons passé notre temps à faire la
guerre du partage dans l’entreprise. Alors que les pays qui ont perdu la deuxième
Guerre mondiale, l’Allemagne et le Japon, se sont serrés les coudes pour
prendre leur revanche économique. En Allemagne, cela a donné le système de la
cogestion, qui n’est certes pas parfait, mais qui fonctionne mieux que le
nôtre.
Le Japon, lui, a fait encore mieux en inventant le lean management, afin
d’obtenir une mobilisation des salariés pour une production de qualité livrée
dans les délais. Sous l’angle des relations sociales, notre problème a été
cette guerre du partage.
Le
premier partage social, c’est de parvenir à créer des emplois. C’est une
question centrale. On a perdu 400 000 emplois dans l’industrie. Il faut se
redonner une vision de reconquête, en distinguant les secteurs où on peut être
performant. Je suis en train d’écrire un livre sur le thème Management
lean : un nouveau contrat social. Si on veut être performant dans
une entreprise, il faut mobiliser l’ensemble du personnel et partager avec lui
des valeurs vers une vision et une ambition communes. Ceci ne peut se faire que
dans une entreprise équitable, où patron et salariés sont gagnants. Chacun se
sent propriétaire de son poste et a envie de se défoncer pour sauver son
emploi. Il faut une répartition juste des résultats de l’entreprise avec le
personnel, mais aussi les clients, les vendeurs, les actionnaires et les
fournisseurs.
Les
sciences et les technologies qui ont fait le bonheur des hommes ne sont plus
aujourd’hui reconnues comme un facteur de progrès. Néanmoins, ma conviction est
que le XXIe siècle va être celui des scientifiques et des ingénieurs. A
l’horizon 2050, nous avons des problèmes à régler qui sont sans solution à ce
jour. A cette date, la planète comptera 9,5, voire 10 milliards d’habitants,
dont 70 à 80 % dans les villes. Pour nourrir la planète, il faudra passer de 18
000 K/cal à l’hectare à 27 000 K/cal. L’Asie et l’Afrique ont un problème pour
s’approvisionner en eau.
Les pays occidentaux vont devoir développer
considérablement leur habitat durable. La mobilité, qui est proportionnelle au
niveau de vie, va doubler dans les vingt ans. Nous allons devoir trouver les
moyens de stocker l’énergie. Toutes ces questions sont du ressort des
ingénieurs et des scientifiques ! Faisons leur confiance !
Cela
peut donner le vertige en effet de penser à tous ces problèmes à venir qui
n’ont pas de solution pour le moment, mais c’est aussi très enivrant. A l’horizon
2050, on pressent les besoins de la population, mais pas les moyens et les
produits qui seront ceux de cette époque. Aux ingénieurs et scientifiques de
voir comment les satisfaire en imaginant les produits qui trouveront leur
marché parce qu’ils contribueront au progrès de l’humanité. C’est ça, le cœur
du métier de l’ingénieur. On est en train de changer de civilisation. Jusqu’aux
années 1990, on prévoyait l’avenir qui se réalisait à peu près comme prévu.
Depuis cette date, on est dans une phase exponentielle de l’évolution humaine.
Prenons l’exemple des voitures : à l’avenir, la finalité d’un constructeur
automobile, ce n’est pas seulement de les fabriquer, mais d’être un fournisseur
de mobilité. Aujourd’hui, dans l’automobile, on ne peut pas faire un plan
au-delà de dix ans.
Pour espérer mobiliser les gens autour de l’industrie française, il faut
redonner de l’espoir dans l’industrie. Pour cela, il faut miser sur les grands
axes où la France peut être forte : les énergies, les transports, la santé,
le luxe... De la même manière que nous disposons d’un projet national pour le
numérique, je suggère que nous en ayons un sur la robotique collaborative qui
sera un domaine d’avenir essentiel et où nous disposons de réelles compétences.
En parallèle de cette vision nationale, il faut préserver le capital
humain : 80 % de la force d’un pays, c’est son savoir-faire humain. Quand
on délocalise, on perd le capital humain et on ne le récupère jamais. Imaginer
conserver les centres de recherche en France quand on a laissé partir les
usines, ce n’est pas sérieux.
Je ne parle pas ici des ouvertures de sites à
l’étranger pour répondre aux besoins locaux. Enfin, il faut réconcilier les
Français avec leurs usines, en prônant un rapprochement entre l’enseignement et
l’industrie.
Développons pour cela
l’apprentissage et faisons rentrer les profs dans l’entreprise et les
cadres dans l’école.