L'industrie du cinéma bataille autour de sa convention collective
Suite à la dénonciation, en 2007, de la Convention collective de la production cinématographique, les techniciens et les producteurs de films sont désormais en phase de renégociation d’un nouveau texte. Les tensions sont vives...et ce n'est pas du cinéma !
Le droit applicable
En l’absence de nouvelle convention collective, c’est toujours la CCN du 30 avril 1950 révisée qui a vocation à
régir les relations interprofessionnelles des techniciens de la production
cinématographique, comme l’énonce l’article 3 alinéa 2 de la CCN du 30 avril
1950 : « En
cas de dénonciation par l’une des deux parties, la présente convention restera
en application jusqu’à conclusion d’un nouvel accord. ».
Cependant cette convention n’a jamais été
étendue et il en découle donc qu’elle ne concerne que les producteurs membres
de l’Association des Producteurs du Cinéma (APC). Néanmoins pour les producteurs
qui n’étaient pas signataires à la CCN du 30 avril 1950, les barèmes leur ont
été étendus.
Composée de 21 titres, la convention
collective du 30 avril 1950, selon son article 1, règle les rapports entre
« entreprises de production de films » et les « techniciens
spécialistes et membres du personnel employés par lesdits
établissements ». La convention s’applique à tout film produit en tout ou
partie en France (entendre « territoire métropolitain » dont les
DOM-TOM sont exclus) ou à l’étranger par un producteur ayant son siège social
en France. Elle bénéficie ainsi aux techniciens français travaillant à
l’étranger pour un producteur français, ce qui permettait déjà en 1950 d’éviter
un dumping juridique. La langue du
film n’a donc aucune incidence sur l’application de la Convention.
L’un des apports majeurs de la Convention
était de donner, en son Titre II, « qualifications »,
une liste des professions de la production cinématographique. Elle distingue
les techniciens cadres de la
production en son article 5, des techniciens de production. Une distinction qui
n’est pas sans conséquence puisque le régime des cadres comporte des
spécificités propres.
Le régime
juridique
La Convention pose, en son article 19,
que « tout engagement doit faire
l’objet d’un contrat ». L’exigence d’un écrit, qui doit être rédigé
dans les 48 heures suivant le début de l’embauche, vient protéger le technicien
dans une relation intrinsèquement inégalitaire entre employeur et employé. La
force probatoire de l’écrit est mise au service du technicien en cas de conflit
avec son employeur. L’écrit est d’autant plus bienvenu que les missions
confiées aux techniciens sont, dans la pratique, de courte durée, et que la
preuve de leur exécution est d’autant plus difficile à rapporter.
De plus, le contrat de travail à durée
déterminée d’usage doit comporter certaines mentions obligatoires précisées par
l’article L1242-12 du Code du travail, parmi d’autres figurent la désignation
du poste de travail, la convention collective applicable ou encore la durée de
la période d’essai.
L’article 21 pose que « toute clause
particulière d’un contrat contraire aux stipulations de la présente convention
collective de travail sera réputée nulle et non avenue ». Les contrats
font l’objet de limitations dans la durée : journée, semaine, année.
Est instaurée en outre à l’article 41 de
la Convention l’obligation pour les producteurs d’embaucher les techniciens avant le tournage effectif nécessitant
l’intervention du technicien. Ce temps de préparation est rémunéré comme tout
temps de travail durant le tournage, et varie selon les professions concernées.
En contrepartie, les techniciens ont
l’obligation de rester à disposition du producteur en cas de dépassement de la
durée du contrat initialement prévue, selon des modalités stipulées aux
articles 24 à 26 de la Convention. Mais là encore le technicien est
protégé : si le dépassement est supérieur à un prorata calculé en fonction
de la durée initiale du contrat, il est peut décider de « reprendre sa
liberté », à charge pour lui de désigner un technicien remplaçant.
Les conditions de travail sont énumérées
aux titres VII et suivants. Pour tout long métrage (« film de fiction dont
le métrage est supérieur à 1800 mètres »), une équipe a minima obligatoire est prévue par l’article 47.
Les Titres VIII à XV prévoient les
conditions de travail des techniciens ainsi que les indemnités et défraiements
auxquels ils ont droit. Ces conditions diffèrent selon la zone géographique
dans laquelle le tournage est réalisé (critère géographique) ainsi que selon
son moment (critère temporel) : jour de la semaine, dimanche, jour férié,
nuit… Le critère géographique se dédouble : il comporte ainsi la zone
géographique proprement dite, essentiellement l’éloignement, ainsi que le type
de lieu dans lequel le tournage est réalisé : studio ou terrain avenant ou
extérieur. Les deux critères sont cumulatifs. Plus les conditions de travail
sont difficiles pour le technicien (tournage éloigné de son lieu de résidence,
de nuit ou un jour férié) plus il bénéficie de compensations pécuniaires. Il a,
en outre, un droit d’information relatif à ses conditions de travail. Le
technicien a droit au remboursement des frais qu’il pourrait avancer au titre
des frais de transport ou de matériel, selon encore une fois l’application du
critère géographique qui déterminera l’étendue de ce remboursement.
L’article 98 prévoit obligatoirement,
qu’en cas de litige entre technicien et producteur, une procédure de
conciliation sera tenue devant une commission mixte intersyndicale qui devra se
réunir obligatoirement dans les 3 jours suivants la date à laquelle un syndicat
aura été saisi d’un différend.
Concernant les producteurs, ces derniers ont l’obligation de faire appel à des
techniciens du cinéma, dont les professions sont listées dans la Convention,
chaque fois que le film sera diffusé au cinéma.
Néanmoins le 23 mars 2007, l’APC a
dénoncé la CCN du 30 avril 1950 conformément à son article 3 alinéa 2. Ainsi, à
la fin de l’année 2008, les métiers de la production cinématographique se
seraient trouvés face à un vide juridique si l’APC n’avait pas renoncé à la
mise en œuvre immédiate de la dénonciation. En effet, ce syndicat de
producteurs a prorogé à 3 reprises l’application de la convention ainsi que de
ses grilles de salaires minima. Ainsi, la dénonciation semblait être restée
sans effet. Cependant les discussions portant sur une nouvelle convention ont
repris à la fin de l’année 2011.
Une
renégociation de la convention collective en perspective
Néanmoins les signataires ne seront pas
les mêmes ; au sein des récentes négociations, l’API (Association des
Producteurs Indépendants) semble être le seul syndicat de producteurs à vouloir
transiger avec les organisations syndicales représentant les salariés. L’APC a
pourtant proposé un projet de convention, mais celui-ci a été refusé en bloc
par les syndicats de salariés. Aujourd’hui au centre des débats se situe le
projet proposé par l’API.
Quel serait le champ d’application de cette nouvelle convention collective ?
L’article 1 du titre II prévoit que dès
son entrée en vigueur la nouvelle convention collective annulera et remplacera
la CCN du 30 avril 1950 ainsi que deux autres conventions collectives relatives
aux travailleurs indépendants.
Toutefois, ce projet soulève un autre
problème relatif à son applicabilité. En effet afin que la nouvelle convention
soit étendue à l’ensemble de la profession, il faudrait qu’elle soit signée par
deux syndicats de producteurs nationaux et deux syndicats de salariés représentatifs
au niveau national. Or à l’heure actuelle, seule l’API, qui regroupe de grands
producteurs tels que MK2, UGC, Gaumont et Pathé, est encline à signer cette
nouvelle version de la convention, l’APC et le SPI y sont opposés.
Pour contourner le refus des syndicats de
producteurs, autre que l’API, à signer cette nouvelle convention collective,
les syndicats de techniciens souhaiteraient demander à la direction du travail
d’étendre la convention à l’ensemble des films.
Cependant, on peut raisonnablement douter
de l’extension de la convention collective dès lors que seul un syndicat de
producteurs y a adhéré. Rappelons que la convention collective de 1950 n’avait
pas été étendue, et en conséquence, les syndicats qui ne l’avaient pas signé
n’étaient pas tenus de la respecter.
Cette nouvelle convention collective
s’appliquerait comme la CCN de 1950 aux entreprises françaises de production de
films, aux salariés français indépendamment du lieu d’exécution du contrat de
travail mais également aux entreprises étrangères qui produiront sur le
territoire français.
Quels sont les apports de ce projet de
convention ?
Le projet de la nouvelle convention
collective est divisé en quatre titres. Le 1er titre concerne les
dispositions communes le titre II est relatif aux techniciens, le titre III
évoque le personnel artistique et le dernier titre concerne le personnel
permanent. Ce projet de convention collective a un objet beaucoup plus large
que la CCN. Le titre II est subdivisé en 10 chapitres, qui reprennent très largement
la CCN. Cependant il existe des nouveautés.
Tout d’abord, un régime dérogatoire a été
instauré pour les films dits de la diversité, qui ne bénéficient pas de
grands budgets. Pour ce type de film, les techniciens seraient moins payés (750
euros pour 39 heures par semaine) mais en contrepartie ils bénéficieraient d’un
intéressement aux recettes d’exploitation du film c’est-à-dire une mise en
participation aux recettes nettes du producteur. Cet intéressement défini par
l’Annexe III du projet consiste à différer le paiement d’une partie du salaire
avec une majoration compensatoire. Notons qu’à l’heure actuelle, cette pratique
est considérée illégale par la Cour de Cassation (16.09.2009). L’article 1 de
l’Annexe III fixe les critères cumulatifs pour qu’un film puisse être qualifié
de fragile ; l’un d’eux prévoit que cette qualification ne peut être
octroyée que si le budget prévisionnel est inférieur à 2,5 millions
d’euros. Les films pouvant tomber sous le coup de cette qualification devront être
présentés à une commission qui décidera s’ils rentrent dans le champ
d’application de cette qualification. Il est d’ores et déjà prévu que seuls 20%
de films d’initiative française avec les critères remplis, puissent être
éligibles afin de bénéficier de ce régime.
Les titres et définitions de fonctions
sont plus nombreux et complets que dans la CCN de 1950. Mais la nouveauté de ce
projet de convention collective réside dans le fait que le chapitre X concerne
les réalisateurs. En effet, dans la CCN de 1950, rien n’est prévu concernant le
barème du réalisateur. Or le projet tend à définir leurs fonctions ainsi que
leurs salaires et ce, dès la préparation du film jusqu’à la post-production à
savoir la livraison du film. Ce projet prévoit de stabiliser la rémunération du
réalisateur à 2000 euros par mois indépendamment de la durée du Film (l’APC
prévoyait via son projet une dégression de leur salaire à compter du 5e
mois de travail). Ce dernier chapitre du Titre II fixe également les conditions
d’engagement et le type de contrat correspondant aux fonctions exercées par le
réalisateur ainsi que le mode et le montant du salaire minimum.
Une autre nouveauté du projet de
convention collective apparaît à l’article 30 sous le titre d’Equivalence.
Désormais la durée de présence au travail sur le tournage prendra en compte les
heures de travail effectif et le temps d’inactivité (dont les pauses repas sont
exclus) qui ne sera pas rémunéré.
Cependant, ce projet ne fait pas
l’unanimité chez les syndicats de salariés. En effet, l’association des
décorateurs est hostile à ce projet car l’article 2 intitulé « Titres et
définitions de fonctions » insère dans la branche du décor la profession
« d’ensemblier décorateur cinéma » qui seront payés moins chers que
les chefs décorateurs. Ainsi ils y voient une menace pour leur profession et
leur rémunération.
A la veille des Fêtes, le projet de
convention collective a été approuvé par l’assemblée générale des réalisateurs
SRF/CGT et par l’assemblée générale CGT des ouvriers et techniciens mais aucun
réunion d’une commission mixte paritaire n’était encore prévu. Dès lors, par
lettre recommandée en date du 16 décembre 2011 l’APC et l’UPF ont décidé de
proroger une nouvelle fois la convention collective et de réévaluer les
salaires minima de 0,50% conformément à la période indiciaire semestrielle de
référence jusqu’au 31 décembre 2012.
Alors que les négociations semblaient
avoir reprises, leur aboutissement vont prendre encore du temps.
En
conséquence, pour l’année 2012 et ce jusqu’à la signature d’une nouvelle
convention collective, le droit applicable reste issu de la CCN du 30 avril
1950.