La fin d’un monde, mais pas la fin du mode

Si aujourd’hui toutes les industries parlent de se réinventer, d’uberisation et voient en ce monde plus d’incertitudes que jamais c’est sans doute un effet direct de la désintermédiation induite par les TIC (Technologie de l’information et des communications).

Un marché sans intermédiaires, où l’offre et la demande se rencontrent en temps réel est plus difficile à maîtriser, les verrous y sautent et les ordres établis s’y renversent aisément.

 

Cette situation conduit de nombreuses entreprises établies à se rendre à l’évidence, sur des marchés désormais devenus plus accessibles aux nouveaux entrants, il est vital de reconsidérer sa façon d’appréhender son business.

 

Faut-il attendre qu’il soit trop  tard ? Évidemment non ! Cependant, une fois le constat posé il est compliqué pour une entreprise s’étant construite sur le substrat d’un monde plus statique de se réformer, car l’inertie y est structurelle.

 

Ces organisations profondément mécanistes, entremêlées, qui à chaque fois qu’une décision doit être prise impliquent de nombreuses parties prenantes (stakeholders), et qui n’ont parfois pas d’intérêt, voire pas intérêt à se battre pour un projet.

 

Prenons un exemple un peu caricatural pour illustrer : imaginons que vous travaillez dans un groupe qui dispose de plusieurs enseignes, chacune ayant son propre site web.  Vous souhaitez mettre en place sur vos différents sites web une nouvelle fonctionnalité qui consiste à retrouver les articles mis au panier d’un site à l’autre (Panier SSO).

 

Le service juridique se contentera de vous dire que vous ne pouvez pas le faire, car les conditions d’utilisation, de respect de la vie privée, ainsi que les conditions générales de ventes ne sont pas les mêmes, la DSI rétorquera que compte tenu des environnements différents, il est compliqué de le faire à un cout raisonnable et que la sécurité vous impose avant tout de faire migrer le CMS de l’une des filiales (souvent pas la plus riche) vers quelque chose de plus conforme.

 

Enfin, le marketing de certaines filiales ne verra pas d’un très bon œil ce qui pourrait être interprété comme une première étape vers une réintégration au sein du navire amiral …

 

Bref, la personne en charge, du projet aura bien des obstacles à surmonter ! Et pour cause, les organisations mécanistes, héritées de la révolution industrielle appliquent volontiers une division du travail basée sur la fonction (non la tâche) et produit une aliénation qui au-delà des conséquences sociales décrites par Adam Smith et Mrax a pour effet de neutraliser la prise d’initiative, et la responsabilisation !

 

De nombreuses fonctions servant le projet sont considérées comme supports, à ce titre elles ne sont qu’un rouage dans un engrenage très complexe qui impose de privilégier le grip sur les sujets présentant le plus d’enjeux apparents. Les ressources étant partagées, certains n’ont même pas le temps et/ou la latitude de s’intéresser aux enjeux des projets dans lesquels ils ont un rôle à jouer !  Au risque de paraître provocant, ils ne deviennent que des automates bêtes et méchants appliquant un protocole standardisé.

 

Les situations en deviennent kafkaïennes, de nombreuses ressources de l’entreprise plutôt que de faciliter les initiatives ayant pour but de créer de la valeur se voient freinées par des agents dont la source de financement est précisément cette même création de valeurs.

   

Parallèlement à ce processus d’autodestruction, sont apparues il y a quelques années de nouvelles formes d’organisations, bien plus adaptées au mouvement, elles ont ainsi pu aussi réinventer leurs processus de création de valeurs et représentent selon moi l’évolution vers laquelle l’inéluctabilité nous entraîne !

 

Ces organisations sont dites adhocratiques, car elles sont ad hoc, autrement dit elles se focalisent entièrement sur une mission, les équipes y sont pluri compétentes et pluridisciplinaires, elles n'ont qu’une seule obsession le projet qu’elles servent et une proximité qui leur permet de comprendre non seulement l’enjeu du projet, mais aussi le rôle que chacun doit y jouer.

 

Évidemment, ce type d’organisation ne tolère pas la demi-mesure, toutes les tentatives timides ont échoué et un certain nombre de règles doivent y être respectées. Toutes les personnes impliquées dans un projet doivent y adhérer fortement, il doit régner un esprit de corps au sein de l’équipe, l’état d’esprit doit être tourné vers le projet. Enfin, l’équipe doit non seulement avoir conscience de sa finitude, mais l’avoir pour objectif.

 

Pour rendre possible cette orientation focalisée sur la mission, il est indispensable que l’environnement soit parfaitement conforme. Toutes les fonctions de l’entreprise sont concernées RH, SI, Juridique, Contrôle de Gestion, Management ... !

   

Mais lorsque l'on ne part pas d’une feuille blanche, il semble extrêmement difficile de reformer toute une organisation et cette difficulté apparaît d’autant plus lorsque l’entreprise est massive, installée et rentable.

 

Pour accompagner cette mue, il est possible de commencer avec une certaine catégorie de projets ; les projets digitaux ou data s’y prêtent très bien, car ils servent le plus souvent des objectifs aisément identifiables et que leur durée permet une rotation importante des équipes. Évidemment, les premiers collaborateurs concernés doivent adhérer au projet et au mode de fonctionnement proposé avant que ce type de culture ne fasse ses preuves et n’imprègnent toute l’organisation.

 

Pour favoriser cette adhésion et créer une émulation autour des projets, il est possible de détourner un concept qui  la plupart du temps transcende les frontières de l’entreprise, le CoWorking. Ce concept qui se développe propose de mettre à disposition des endroits propices à la collaboration de gens venant de tous horizons passionnés par leur métier et ayant envie de mettre leurs compétences au service de problématiques qu’ils s’emploient à cracker (WeWork le leadeur américain du CoWorking vient d’ailleurs de s’installer Rue La Fayette à Paris).

 

Ce type d’endroit où les conditions sont favorables à la collaboration, où le confort et les moyens de communication y sont très qualitatifs est impondérable, car ils permettent aux équipes de s’y former aussi facilement qu’elles s’y dissolvent. Ces équipes pluridisciplinaires y travaillent en mode commando et tentent de s’y surpasser. Tout le monde y est au service du projet pour une durée plus ou moins longue et chacun connait précisément le but du projet et peut en revendiquer une partie de la paternité.

 

À l’aire de Big, Big Data, too Big to fall, Big Society, Big Brother …Le salut se trouve dans le Small, l’atomicité subsumée dans le big produit de l’efficacité, c’est la subdivision des calculs (Map Reduce) qui permet au data scientists d'exécuter des calculs massifs, la crowd economy a rendu possible le fractionnement de l’offre, a fait sauter les barrières à l’entrée de différents marchés et renversé les ordres établis !

 

La formation et reformation d’équipes polymorphes courtes, agiles, ayant une tâche et non une fonction me semble être une organisation plus naturelle, elle nous est notamment révélée par des configurations rendues possibles par les nouvelles technologies ou par nécessité.

 

Aujourd’hui, la question de la transformation organisationnelle est présente dans toutes les entreprises et à tous les niveaux des organisations, l’urgence chez les prestataires de services se fait encore plus pressante, car ces derniers doivent aider leurs clients à se réformer, et charité bien ordonnée commence par soi-même ! Nous avons par exemple chez Publicis France, une initiative de ce genre, un hackerspace ayant pour nom de code The Queen Anne's Revenge abritant un Lab dirigé par un Docteur en Informatique, expert en Intelligence artificielle. Nous y formons des équipes pluri disciplinaires venant de toutes les agences.

 

Nous devons tous faire notre chemin de damas, la révolution passe le plus souvent par  des évolutions qu’il nous faut accepter malgré les peurs qu’elles peuvent parfois susciter. Les postures défensives qui consistent à imposer des barrières à l’entrée des marchés seront de moins en moins efficaces, il faut adopter une approche offensive, basée sur l’amélioration constante de l’offre !