Petit traité de manipulation : l’escroquerie

Dis-moi comment on t’escroque, je te dirai qui tu es. De l’intérêt de la psychologie de l’influence.

Il y a quelques années, certaines de mes chroniques du JDN ont suscité un intérêt que je ne m’attendais pas… Elles traitaient de techniques dites "d’influence". Ces techniques ont fait l’objet de travaux scientifiques, qui, parfois, ont obtenu le prix Nobel. Je me demandais quel pouvait en être l’usage pratique. J’ajoute un chapitre à cette série : de l’escroquerie. Comme souvent, ce que le psychologue dit est évident… a posteriori… 

L’escroquerie ou le paradoxe fait psychologie…

Tout d’abord, il semble que l’escroc soit, majoritairement, supérieurement intelligent, et surtout "honnête". En effet, il croit en ce qu’il dit. Ce qui n’est pas surprenant. Car, on est d’autant plus convaincant que l’on est convaincu… Mais, parler d’honnêteté est peut-être exagéré. Car l’escroc a intérêt à croire ce qu’il croit. Ce qui lui fait défaut, c’est l’esprit critique. Un enthousiaste ferait-il un excellent escroc ?

Les paradoxes ne font que commencer. Ce que l’escroc escroque, ce sont des escrocs. On raconte ainsi qu’un fabricant turc s’est rendu compte que coudre un crocodile à ses polos faisait exploser ses ventes. On dit aussi que, dans l’affaire Madoff, la plupart de ses victimes étaient persuadées de faire un coup illégal. Ce qui produit un cercle vertueux : si vous pensez participer à une escroquerie, vous n’allez pas l’ébruiter… 

L’escroc tend aussi à escroquer des gens avec qui il a un lien social. Par exemple une des grandes escroqueries du 19ème siècle s’est faite chez les Ecossais. Probablement une question de confiance et, une fois de plus, de discrétion que l’on doit aux "siens". 

Tous des escrocs

Il y a pire. Il y a quelques années est sorti un film sur l’histoire d’un escroc. Il arrive par hasard dans une ville. Prenant leurs désirs pour des réalités, ses habitants le croient représentant d’une société de BTP venu relancer les travaux d’une autoroute. (Ils ont été suspendus pour raison écologique, ce qui a provoqué une crise de l’emploi locale.) Sans faire grand chose, il parvient à les mobiliser. L’autoroute est construite. Malheureusement pour lui, il s’est pris au jeu et finit en prison. Le tissu social a des failles. Lorsque vous les touchez, par un genre de "sésame ouvre toi", il se produit un miracle. On peut avoir beaucoup, pour rien ! Or, notre société nous encourage à nous épanouir, à suivre notre intérêt individuel. Du coup, en cherchant notre bonheur, nous produisons ce type de miracle. 

Un dirigeant de fonds d’investissement me disait, d’ailleurs, que c’était un problème de sa profession. L’entrepreneur a appris à déclencher les réflexes pavloviens des investisseurs. Et il n’est pas prêt à faire ce qui, normalement, va avec son discours ou son apparence. Par exemple, souvent, il n’a pas vu le réel potentiel de son idée. (Un potentiel qui le terrorise lorsqu’il le découvre : le mode de vie que suppose sa réalisation ne lui serait pas supportable.)

Parmi les failles sociales, il y a l’estime de soi. Par exemple, les élites mondiales sont sensibles aux hommages que l’on fait à leur intellect. C’est ainsi que la frauduleuse société ENRON recrutait ce que les universités américaines faisaient de plus intelligent, et que les mouvements spéculatifs, comme la bulle Internet ou celle des subprimes, les attire comme le miel les mouches : la complexité des technologies mises en oeuvre ne demande-t-elle pas un QI exceptionnel ? Les intellectuels sont, aussi, souvent, des "idiots utiles"… 

L’escroquerie ne paie pas

Comme dans l’histoire des renards libres dans le poulailler libre, chez les escrocs, presque tout le monde est escroqué. Alors, méfiance absolue ? Non, elle risque de vous faire passer à côté d’une occasion honnête. (C’est ainsi que j’ai été à deux doigts de prendre pour une tentative de phishing le mail qui m’annonçait un versement de droits par un de mes éditeurs.)Heureusement, il y a des antidotes. Ils apparaissent ci-dessus : critique et confiance. 

Critique : se méfier de ses impulsions. On appelle parfois la technique appropriée "dialectique". Il s’agit de trouver un contre argument à l’idée qui nous vient en tête. Mais ce n’est pas "thèse, antithèse, synthèse" de la mauvaise dissertation. Critiquer son impulsion permet de trouver une "autre dimension" à la question. Quelqu’un qui aurait appliqué cette méthode à M.Madoff aurait, qui sait ?, découvert chez lui des talents qui leur auraient permis de s’enrichir honnêtement. 

Quant à la confiance, elle obéit, une fois de plus, à des considérations paradoxales. Qui dit confiance dit réseau de confiance. Jusque-là peu de surprise. Mais ce réseau semble ressembler à un écosystème. Ce qui signifie à la fois que vous devez être une "espèce", c’est à dire que vous devez avoir trouvé ce qui vous rend unique, ce qui fait que l’on peut avoir confiance en vous. Mais, aussi, qu’avec l’aide du reste de l’écosystème vous devez être capable de faire face à n’importe quelle situation. En particulier, remplacer une "espèce" appartenant à votre écosystème si elle est défaillante, ou tente de profiter de son monopole d’espèce unique… 

C’est l’énantiodromie finale ? 

Paradoxe final. Phénomène "d’énantiodromie" : l’escroquerie massive donne son contraire. En effet, si l’on reformule ce qui est dit précédemment, pour résister à l’escroquerie, il faut se faire de vrais amis, et découvrir la réalité de son identité.  Vive l’escroquerie ?