De loser ambulant à golden boy: le tumultueux parcours du PDG de Zenefits

De loser ambulant à golden boy: le tumultueux parcours du PDG de Zenefits Comment une série d'humiliations a mené Parker Conrad à connaître l'un des plus gros succès de l'histoire pour une start-up.

A 34 ans, la vie de Parker Conrad a été tellement remplie et pleine de rebondissements qu'elle pourrait avoir été écrite pour un téléfilm. En tant que cofondateur et PDG de Zenefits, il est aujourd'hui le golden boy de la Silicon Valley. Sa société est une vraie success story.

Zenefits connait sans doute le rythme de croissance le plus élevé de l'histoire pour une entreprise du cloud computing, et ce, aussi bien en termes d'utilisateurs que de chiffre d'affaires - et il ne s'agit pas seulement d'une activité surfant sur le modèle freemium. "Nous avons lancé l'entreprise en mai 2013, et début 2014 (8 mois plus tard), nous en étions déjà à 1 million de chiffre d'affaires selon le run-rate de l'entreprise", nous a confié Parker Conrad. Un an plus tard, fin 2014, Zenefits dépassait tout juste 20 millions de dollars de chiffre d'affaires toujours selon son run-rate, et l'objectif pour cette année est fixé 100 millions de dollars.

"A notre connaissance, il n'existe pas d'offre SaaS qui grandisse aussi vite que nous. Salesforce et Workday sont bien présents et il leur a fallu quatre ans pour atteindre les 20 millions de dollars. Nous sommes parvenus à ce niveau en moins de deux. Il leur a fallu cinq à six ans pour atteindre les 100 millions de dollars. Nous y serons en moins de trois." annonce Parker Conrad.

Son équipe a toutes les raisons d'être confiante. En effet, Zenefits a levé 83.6 millions de dollars en trois tours de financement, et ce auprès d'investisseurs tel que Lars Dalgaard, actuellement VC pour Andreesen Horowitz. Larz Dalgaard avait vendu sa propre start-up cloud à forte croissance, SuccessFactors, à SAP pour 3,4 milliards en 2011.

Un business model incroyablement lucratif

L'open space de Zenefits, à San Francisco © Julie Bort - Business Insider

Zenefits, entreprise basée à San Francisco, est en grande forme grâce à son offre de service de cloud gratuit et facile d'usage pour des fonctions de ressources humaines (socialisation organisationnelle, gestion de la masse salariale, des avantages, suivi des jours de congés etc.). Ce service est gratuit, et Zenefits gagne de l'argent en fournissant des services associés : une entreprise peut, par exemple, passer par sa solution pour souscrire une assurance santé. Zenefits est ainsi un courtier d'assurances qui prend une commission sur chaque transaction. Mais l'application en tant que telle demeure gratuite même pour les entreprises qui ne sont pas intéressées par les "avantages supplémentaires" qu'elle peut fournir. Zenefits est à l'assurance ce qu'Uber est au secteur du taxi et ce que Airbnb est à l'hôtellerie. Et assez logiquement, elle met le domaine assurance en ébullition. L'entreprise a même été bannie de l'Utah après que des courtiers en assurance aient fait pression en interne auprès du Département des Assurances. Le corps législatif de l'Utah travaille actuellement sur un texte de loi qui rendra Zenefits à nouveau légal dans l'Etat.

Zenefits est tellement attirante qu'en décembre, David Sacks, membre de la mafia PayPal, en est devenu investisseur et salarié, en tant que directeur des opérations.

Ce dernier a vendu la dernière start-up qu'il a fondée, Yammer, à Microsoft en 2012 pour 1,2 milliards de dollar. Peu de business angels ont aussi bien réussi que lui. David Sacks n'a pas besoin de travailler, encore moins de travailler pour quelqu'un d'autre. Le fait qu'elle ait réussi à en faire son directeur des opérations montre à quel point la start-up est impressionnante.

La vie de Parker Conrad n'a pas toujours été merveilleuse

SiFig © SigFig

Ce succès rapide est "incroyablement excitant,  vraiment palpitant, souvent accablant et, bien sûr, stressant." nous confie Parker Conrad. Mais deux ans plus tôt, en Janvier 2013, le jour où il a créé Zenefits, Parker Conrad allait très mal. Il venait de se faire licencier de la précédente start-up qu'il avait cofondée, SigFig (baptisée à l'origine Wikinvest). Son associé cofondateur et ami d'université l'en avait écarté. Et cela ne faisait que s'ajouter à la longue liste d'échecs humiliants qui jonchaient déjà une carrière en forme de montagnes russes : il avait notamment été recalé d'Harvard puis contracté un cancer. Son histoire pleine de hauts et de bas pourrait inspirer plus d'une personne qui vit des moments difficiles.

D'enfant prodige à cancre à Harvard et malade du cancer

Parker Conrad a toujours été malin, mais ses notes étaient médiocres au lycée. "Mais j'ai participé au Westinghouse Talent Search, depuis rebaptisé Intel Science Talent Search, où j'ai passé deux ans à faire de la recherche dans un laboratoire de neuroscience et j'ai obtenu la troisième place du classement national", se rappelle Parker Conrad. Cette expérience l'a aidé à rentrer à Harvard, où il a rejoint l'illustre journal de l'Université, The Crimson, qu'il adorait. Il en fut même nommé chef d'édition.

"J'avais la sensation de progresser très vite et d'avoir pas mal de regards rivés sur moi"

"Je passais tout mon temps au Crimson, à peu près 70 heures par semaine et j'ai bien dû passer une année sans aller en cours", ajoute-t-il. "Mes notes étaient tellement mauvaises que j'ai dû quitter Harvard et lâcher mon poste au Crimson. C'était une expérience incroyablement choquante et humiliante." Il y est pourtant revenu un an plus tard, a obtenu son diplôme puis trouvé un excellent travail dans une entreprise de biotechnologie – Amgen – située dans le sud de la Californie.

"J'avais une vie très stable. J'habitais à deux pâtés de maisons de la plage de Santa Monica. J'avais l'impression d'être une grande star au sein de l'entreprise. J'étais très jeune, mais j'avais la sensation de progresser très vite et d'avoir pas mal de regards rivés sur moi" se rappelle-t-il.

Peu après avoir quitté l'Université, il a eu un cancer des testicules - dont il a pu se débarrasser.

Vivre dans une maison de retraite

Frustré par une progression peu rapide au sein d'Amgen, son colocataire à l'Université, avec qui il avait boursicotait quelques années plus tôt, l'appelle alors pour lui proposer de lancer une start-up.

"C'est une histoire drôle maintenant mais, à l'époque, j'avais l'impression de tomber d'une falaise"

"Nous avions l'idée de lancer un Wiki de recherche d'actions. J'ai donc quitté mon entreprise et Los Angeles, pour aller à San Francisco." Sans emploi et sans argent, ils emménagent dans une maison de retraite à Malnut Creek, appelée Rossmoor. Les grands-parents de son ex-colocataire y disposaient d'un appartement qu'ils n'occupaient pas. Les deux entrepreneurs pouvaient donc y vivre gratuitement. Petit problème: "il fallait avoir au moins 65 ans pour vivre là, donc nous devions entrer et sortir discrètement", explique-t-il.

"Nous y avons habité pendant six mois. Ça était de très loin les pires six mois de ma vie. Il y avait un magasin à la sortie de Rossmoor qui s'appelait littéralement Un meilleur dentier." Il admet: "C'est une histoire drôle à raconter maintenant mais, à l'époque, j'avais l'impression de tomber d'une falaise. J'avais cette vie géniale à Santa Monica avec un excellent travail. Et soudainement, je vivais dans une maison pour vieux à faire n'importe quoi pour faire décoller un projet sans aucune idée de la direction que nous prenions."

Viré de sa propre start-up par son associé

Il est resté fauché et stressé pendant cinq à six ans. "Chez Wikinvest, qui est devenue Sigfig, nous étions constamment à deux ou trois mois de manquer de couvrir la masse salariale. Nous avons pivoté régulièrement, au moins deux ou trois fois."

Panneau destiné à la motivation dans les bureaux de Zenefits © Julie Bort - Business Insider

Parker Conrad et son cofondateur étaient co-PDG. "Tout le monde vous dira que c'est une très mauvaise idée. Le point de rupture est arrivé un peu plus tard, quand la famille de Mike a investi beaucoup d'argent dans la start-up. Une clause de cet accord stipulait qu'il deviendrait le seul PDG. Nos rapports se sont progressivement détériorés à partir de là. Il m'a viré peu de temps après."

Il poursuit: "juste histoire de toucher le fond, je suis resté une année supplémentaire dans l'entreprise, pour finaliser des contrats et finir ce que j'avais à faire. C'était une période vraiment difficile à vivre."

Il ne lui restait qu'une seule chose à faire.

"C'est à ce moment-là que j'ai commencé à travailler sur Zenefits. J'étais au fond du trou. J'avais été viré puis fait une sortie éhontée.  Je me demandais comment j'allais faire pour m'en sortir ?"

Il a créé et lancé Zenefits le jour où il a définitivement quitté SigFig. Il avait 20 000 dollars d'économies, mais sa femme travaillait. Ils pouvaient donc vivre à deux sur son salaire pendant qu'il essayait de faire décoller l'entreprise.

Le ressentiment mène à une excellente idée

L'idée de Zenefits lui est venue chez SigFig, qui ne disposait, à son apogée,  que de 30 employés. Trop peu pour avoir un poste RH. En tant que survivant du cancer, il prêtait une attention toute particulière à l'assurance santé et les employés lui demandaient toujours des conseils à ce sujet parce qu'il maitrisait bien le sujet.

"Avoir des employés va de pair avec une grand quantité de paperasse" avoue-t-il. "Cela représentait à peu près deux heures de travail chaque mois, et je détestais profondément ces deux heures. Je me disais 'Mince, si tout ça était intégré et interconnecté, alors une grand part du travail s'évaporerait. Ce travail pourrait être automatisé'."

Zenefits possède plus de 500 salariés, dont la plupart résident à San Francisco © Julie Bort - Business Insider

Par exemple, le seul moyen d'inscrire un nouvel employé au programme d'assurance était de faxer le formulaire. Et le salarié devait se rendre chez Kinko's parce que l'entreprise ne possédait pas de fax. Après avoir lancé Zenefits, Parker Conrad a appris à coder seul (Python) pour au moins créer une première version de Zenefits. "Je n'avais pas de responsabilités techniques au sein de ma dernière entreprise, et je suis, de toute évidence, toujours un ingénieur de mer...".

Parker Conrad est accepté dans le programme Y Combinator en 2012 et, une fois dedans, il a trouvé un cofondateur, Las Srini, un ingénieur de SigFig. Il a d'ailleurs engagé beaucoup de gens de SigFig.

Pour construire le site de Zenefits, il a parlé à de nombreux courtiers d'assurance pour essayer de comprendre le fonctionnement de leurs procédures. C'est à ce moment-là qu'il s'est rendu compte du business qu'ils faisaient. L'inspiration d'un business model de place de marché lui est alors venue, et l'idée de fournir Zenefits gratuitement et le faire financer via des services associés qu'il permettrait de vendre.

"L'idée de notre business model réside dans le fait que, si vous arrivez à devenir un hub, et gagner suffisamment d'argent à partir de ses satellite - et les quelques personnes qui vont accepter de payer -, vous pourrez alors proposer le hub gratuitement sans problème" explique-t-il.

La plus grande leçon de l'échec

Le père de Parker Conrad a peint ce tableau appelé "Lives", une référence au fait que l'industrie de l'assurance donne des mesures de vie. Il trône dans le hall d'entrée de la société. © Julie Bort - Business Insider

Son modèle a fait ses preuves en moins d'un an. Entre la première et la deuxième année, sa base d'utilisateurs a augmenté de 1 600%. Plus de 2 000 entreprises, issues de 47 Etats se sont inscrites au service, ce qui représente 50 000 salariés.

Cette entreprise vieille de deux ans compte actuellement 570 employés, dont la plupart résident à San Francisco, et a ouvert un nouveau bureau de 200 personnes à Phoenix (Arizona). Rien n'indique un affaiblissement à venir de cette croissance, tous les voyants sont au vert.

Bien qu'indisposé à révéler la valorisation de son entreprise, Parker Conrad a déclaré qu'il ne serait pas choqué que des investisseurs l'évaluent à 1 milliard très bientôt, si ce n'est dès maintenant.

Qu'a-t-il appris de tout ceci ? "Je n'en ai tiré qu'une seule leçon : échouer c'est nul, donc évitez d'échouer. Ce n'est pas une leçon qui va changer le monde", a-t-il esquissé en riant.

Article de Julie Bort. Traduction par Shane Knudson, JDN.

Voir l'article original: How a series of humiliating events led to one of the fastest-growing startups EVER