Dans l’animation 3D, l'open source est un allié naturel pour les créatifs

Dans l'image 3D animée, Blender est un logiciel open source. Voyons comment l'articulation du développement logiciel et de la création de films libres a créé une synergie gagnante. Et comment l'esprit de partage crée un effet boule de neige stimulant pour tous les artistes 3D.

Du côté serveur, beaucoup de produits open source sont devenus des standards, d’une supériorité reconnue en termes de robustesse et de performances, ou encore d’extensibilité.
Du côté du poste client, il faut reconnaître que peu de logiciels, si ce n’est Firefox peut-être, ont atteint un pareil statut.   Il existe d’excellents produits, mais qui sont souvent vus comme des challengers, presque aussi bons, presque aussi complets que leurs équivalents propriétaires, mais pas tout à fait au même niveau.   Certes, ils ont d’autres atouts, et le coût d’acquisition, ou plus encore le coût total de possession, n’est que l’un d’entre eux.  

Nous avons dit il y a peu à quel point Linux et l’open source étaient en position dominante côté serveur et dans le Cloud.   Mais il existe un autre domaine où un logiciel open source est en pointe, représente pratiquement l’état de l’art :  l’animation 3D, avec le logiciel Blender.  
Comme Linux, Blender a un père, en la personne de Ton Roosendaal, qui continue de veiller sur son bébé. En 2002, lorsque sa société NaN fait faillite, Ton lance une souscription pour racheter les sources du logiciel.   Il crée la Blender Foundation, parvient à réunir 100 000 € de dons en moins de deux mois, et ouvre Blender sous licence GPL.  
Bien plus qu’une “ alternative Libre à des programmes plus complets et plus professionels”, Blender est à peu près ce qui se fait de mieux pour créer de l’image 3D, animée ou non. Modélisation 3D, squelettes et articulations, cinematique inverse, moteur de jeu, moteur de rendu, tous les modes d’éclairage et de ray tracing, moteur de simulation physique (forces, chocs, corps durs, corps mous, liquides, etc.), particules et fumées, textures, cheveux et fourrures, …  il est au meilleur niveau dans pratiquement tous les domaines.

Développement logiciel et création artistique entremêlés

La caractéristique de Blender est d’avoir rassemblé la création artistique libre et le logiciel libre. En effet, la galaxie Blender a deux foyers :  La Blender Foundation est consacrée au logiciel 3D open source, et le Blender Institute réalise des films d’animation.  Réunir dans un même élan l’outil et son produit, la création et son support, est une idée de génie, qui a énormément contribué au succès de Blender ces dernières années. Ton Roosendaal est à la fois le lead developper de Blender, et le Producteur des Open Movies.  
Les deux s’articulent parfaitement : chaque film s’appuyant sur le logiciel le fait progresser, le fait connaître, donne un objectif stimulant aux développeurs et constitue une vitrine magnifique de ses possibilités.   Pour Ton, faire progresser Blender au service d’un projet de film est le moyen d’assurer que les nouvelles fonctionnalités sont bien celles dont les réalisateurs ont besoin.   
Chaque film est un Open Project, un Open Movie, qui sera distribué sous une licence de type Creative Commons, sans autre exigence que l’attribution, c’est dire la citation des auteurs.   Quatre films ont été terminés sous la forme d’Open Projects.  Le dernier, Sintel, est une démonstration du potentiel de Blender – entre des mains talentueuses bien sûr.  
La réalisation du film Sintel a été portée par une équipe d’élite de 15 personnes, mais a aussi fait participer plus de 300 créateurs 3D amateurs, qui ont répondu à un appel à contribution pour créer des objets d’arrière-plan, dont bon nombre ont été retenus.
Blender, Sintel et l’Art Libre

Au delà du logiciel Blender, c’est l’occasion de s’intéresser aussi au concept d’ Art Libre, la création artistique diffusée sous les termes de licences copyleft, ou Creative Commons, c’est à dire autorisant non seulement une diffusion libre et gratuite, mais également la modification de l’œuvre.   

Dans le domaine du développement logiciel, la modification est ordinaire:  un logiciel, libre ou pas, est déjà en général une œuvre collective, qui vivra plusieurs années par des contributions nombreuses. Modifier un programme est la chose la plus normale du monde.   
Dans le domaine de la création artistique, il en va tout autrement:  la création est le plus souvent vue comme sacrée, intouchable. Le mouvement encore naissant de l’Art Libre prône au contraire que l’on peut construire une nouvelle œuvre sur une œuvre première.   On ne peut parler d’amélioration, mais d’utilisation nouvelle, détournement peut-être, déclinaison, alternative. Il peut s’agir ni plus ni moins que de prendre un roman pour en écrire une nouvelle fin, et de la même manière de créer une nouvelle pièce de théâtre, un nouvel opéra, non pas “inspiré de”, mais directement “construit avec” une œuvre antérieure.  Une étonnante rupture avec la tradition artistique prévalente.  
C’était une parenthèse.  Les lecteurs qui veulent en savoir plus sur l’Art Libre pourront parcourir avec intérêt le site
http://artlibre.org/, et les plus passionnés liront l’excellente thèse de Antoine Moreau, « Le copyleft appliqué à la création hors logiciel », qui fait référence sur le sujet.

Blender et le stimulus du partage

Si l’on revient à Blender et aux Open Projects de films 3D,  il n’y a pas eu en fait de déclinaison notable du film Sintel, pas de nouvelle fin.   C’est que, au delà de la disponibilité des outils et des fichiers, travailler à ce niveau de qualité requiert un talent rare et de gros moyens.  
Mais ce n’est pas un problème en soi, la possibilité de faire est souvent plus importante que l’action consommée, et par ailleurs des milliers de réalisateur 3D auront pu étudier les techniques utilisées pour Sintel.
Indépendamment des œuvres 3D majeures, le caractère open source de Blender amène aussi, même si le lien n’est pas direct, une extraordinaire profusion de ressources librement disponibles:  des milliers d’objets 3D en tous genres, théière en porcelaine, Aston Martin, vaisseau spatial, personnages animés, matières et textures, des milliers de ressources que l’amateur comme le professionnel peuvent intégrer dans de nouvelles compositions.   
Le partage est une chose qui n’est pas interdite par les logiciels propriétaires, mais l’état d’esprit général du logiciel libre lui donne une immense supériorité à cet égard: celui qui utilise Blender sait qu’il utilise un logiciel libre, il en est heureux, et il sent que partager ses travaux, sans être une obligation, fait partie des usages.   Et plus il télécharge, étudie, et utilise les objets 3D des autres, plus il est enclin à proposer les siens.   On parvient ainsi à un fantastique effet boule de neige du partage.   Et la disponibilité de ces ressources, en plus des milliers de tutoriels en ligne, apporte un immense gain de productivité pour tous les artistes 3D.
La Blender Foundation aura 10 ans en juillet 2012, sa communauté est immense, et planétaire, sa dynamique plus forte que jamais, c’est un des plus beaux succès de l’open source, une démonstration de la force du partage, et le levier de créations artistiques d’un genre nouveau, libres.