Avec le rachat de Talentsoft, Cegid vise le milliard d'euros de CA d'ici trois ans
C'est la naissance d'un géant des logiciels RH en Europe. Le nouvel ensemble représente un chiffre d'affaires de 600 millions d'euros dans le SaaS.
Spécialiste historique des progiciels de gestion intégrée en France, Cegid a annoncé son intention d'acquérir son compatriote Talentsoft. Les modalités financières de l'opération n'ont pas été communiquées. L'opération reste soumise à l'approbation des autorités réglementaires compétentes, une décision qui devrait intervenir d'ici l'été. En s'offrant cette pépite hexagonale de la gestion des talents en mode cloud, Cegid entend se positionner comme numéro un des logiciels de human capital management (HCM) en Europe. "Il s'agit du plus gros rachat conclu par Cegid en termes de chiffres d'affaires", confie André Brunetière, directeur produit et R&D du groupe. Le nouvel ensemble enregistre un revenu de 600 millions d'euros, rien que du SaaS, dont 100 millions d'euros issus de l'activité de Talentsoft.
Partant de là, Cegid affiche pour ambition d'atteindre 1 milliard d'euros de revenus tirés des applications cloud d'ici trois ans. Un géant français du logiciel dans le nuage serait donc en train de naître.
Sur le plan des produits, les synergies entre les deux acteurs sont évidentes. Dans le HCM, Cegid couvre notamment la gestion des déclarations sociales et la gestion administrative des salariés, en termes de contrats, de congés... Ces dernières années, l'éditeur est aussi monté en puissance dans la gestion de la paie. Une stratégie qui est passée par le rachat en 2019 de l'espagnol Meta4, un spécialiste du domaine, avec une offre là-encore 100% SaaS. Talentsoft n'est pas présent dans ces domaines. Quant à Cegid, il propose certes quelques fonctionnalités de gestion des talents, en particulier dans le pilotage de la formation ou du recrutement. Mais sans atteindre le niveau de maturité de Talentsoft sur ce terrain. La plateforme de ce dernier intègre toutes les dimensions du talent management : gestion des compétences, des carrières, management des rémunérations, gestion d'objectifs...
De nouvelles perspectives dans l'IA
Parmi ses derniers développements, Talentsoft a créé un assistant intelligent, baptisé Talentsoft Match, conçu pour réaliser des recommandations personnalisées en termes de formation et d'évolution. Des recommandations tenant compte à la fois du parcours du salarié et de ses aspirations, et des opportunités d'emploi en interne. Le moteur de recommandation sous-jacent fait appel au machine learning pour réaliser ce matching. Une IA qui représente un autre apport de ce rachat, clairement affiché. "Dès l'acquisition entérinée et bouclée, la priorité sera de développer un connecteur entre la plateforme Talentsoft et l'application de paie de Cegid", reconnait Jean-Stéphane Arcis, PDG et cofondateur de Talentsoft. "Mais il est clair que notre base clients commune, à la fois dans la paie et dans la gestion des talents, va nous ouvrir ensuite de nouvelles perspectives en termes d'intelligence artificielle."
L'intégration des deux offres sera facilitée par des choix communs en termes d'architecture : l'environnement de développement de Microsoft et le cloud Azure de ce dernier ont été retenus tant par Cegid que Talentsoft. Une aubaine.
"La création d'un leader français du SaaS va contribuer à rendre moins fragile la French Tech du point de vue des grandes organisations"
Les synergies sont aussi commerciales. Suite à l'acquisition de Meta4, Cegid est présent sur la péninsule ibérique et en Amérique latine. A l'inverse, Talentsoft s'est avant tout développé dans les pays du nord de l'Europe, en Allemagne, au Benelux et dans les pays nordiques.
Mais la France fait également partie des cibles en termes de vente croisée. "Nous gérons 20 millions de bulletins de paie chaque mois, dont un peu moins de la moitié pour le compte d'entreprises basées en France. Il s'agit en majorité de clients de taille intermédiaire qui n'utilisent pas Talentsoft. Or, cette plateforme convient parfaitement à ce type de structure", explique André Brunetière.
Non au rachat par un éditeur américain
Pour Jean-Stéphane Arcis, "la création d'un leader français du SaaS de 600 millions de dollars va parallèlement contribuer à rendre moins fragile la French Tech du point de vue des grandes organisations." Les groupes du Cac 40 en quête de fournisseurs IT présentant une taille critique n'auront plus besoin de se tourner vers les géants numériques américains. "En créant Talentsoft, notre objectif était de proposer une alternative aux solutions californiennes dans la gestion des talents en co-construisant notre offre avec des groupes européens. En rejoignant Cegid, nous conservons et renforçons cette vision. C'est un choix stratégique assumé, avec l'objectif de former un cloud souverain robuste sous législation française", affirme Jean-Stéphane Arcis, qui reconnait avoir été contacté par des providers originaires des Etats-Unis, mais avoir décliné leur proposition. "Nous gérons les données personnelles de millions de collaborateurs en Europe (environ 10 millions, ndlr). Nous avions une responsabilité sociétale. Vendre à un grand éditeur américain, comme Oracle, aurait signifié perdre le pouvoir, sans compter un recouvrement produit potentiellement important."
Rappelons que le siège social de Cegid est toujours basé à Lyon. Son fondateur Jean-Michel Aulas a certes cédé la société en 2017 aux fonds Silver Lake (américain) et Altaone (britannique). Mais tous deux ont acquis le groupe via une entreprise commune, Claudius France, basée à Paris et donc sous juridiction française. Dans sa communication, Cegid se présente d'ailleurs toujours comme une compagnie française.
En termes d'organisation, Talensoft et ses 600 collaborateurs (y compris sa R&D) seront intégrés à Cegid sous forme d'une business unit sur le modèle de ses entités Retail ou Expert-comptable. Une activité qui portera l'effectif global du groupe à 3 000 salariés. Quant à la fusion de la plateforme Talentsoft dans l'offre Cegid, elle n'est pour l'heure pas d'actualité. "Notre vision est plutôt de créer une expérience utilisateur unique, unifiée, sans fusionner les applications ni les données", projette André Brunetière.