Lucie Basch (Cofondatrice Too Good To Go) "Too Good to Go est désormais disponible dans 12 villes aux Etats-Unis"

17 pays couverts et une grosse traction outre-Atlantique, 1 300 salariés, 280 000 repas sauvés par jour et 55 millions de téléchargements : Lucie Basch fait le point sur le développement de l'appli anti-gaspi.

Où en est l'appli anti-gaspi Too Good To Go aujourd'hui ?

Lucie Basch est cofondatrice de Too Good To Go © Too Good To Go

L'application est aujourd'hui disponible dans 17 pays dont les US et le Canada. Près de 55 millions de personnes ont téléchargé l'application dans le monde dont 12 millions de Français.

Sur la page Wikipedia de l'entreprise, il est indiqué que Too Good To Go compte plusieurs cofondateurs dans différents pays. Pourquoi ?

L'histoire de Too Good To Go est effectivement assez singulière. Lorsque j'étais en Scandinavie et que j'ai commencé à chercher des programmeurs, j'ai rencontré plusieurs personnes qui souhaitaient créer un projet similaire. Nous avons décidé d'unir nos forces en créant une seule et même application. Celle-ci a d'abord été lancée au Danemark puis rapidement dans nos pays respectifs. Six entreprises indépendantes ont ainsi été créées au Danemark, en Norvège, en Allemagne, en Angleterre, en France et en Suisse. Un an plus tard, nous avons réalisé qu'il serait plus simple de tous se regrouper sous une entité commune afin de mutualiser nos coûts et nos équipes. Aujourd'hui, la plupart des cofondateurs ont quitté l'entreprise mais restent actionnaires. De mon côté, je suis désormais en charge du développement international. Nous comptons des équipes dans chaque pays dont une importante équipe technique au Danemark et en Espagne et plus de 150 collaborateurs en France.

Quels types de commerces alimentaires visez-vous ?

"L'application permet de sauver l'équivalent de 280 000 repas chaque jour dans le monde, dont 50 000 en France"

Notre mot d'ordre est que tout le monde peut contribuer à la lutte contre le gaspillage alimentaire, peu importe la taille de l'entreprise. L'objectif commun pour tous les commerçants de l'alimentaire devrait être de terminer leur journée avec une poubelle vide. Nous comptons 120 000 commerces partenaires dans le monde dont 30 000 en France, dont à la fois des commerçants indépendants mais aussi de grands groupes. Le ratio va simplement refléter le marché sur lequel on se trouve. Par exemple, le marché italien est composé majoritairement de commerces indépendants. L'application permet de sauver l'équivalent de 280 000 repas chaque jour dans le monde, dont 50 000 en France. Près de 90% des paniers mis en ligne sur l'application sont récupérés. A terme, l'objectif est que n'importe quel commerce alimentaire soit sur Too Good To Go.

Comment vous assurez-vous que les commerçants utilisent réellement votre application pour vendre leurs invendus et non pour générer du chiffre d'affaires additionnel en créant du surplus ?

C'est effectivement un sujet qui nous a donné à réfléchir au début. Nous imposons à nos partenaires de vendre leurs invendus à un tiers du prix habituel, ce qui a pour effet de ne pas les inciter à avoir un grand nombre de paniers à vendre. Concrètement, pour un panier qui contient 15 euros de nourriture, les commerçants percevront 3,90 euros une fois notre commission prélevé, ce qui couvre tout juste leurs frais de production. Sur certaines applications concurrentes, ce sont les commerçants qui fixent le pourcentage de réduction. Nous pensons que la politique mise en place assure que cela ne soit pas intéressant économiquement pour nos partenaires de surproduire. Les notes que nos utilisateurs attribuent à leurs paniers en termes de quantité, de qualité et de service nous permettent de vérifier cela et nous donnent beaucoup d'informations.

Quel est le modèle économique de Too Good To Go ?

"Pour un panier vendu à 5 euros, Too Good To Go prélève 1,09 euro"

Pour chaque panier sauvé de la poubelle, nous prélevons une commission fixe. Concrètement pour un panier vendu à 5 euros, Too Good To Go prélève 1,09 euro. En plus de cela, nous prélevons chaque année 39 euros de frais pour la tenue de chaque compte client. Ce modèle à la commission est intéressant car il est lié à notre impact. En effet, notre principal indicateur de performance est le nombre de repas que nous sauvons, ce qui est plus inspirant et motivant au quotidien pour moi et pour tous nos collaborateurs plutôt que de parler simplement de chiffre d'affaires.

L'entreprise est-elle rentable ?

C'est déjà le cas sur nos plus gros marchés comme la France, les Pays-Bas ou encore l'Angleterre où nous avons atteint la rentabilité assez rapidement. A l'échelle du groupe, l'entreprise n'est pas encore rentable et ce n'est pas forcément notre objectif dans l'immédiat. Nous voulons à court terme continuer d'investir dans notre développement international. A chaque fois que nous nous lançons dans un pays, nous savons que nous nous endettons pour une période de 12 à 24 mois en fonction de la taille du marché. Une fois devenus rentables, ces pays nous permettent de financer les suivants.

En janvier 2021, Too Good To Go a levé plus de 25 millions d'euros, notamment pour financer son développement aux US. Comment les utilisateurs américains ont-ils accueilli l'application ?

"Nous ne sommes pas dans l'urgence de lancer de nouveaux marchés car il nous faut du temps pour apprendre à opérer sur deux continents"

La conscience écologique aux Etats-Unis a un peu de retard par rapport à l'Europe, d'où l'intérêt pour Too Good To Go d'y être présent afin de sensibiliser les utilisateurs américains à ce sujet si important. Nous avons lancé l'application aux US en septembre 2020, en pleine période Covid, d'abord à New York et à Boston. Notre concept y a été très bien accueilli, à tel point que ce fut le lancement le plus rapide que nous ayons réalisé vis-à-vis du nombre de commerçants et d'utilisateurs. Cela nous a donné des ailes et en 2021 nous avons ajouté dix villes supplémentaires parmi lesquelles San Francisco, Chicago ou encore Austin. Aujourd'hui Too Good To Go est disponible dans 12 villes américaines pour un total de 7 000 paniers sauvés par jour. Nous comptons 6 000 commerçants partenaires dont des indépendants mais aussi des grands comptes qui commencent à se lancer dans des initiatives plus durables.

Quelles sont désormais vos ambitions sur ce marché ?

Le marché US montre une très belle traction et un énorme potentiel. La question pour nous désormais sera d'y adapter notre modèle économique car les salaires aux USA représentent souvent le double de ceux des Européens et les montants des investissements marketing y sont aussi plus importants. Parallèlement, le coût de l'alimentation n'est pas beaucoup plus élevé qu'en Europe. Il nous faudra donc réfléchir à la manière d'atteindre, à terme, la rentabilité sur ce marché où nos coûts sont forcément plus élevés. Peut-être que cela nous prendra plus de temps que pour nos marchés européens, mais il est important de démontrer que notre modèle peut fonctionner ailleurs qu'en Europe.

Quels sont les prochains marchés visés par Too Good To Go et quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

En 2022, nous voulons renforcer nos positions aux US, au Canada et sur tous nos marchés européens. Nous ne sommes pas dans l'urgence de lancer de nouveaux marchés car il nous faut du temps pour apprendre à opérer sur deux continents. Avec plus de collaborateurs, nous voulons aussi réfléchir à notre rôle d'employeur alors même que les attentes des collaborateurs vis-à-vis des entreprises ont évolué dans le monde post-covid. Enfin, notre mission est d'aller plus loin que notre application en créant un véritable mouvement de lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous voulons sensibiliser un maximum de foyers mais aussi les entreprises, le monde politique et les écoles.

Nous avons par exemple travaillé sur les dates limite de consommation en créant un pacte qui engage les entreprises et industriels à indiquer sur les emballages la différence entre "à consommer de préférence avant le" et "à consommer jusqu'au". Plus de 63 gros acteurs du secteur ont signé ce pacte et sont en train d'adopter ces pratiques. L'application n'est que le début de notre force initiatrice et notre objectif est d'amener à un changement de mentalité à tous les niveaux.

Ingénieure centralienne, Lucie Basch a commencé sa carrière dans l'agro-alimentaire au Royaume-Uni. Sensible au gaspillage alimentaire, elle décide de quitter son travail et arrive en Norvège avec l'idée de Too Good To Go en tête. Le concept naît au début de l'année 2016 et l'application est lancée en France au mois de juin de la même année.