Annonceurs, voici trois leçons à tirer de la désinfluence

Annonceurs, voici trois leçons à tirer de la désinfluence Pour faire face à la désinfluence, les marques doivent faire évoluer leurs relations avec les créateurs vers une approche one to one, avec moins de pression publicitaire et un marketing plus sobre.

La désinfluence, devenue une véritable trend sur TikTok depuis janvier, notamment aux Etats-Unis, a-t-elle apporté des éléments nouveaux aux stratégies des annonceurs de ce côté-ci de l'Atlantique ? Plutôt discrètes à l'égard de ces prises de parole très critiques à leur égard, les marques ne sont pas pour autant restées indifférentes. Et c'est surtout la prise de conscience de la nécessité de faire évoluer leur manière de recruter et de fidéliser les créateurs qui s'est depuis accélérée.

"La désinfluence vient renforcer et accélérer un virage nécessaire, qui consiste pour les marques à construire une relation de long terme avec une sélection d'influenceurs qu'elles apprendront à connaître et à traiter de façon différenciée. Le seeding à grande échelle a ses jours comptés et la relation doit se construire en one to one", explique Nicolas Chabot, directeur clients, stratégie et partenariats chez Traackr, logiciel de ciblage, analyse et optimisation d'investissements en marketing d'influence servant de grandes marques globales.

Une première mesure concrète conseillée et adoptée par des professionnels du secteur consiste à réduire la surpression exercée sur les créateurs, par exemple dans l'envoi de produits à tester. "Les marques ne peuvent plus faire du marketing d'influence en envoyant des palettes de maquillage et des caisses de produits aux créateurs", asure Nicolas Chabot. L'autre mesure, c'est d'adapter ses demandes et ses stratégies d'acquisition et de fidélisation de créateurs au profil de chacun. "Certains adeptes de la désinfluence sont des créateurs déçus du système. Les marques n'ont pas su créer de relation intime et de confiance avec eux. C'est pourquoi ces dernières deviennent vigilantes, en suivant par exemple des indicateurs de type taux d'abandon (de la marque par les créateurs, ndlr) tout en faisant évoluer leurs pratiques", ajoute-t-il.

Le constat est d'autant plus fort que les thématiques explorées par la désinfluence sont loin d'être nouvelles. "Il y a une cohérence dans les différents formats de la désinfluence, qui n'est finalement pas tout à fait un phénomène nouveau car on a déjà vu cela au début des années 2000. La différence est le contexte économique actuel, qui a contribué à la faire émerger. Le rejet du capitalisme, première forme d'expression de la désinfluence, a été suivi d'autres manières plus nuancées de critiquer le consumérisme : l'anti-haul (le contraire du haul qui consiste à montrer tout ce que l'influenceur a acheté dans un magasin, ndlr), puis plus tard 'les produits que je regrette d'avoir achetés', ou des attitudes plus lifestyle de conseil des produits vertueux etc. sont différentes formes d'expression d'influenceurs qui veulent revenir à une sorte d'authenticité dans leur façon de prendre la parole pour partager des produits qui leur sont chers et faire preuve d'une exigence de vérité et de rejet de la pression des marques", explique Sarah Ngoma, consultante en influence marketing chez Traackr.

Deuxième leçon directement tirée de la désinfluence : la nécessité pour les marques de rechercher des créateurs peu sollicités par d'autres annonceurs, une équation difficile à trouver pour conjuguer notoriété, engagement et absence de pression publicitaire. "Quel intérêt pour les marques de continuer de travailler avec des créateurs déjà saturés de contenus sponsorisés ? La question devient encore plus d'actualité avec la désinfluence", précise Sarah Ngoma. Deux KPI  peuvent aider les marques à prendre ces décisions : la saturation publicitaire des créateurs et la fréquence de leurs mentions de la marque.

Troisième leçon renforcée par la désinfluence : les analystes semblent de plus en plus au courant du fait qu'il est largement temps pour les marketeurs de modérer l'allure de lancement de nouvelles gammes de produits et d'envisager l'adoption d'un marketing plus sobre. "L'autre différence majeure dans cette recherche d'un discours plus vrai, c'est que les marques doivent vraiment fournir à ces créateurs des preuves de leur engagement vis-à-vis de l'environnement et du caractère plus durable de leurs produits et services", ajoute Sarah Ngoma.

Même si elle reste malgré tout circonscrite à un nombre limité d'influenceurs, la désinfluence jouit de l'énorme caisse de résonance qu'est devenue TikTok, plateforme fortement propice à la viralité et donc à l'opportunisme d'autres créateurs qui veulent surfer sur la tendance. Traackr a analysé pour le JDN un échantillon significatif de mentions à la désinfluence durant janvier et février : 66% venaient de TikTok, 20% d'Instagram. Aux Etats-Unis, le boom de la désinfluence a eu lieu notamment en février pour décliner ensuite, selon les statistiques de Traackr.

En France, la tendance pointe le bout de son nez, à en croire Maud Lejeune et Jessica Bouaziz, cofondatrices d'Ad Crew, agence de stratégie d'influence. "Ce mouvement arrive à peine en France. Ce hashtag finira par disparaître au bout de quelques mois encore. Ce qui risque en revanche de rester c'est le format qui consiste à déconseiller des produits, notamment en contexte inflationniste." Ces deux spécialistes tiennent par ailleurs à faire la différence entre désinfluence, critique pure du capitalisme et des marques, de l'influence responsable, qui au-delà de la critique d'un certain modèle de consommation, a à cœur de défendre de produits et des marques respectueuses des valeurs écoresponsables : "L'influence responsable est une niche en plein essor et cela plaît aux marques", concluent-elles.