Pourquoi la loi de finances 2013 m'incite à ne plus investir dans de nouvelles start-up

Après mûres réflexions, des semaines militantes au nom des "geonpis", puis des discussions dans les corridors de l’administration, je souhaite dire pourquoi la loi de finance 2013, finalement votée, insuffisamment amendée, m’incite à ne plus investir dans aucune nouvelle start-up à compter de cette année.

Le PLF 2013 est donc devenu la Loi de Finance 2013, prévoyant dans son article 6 une sur-taxation des plus values en France. Cette mesure de pseudo-solidarité, est un non-sens économique qui va restreindre le financement, et donc la naissance de jeunes entreprises en 2013. Demandons-nous pourquoi nous n’avons pas été capables d’amender la loi, malgré la mobilisation de 75000 pigeons.
En tant que porte-parole de ce mouvement j’avais œuvré fin 2012 avec 5 camarades rédacteurs (*), à l’appel à signature du Manifeste des 3000 entrepreneurs pour une concertation.

Nous voulions, au-delà de la fiscalité, imprimer un changement sociétal, faire entendre une voix et modestement changer la perception de la figure de l’entrepreneur, à gauche comme à droite. Essayer d’apporter plus de maturité économique au débat politique malgré le côté nécessairement provoc d’une page Facebook comme celle des geonpi.
Pour ma part, je souhaitais expliquer au mieux les risques encourus dans l’aventure de la création d’entreprise.

Les entrepreneurs, une minorité comme une autre ?

La comparaison avec le manifeste des 343 salopes paru en 1971 dans le Nouvel Obs, en faveur de la reconnaissance de l’avortement, peut faire sourire ! Voire rire ! Bien sûr le combat législatif des entrepreneurs est plus dérisoire, et moins noble que ne l’était celui des féministes. Cette comparaison et ces limites n’engagent que moi. Mais à notre époque, seules les images excessives et les raccourcis sont des véhicules efficaces.

En réalité, la seule légitimité de cette analogie réside dans la difficulté à aborder sereinement  certains thèmes en société: celui de l’argent, comme celui de la sexualité. Quand on est entrepreneur, on est perçu, sans nuance, comme un « patron », enfermé dans une catégorie estimée aisée, et souvent jalousée. Les litres d’encre et de salive ont coulé en 2012 pour dénoncer les dérives, les hautes rémunérations, le « racisme »,  l’intolérance… Toute une rhétorique empruntée au combat des minorités, qui  m’a rappelé la lutte des femmes pour disposer librement de leurs corps ou celle des homosexuels pour l’égalité de leurs droits. Le concept de « chasse aux sorcières » a la vie dure. Et souvent on a eu raison de dénoncer des excès du capitalisme incontrôlé.

Cependant, les entrepreneurs, toujours ambitieux, souvent petits, n’ont pas apprécié d’être assimilés aux « riches », d’être perçus comme des « traders » court-termistes et opportunistes. Les affaires Depardieu, Arnault, ou Lévy, les saillies excessives du MEDEF les ont desservis. Bien sûr les entrepreneurs ne sont  pas des enfants de cœur, mais ils créent de la valeur en recherchant leur propre succès, en vivant leur propre aventure (souvent collective). Et ils ne réclament pas de ne pas payer d’impôts, mais un impôt économiquement justifiable.
Que l’aventure soit court terme ou long terme importe peu : le pragmatisme ici doit prévaloir…

Malgré tous nos roucoulements, seul un pas de nain a été franchi.

Certains d’entre nous ont bel et bien été  reçus (**) en haut lieu… Seulement voilà, il fallait que la loi passât car nous sommes en crise profonde… et il fallait des exemples, certains diraient des boucs émissaires. Donc nos tentatives de pédagogie se sont trouvées inaudibles.
Pour le gouvernement et les députés il s’est agi de justifier le dogmatisme du principe d’alignement fiscal du capital et du travail.

Risque, nuance et efficacité

Je ne suis pas spécialiste d’économie publique donc l’idée générale de ma thèse restera simpliste : pour sortir de la crise mettons-nous collectivement en danger et valorisons l’idée de « prise de risque » à tous les niveaux de la société.

… Une autre idée sous-jacente serait qu’il est vital, encore et toujours, d’introduire de la nuance dans la finance et de l’efficacité dans les dépenses publiques.

On pourrait développer l’idée de réduire le mille-feuille administratif sans sacrifier la qualité des services publiques à la française, et la solidarité qui rend notre pays exceptionnel à bien des égards ; ou encore l’idée d’introduire davantage de flexibilité dans le monde du travail, autant en faveur des salariés que des employeurs etc. etc. En général il me semble que chercher à augmenter le nombre d'emplois dans le secteur privé serait une direction intéressante pour désendetter la France et lutter contre la paupérisation de notre population.
Ces débats sociétaux difficiles passionneraient le social-démocrate que je suis.

« Efficacité » et « risque » ne sont pas des gros mots, ni le privilège du secteur privé. Ils ne sont pas même des synonymes de « recherche de profit », n’en ayons pas peur ! Ce sont des mots que les entrepreneurs pourraient contribuer à valoriser partout dans le tissu social français.

Parmi les mesures nécessaires, encourager les secteurs économiques porteurs...

...de croissance devrait être une obsession politique en France.  Préserver un écosystème créateur d’emplois était le combat des #geonpi qui, en s’opposant au PLF 2013 cherchait à développer le dynamisme d’un secteur encore fragile, mais d’avenir.

- Pour encourager la création d’entreprise de croissance, la recherche de financement est clé.
- Pour inciter au financement, il faut que les investisseurs y trouvent un intérêt… par comparaison avec les autres produits financiers existants.
- Pour motiver des investisseurs intéressés par des sociétés « en train de naître », on ne peut s’adresser qu’à des particuliers sensibles à cette phase d’ « amorçage ».
- La France en recense moins de 10 000 quand l’Angleterre en revendique 50 000 (ce sont les fameux "business angels").

La fiscalité, en plus de redistribuer, et plutôt que de confisquer, pourrait « diriger les flux » financiers.

Diriger non pas au sens de « commander », mais de « montrer la direction ». Il s’agirait alors de désigner les secteurs en croissance, la France de demain, puis de motiver la prise de risque. De lutter contre la frilosité, contre l’argent dormant.

Si on a la chance d’avoir (encore) en France une partie de la population suffisamment riche pour investir, on aurait avantage à l’inciter, presque à la contraindre, à financer l’économie productive.
Aujourd’hui, il semble que les fortunés trouvent un intérêt à s’exiler, parfois trop bruyamment, ou à devenir de discrets rentiers à la fiscalité sur-optimisée… Bref à faire toute autre chose que d’investir dans l’économie réelle, comme les PME de croissance.

La jeune « génération pigeon » n’a plus de complexe, ce sont les investisseurs qu’on décourage !

Les entrepreneurs ne vont pas arrêter d’entreprendre, la flamme créatrice ne s’éteindra pas : elle ira s’allumer ailleurs, là où elle trouvera des fonds pour l’alimenter.

L’idée de taxer les entrepreneurs et les business-angels sur leur plus-value à  hauteur de 62,5% sur la tranche marginale (certes, malgré quelques amendements insuffisants de dernière minute sur la durée de vie de l’entreprise), me décourage, je dois le reconnaitre officiellement.
J’admets que quand j’ai investi en tant qu’ « angel » dans 19 start-ups, c’était aussi en rêvant que celles-ci « touchent les étoiles » : sky is the limit ! Un mélange de calcul égoïste, de prise de risque, d’aventure humaine et de rêve mégalo. Bref, de l’économie décomplexée…  Mais pas de la finance sans nuance à la microseconde, pas du casino, pas de la rente.

Une loi de finance favorisant l’avortement ou la contraception !

Qualifions cela d‘eugénisme entrepreneurial.  On peut se permettre de dénoncer cette mesure comme une politique de dénatalité, comme une difficulté supplémentaire à exister et à se faire reconnaitre…  Je conseille de relire début 2013 : Patrick Robin, qui avait dénoncé son mal-être identitaire en tant qu’entrepreneur. Jean David Chamboredon, qui avait désigné cette loi d’« anti start-up », Jacques Attali, qui avait trouvé la juste formule de « Suicide fiscal ».
 J’ai bien conscience des excès absurdes de ces images. Mais la réalité mathématique m’oblige aujourd’hui à reconnaitre que je ne peux plus (sur le plan patrimonial) continuer d’investir dans des start-ups puisque « on » ajoute à mon risque un niveau de fiscalité en croissance de 80% par rapport à l’an dernier: mes potentielles plus-values (très incertaines et à long terme) diminuées des impôts ne sauraient couvrir mes pertes, car, statistiquement, il y aura des pertes.
Une telle augmentation potentielle fausse la donne : elle est injuste et imprévisible. Je dénonce au passage l’instabilité et la complexité de notre fiscalité française, angoissante et labyrinthique. Notre démocratie réclame plus de transparence et de lisibilité !

Aujourd’hui l’investissement immobilier, les assurances vies,  les placements boursiers courts termes à visée de distribution de dividende, ou le marché de l’art sont moins taxés et moins risqués. Bref on marche sur la tête. Sans queue ni tête ? Oserai-je parler de safe-sexe financier. Sortez couvert, investissez couvert, bienvenue dans un monde terne avec un horizon en mur de briques.

Une décision amère et une idée constructive

Un peu théâtral, un peu ridicule et très amer, je déclame que la promotion 2012 (***) des start-ups financées par des business angels étaient la dernière en ce qui me concerne. Non je ne quitterai pas la France, mais je « risque » de devenir  un citoyen endormi et peu fertile en 2013…

A moins que les futures Assises du Numériques qui nous sont annoncées nous permettent d’entrevoir une politique courageuse et visionnaire, porteuse de choix forts et futuristes ?

Une idée concrète pour conclure : si on créait un véritable  « PEA-PME » ? Serait-ce du « lateral thinking » ? Un véhicule financier incitatif et grand public, déplafonné et sans contrainte de temps, accessible autant aux entrepreneurs qu’à leurs investisseurs privés, et destiné financer les jeunes PME françaises et européennes qui ne distribuent pas de dividende, mais qui investissent dans leur croissance? Trop pragmatique ? Trop risqué ?

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(*) Jean-David Chamboredon/ ISAI, Philippe Collombel/ Partech Ventures, Marie Ekeland/ Elaia, Marc Menase/ Menlook,  Patrick Robin/ 24h00

(**) … reçus par Christian Eckert (rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée Nationale), par Neelie Kroes (Vice Présidente de la Commission européenne),  par Philippe Marini (Président de la Commission des finances du Sénat), d’autres par des membres du gouvernement, Fleur Pellerin, Jérôme Cahuzac , ou même à l’Elysée (pas en plus haut lieu, mais tout de même la porte s’est entr’ouverte).

(***) L’avortement fiscal par la démonstration : la promotion 2012 des tours de table « 100% business angels » auquel j’ai participé dans le secteur numérique. Sans Business angels, ses dossiers n’auraient pas pu être « amorcés »… ces start-ups auraient été avortées, alors qu’ aujourd’hui elles existent bien vivantes et pleines de promesses :

Wondercity : un portail communautaire à destination des parents exigeants  et des cyber-mums qui veulent éveiller leurs enfants dans la jungle de nos grandes viles.

The Tops : le e-commerce nouvelle génération via des recommandations formulées par des experts dans chaque domaine.

ZeGive : une solution technologique évidente pour faciliter les micro-dons en ligne en créant la passerelle entre les sites webs et les associations.

Kameleoon : une technologie de test (AB testing) des sites internet pour accroitre l’ergonomie et les taux de conversions.