Les huissiers passent à la signification électronique, quelles sont les conséquences ?
Avocats et magistrats correspondent désormais exclusivement par courrier électronique via un réseau privé virtuel. Un décret du 15 mars 2012 tente à présent de bouleverser les habitudes centenaires des huissiers. Un maillon stratégique de la chaine judiciaire.
Les professions judiciaires entrent peu à peu dans le 21ème siècle ! Alors que les avocats et les magistrats correspondent désormais exclusivement par courrier électronique dans le cadre d'un réseau privé virtuel, le décret du 15 mars 2012 relatif à la signification des actes d'huissier de justice par voie électronique et aux notifications internationales tente de bouleverser les habitudes centenaires de ces praticiens, indispensables en matière de délivrance et d'exécution des décisions de justice.Pris en application d'une loi du 22 décembre 2010, le
texte crée en effet, au côté de la traditionnelle signification par voie
papier, une signification par voie électronique. Miracle de modernité, ceci signifie
que l'on pourra désormais recevoir une assignation, un jugement, une sommation,
etc. par courrier électronique et non plus par un huissier en personne. Témoin
de cette innovation, l'article 653 du Code de procédure civile énonce désormais
que "la signification est faite sur
support papier ou par voie électronique".
Toutefois,
les conditions de mise en œuvre de cette petite révolution pourraient la priver
d'effets en pratique. La notification dématérialisée, mise en place par ce
décret, est calquée sur les principes généraux déjà posés par l'article 748-6du Code de procédure civile, applicable à la communication par voie
électronique, qui dispose que "les
procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par
arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de
l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des
documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la
conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière
certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire".
Or, pour que l'identité du destinataire puisse être
garantie, le texte implique que ce dernier ait préalablement consenti à la
notification par voie électronique. De la sorte, aucune notification par voie
électronique ne pourra avoir lieu si le nom du destinataire ne figure pas d'ores
et déjà dans un fichier tenu et mis à jour par la Chambre nationale des
huissiers de justice, chargée de recueillir les déclarations des personnes qui
consentent à la signification par voie électronique.
Dans ces conditions, on voit mal comment la
signification des décisions de justice pourrait se développer par ce biais. Qui
voudra en effet faciliter le travail d'un huissier en permettant qu'une
assignation ou un congé lui soit transmis par e-mail ? En général, dans ce
genre de cas, on cherche plutôt à échapper à l'officier ministériel…
Cela étant, à supposer que le destinataire ait
consenti à la signification, le texte prévoit que la signification devra faire
l'objet d'un accusé de réception électronique indiquant la date et l'heure de
celle-ci. La signification est dite "à personne" si le destinataire
prend connaissance de l'acte le jour de la transmission. S'il en prend
connaissance postérieurement ou s'il n'en prend pas connaissance, la
signification est réputée faite à domicile et l'huissier de justice doit alors
avertir le destinataire de l'acte par lettre simple mentionnant la transmission
par e-mail, la nature de l'acte et le nom du requérant, le premier jour
ouvrable après la signification électronique.
Ce nouveau procédé entrera en vigueur au 1er
septembre 2012, sous réserve de l'adoption d'un arrêté du Garde des Sceaux.
Par ailleurs, il est à noter que ce texte contient
une autre innovation, peut-être plus importante que la précédente pour la
pratique des officiers ministériels. Le décret prévoit que l'huissier reste
désormais en possession d'un unique original et délivre des
"expéditions". Ceci marque la fin des "minutes" conservées
en étude, des "seconds originaux" et des "copies", ce qui
devrait contribuer à la sauvegarde d'une bonne partie des forêts françaises au
vu de la consommation assez impressionnante de papier par les professions
judiciaires.