"Main basse sur la culture" : trois extraits inédits Netflix : des politiques sereins, des patrons de chaîne remontés
« Avant de débarquer dans l'Hexagone, les dirigeants de Netflix ont rencontré de nombreuses personnalités politiques, ou de l'audiovisuel et du cinéma. Christopher Libertelli, chargé des "affaires publiques", gère le lobbying. Il a ainsi été reçu, avec David Hyman, le general counsel (secrétaire général) de l'entreprise, par David Kessler, alors conseiller culturel de François Hollande, à l'Élysée, à l'automne 2013. "En France, dès que l'on touche à l'audiovisuel ou au cinéma, c'est sensible !", les a avertis David Kessler. Les deux hommes cherchaient alors à comprendre les spécificités du système français de financement de la création par l'audiovisuel.
Un conseiller de Hollande, à propos de l'arrivée de Netflix : "Ce ne sera pas un drame absolu"
Au fond de lui, l'ancien conseiller de François Hollande ne croit pourtant pas au danger Netflix pour un groupe comme Canal+. Il pense que le site manque notamment de productions "fraîches", malgré des séries comme House of cards ou Orange is the new black. "Ce ne sera pas un drame absolu", lâche-t-il en privé, même s'il anticipe un impact pour les services payants de vidéo à la demande. Les lobbyistes de Netflix ont également rencontré la ministre Aurélie Filippetti et le président du CSA Olivier Schrameck. "Netflix ne sera pas soumis à nos régimes d'obligations", nous a confirmé Francine Mariani-Ducray, membre du CSA, dès mai 2014. Lors de l'entrevue avec Olivier Schrameck, "il était déjà clair que leur intention n'était pas de s'installer en France", précise-t-elle. "Netflix a toutefois sans doute besoin d'une production française pour attirer une clientèle en France."
Bertrand Méheut (Canal+) : "Il est vital d'alléger certaines des contraintes qui pèsent sur les groupes français"
Aux yeux du milieu du cinéma, Netflix apparaît surtout comme un risque pour Canal+ et son modèle voisin d'offre payante de films et de séries. C'est toute la filière qui tremble à l'idée de voir son principal bailleur menacé, même si le nom de Netflix est presque tabou au sein de la chaîne cryptée. "Ce n'est pas seulement le groupe Canal+ qui doit affronter la concurrence des nouveaux acteurs américains, c'est l'ensemble du secteur audiovisuel français", nous déclare le président du groupe, Bertrand Méheut. "Ces groupes venus du monde de l'Internet sont très puissants sur le plan financier car leur modèle économique est mondial et s'appuie sur des cadres réglementaires et fiscaux plus favorables que ceux en vigueur dans notre pays. Dans ce contexte, il est vital d'alléger certaines des contraintes qui pèsent sur les groupes français, pour qu'ils puissent se battre à armes égales." Un ancien de la maison devenu P-DG de la Fnac, Alexandre Bompard, ne veut, lui non plus, pas croire au danger : sa propre "expérience" face à Amazon montrerait selon lui que "la résistance est possible". "Je ne doute pas qu'ils sauront trouver des voies de développement et d'innovation pour s'adapter à cette nouvelle situation, dès lors que Netflix sera soumis aux mêmes règles qu'eux. Cette concurrence vous pousse à être encore plus créatifs et innovants", confie-t-il.
Rémi Pflimlin (FranceTV) : "C'est un concurrent, et moi la concurrence ne me fait pas peur !"
"Il est clair que les chaînes françaises ne peuvent pas lutter en ayant des contraintes supérieures à celles de leurs concurrents étrangers", renchérit Rémy Pflimlin. Lorsqu'il nous reçoit en mai 2014, le P-DG de France Télévisions reconnaît pourtant des "discussions informelles" avec Netflix, qui cherche alors à racheter des catalogues de cinéma. "C'est un concurrent, et moi la concurrence ne me fait pas peur !", ajoute-t-il de son côté. "Ces concurrents ne jouent pas notre rôle de mass media." »
Extrait de "Main basse sur la culture", Editions La Découverte, 280 pages, 19,50 €