Alexandre Pachulski (Talentsoft) "Microsoft est dans une meilleure situation que Meta pour proposer un métaverse orienté vers l'entreprise"

Le Journal du Net est partenaire du Mastercard Innovation Forum 2022, organisé le 8 décembre à Paris. Invité à l'événement, l'emblématique cofondateur de TalentSoft nous livre sa vision du Web3.

JDN. Croyez-vous au métaverse ?

Alexandre Pachulski est cofondateur de TalentSoft. © API COMPANY

Alexandre Pachulski. Mon rapport au métaverse est comparable à celui que j'entretiens avec l'IA. Tout dépend de ce qu'on va en faire. Deux questions fondamentales se posent. D'abord est-on aujourd'hui dans une situation différente de celle de Second Life (un métaverse 3D né en 2003, ndlr) ? Sur ce point, la situation est aujourd'hui différente à deux titres. D'une part, la technologie permet désormais une expérience beaucoup plus immersive. D'autre part, l'hybridation du travail qui a émergé ces deux dernières années engendre la nécessité d'expériences collaboratives à la fois distancielles et immersives. Le succès des Zoom, Meet et Teams prouvent que ce besoin est bien présent. Nous avons là un cas d'usage qui manquait à Second Life. Il ne suffit pas de proposer un bel environnement. Sans but, sans imaginaire, le métaverse n'a aucun sens.

Partant de là, la seconde question est de savoir si le métaverse peut représenter dès maintenant une meilleure solution que les services de visioconférence. En ce qui me concerne la réponse est en général non. Dans certaines configurations seulement, cette solution peut se révéler meilleure. Dans le cas où deux individus géographiquement éloignés se lancent dans la création d'une société, le métaverse peut être intéressant dans la mesure où il recrée le sentiment d'être ensemble dans le même bureau. Il pourrait également être très pertinent pour renouer le lien social à un moment de l'histoire de l'humanité où beaucoup de populations se sentent très isolées.

Généraliser le métaverse n'a-t-il selon vous aucun sens ?

A l'heure où la crise environnementale et le réchauffement climatique s'accélèrent, à l'image du jour du grand dépassement (date à partir de laquelle l'humanité a consommé l'ensemble des ressources que la Terre peut reconstituer en une année, ndlr) qui est intervenu le 28 juillet 2022 , des entreprises considèrent intéressant d'étendre l'espace de consommation à un monde virtuel. Partant du principe qu'il va falloir consommer un peu moins dans le monde réel, elles comptent sur les métaverses pour que les populations achètent des produits dans un univers numérique sans limite. Le métaverse (qu'elles promeuvent, ndlr) s'inscrit dans une logique de surconsommation.

Au lieu de proposer une expérience immersive qui permette de réduire les déplacements sans impacter la productivité ni le plaisir de travailler ensemble, ces entreprises entendent faire de l'argent dans un univers qui n'existe pas. Avec toutes les conséquences économiques, cognitives et environnementale que cela engendre. Sachant qu'un tel métaverse consommerait, de fait, de l'énergie de manière exponentielle. On peut d'ailleurs se demander si les fonds, les business angels ou la BPI doivent abonder de manière équivalente pour une activité numérique contribuant à réduire l'emprunte carbone, telle Blablacar, que pour une société qui va vendre des panneaux d'affichage ou des chaussures dans le métaverse. Est-ce que ce modèle a sa place dans le Next40 ? Je ne suis pas un chantre de la décroissance, je pense simplement qu'il faut joindre l'utile à l'agréable.

Dans le collaboratif, plusieurs cas d'usage ont fait leurs preuves en matière de métaverse, par exemple le co-design de produits par une équipe distribuée ou encore la répétition d'une procédure de maintenance de réacteur nucléaire en environnement immersif…

Votre second exemple est édifiant. Il répond aux problématiques de gestion des risques au travail et de pénibilité dans un secteur aussi important que l'énergie. On peut revenir ici à une forme de compagnonnage en permettant à une équipe distribuée de se réunir humainement pour partager des techniques, des gestes, des connaissances, qui pourraient être d'ailleurs valorisés par le biais de NFT ou sous forme de troc. Ce cas d'usage rejoint la notion de progrès qui consiste à utiliser des innovations pour le bénéfice du bien commun. On est à l'opposé d'un métaverse conçu pour vendre des produits virtuels, jouant sur le narcissisme et l'individualisme, un environnement synonyme de souffrance, de suicides et de burn out. Cette vision est irresponsable.

"Pour moi, le web3 devrait permettre à chacun de bénéficier des fruits de ce qu'il produit"

Au-delà de ce cas d'usage dans le nucléaire, il y a beaucoup d'autres domaines où le métaverse pourrait être pertinent. Dans le retail par exemple, il permettrait de mettre un vendeur en situation en le confrontant à un consommateur capricieux, au comportement totalement non-déterministe. Un consommateur qui pourrait être joué par une IA. Vous lui permettez ainsi de s'améliorer, de devenir meilleur, avec une économie de temps et d'énergie fabuleuse.

Meta développe une vision du métaverse pour les professionnels...

Jusqu'ici, Meta a rarement réussi à pénétrer le monde professionnel. Son seul produit qui fait exception sur ce segment, c'est Workplace (la déclinaison de Facebook pour l'entreprise, ndlr). Sur ce point, ils ont réussi un beau coup. Ils ont compris qu'en adaptant à l'entreprise un environnement que tout le monde utilise, la sauce prendrait. Meta a en revanche échoué sur le segment des RH et de la formation.

Microsoft est dans une bien meilleure situation pour proposer un métaverse orienté vers l'entreprise. Avec Teams, il a réussi un pari phénoménal. Satya Nadella (PDG de Microsoft, ndlr) a compris la puissance du cloud. Etant un ancien du produit, il avance par cas d'usage en étant très à l'écoute de l'écosystème et des clients sans mettre la charrue avant les bœufs. Microsoft a commencé à intégrer un métaverse dans Teams avec Mesh. Il pourrait bien accélérer rapidement comme il l'avait fait avec Teams (en y intégrant Skype for Business, ndlr) et générer un taux d'adoption bien supérieur à celui de Meta.

Vers quoi devrait idéalement tendre le Web3 selon vous ?

Pour moi, le Web3 devrait permettre à chacun de bénéficier des fruits de ce qu'il produit. C'est l'inverse du web 2.0 dans lequel celui qui produit se voit déposséder de sa production qui est revendue par les annonceurs. Avec l'émergence du Web3, les organismes de régulation (de l'Internet, ndlr) doivent être remis à plat, et chacun retrouver un pouvoir citoyen et égalitaire. L'internaute devrait recevoir un nombre de tokens correspondant à la consommation de la ressource virtuelle qu'il aura produite. C'est l'avènement de l'économie du partage décrit par Michel Bauwens.

En termes d'outillage, il sera probablement nécessaire de passer du casque à des lentilles de réalité virtuelle, beaucoup plus légères, maniables et acceptables pour l'utilisateur. Des lentilles qui soient orientées réalité augmentée. L'idéal serait en effet de pouvoir projeter sur une chaise devant son bureau physique ses interlocuteurs recréés en 3D. Et non pas de se retrouver sous forme d'avatars dans un environnement virtuel.

Alexandre Pachulski est cofondateur de TalentSoft, plateforme SaaS de gestion des talents. Il en est le chief product officer jusqu'au rachat de la société par l'éditeur de progiciels de gestion Cegid en juillet 2021. Titulaire d'un doctorat en science informatique à l'Université Dauphine, Alexandre Pachulski a été précédemment président d'O2 Consulting de 2001 à 2007, année de la création de TalentSoft. Depuis novembre 2021, il est producteur associé au sein du studio de cinéma TimpelPictures. Il est aussi administrateur de France Digitale et de Willa. Enfin, il a signé trois livres : "Unique(s) : Et si la clé du monde de demain, c'était nous ?", "Génération I.A.", tous deux chez E/P/A, et "Start-up Story - Le guide pop culture de l'entrepreneuriat" chez Diateino.