Vincent Létang (Magna) "Magna baisse ses prévisions de croissance des investissements pub suite au ralentissement des grandes plateformes"

Vincent Létang, directeur de la prévision mondiale de Magna (IPG Mediabrands), explique pourquoi il diminue la prévision de croissance 2022 du marché publicitaire de 14,7% à 7,3%, quand Zenith et GroupM sont optimistes.

JDN. Magna a révisé à 7,3% contre 14,7% en décembre ses prévisions de croissance des investissements publicitaires en France cette année, alors que Zenith (Publicis) a gardé le même cap, de 8,1%, et que GroupM a même revu à la hausse ses prévisions (11,1% contre 5,1% en décembre). Comment expliquer que votre dernier rapport revoit si fortement à la baisse vos prévisions pour 2022 ?

Vincent Létang. La question se pose en effet sur les chiffres que nous avons dévoilés en décembre (Magna prévoyait alors une croissance de 14,7% des investissements publicitaires en France en 2022, ndlr). Nous étions sans doute plus optimistes. En réalité, nous avons constaté a posteriori que sur les quatre premiers mois de l'année les investissements numériques ont été plus faibles que prévus. Sans compter les perspectives macroéconomiques, moins positives. Ces deux facteurs nous ont poussés à revoir nos prévisions pour 2022 à la baisse.

A vous entendre, ce sont des logiques propres au numérique qui ont vraiment pesé sur cette révision à la baisse, beaucoup plus que les facteurs macroéconomiques et même plus que la guerre.

Tout à fait, la conjoncture économique et sécuritaire participe à cette révision mais c'est un facteur parmi d'autres. La principale raison à cette baisse n'est ni la guerre en Ukraine ni le contexte économique. C'est surtout un ralentissement observé chez les médias numériques, et notamment chez les grandes plateformes, dont Google, Meta et Amazon, essentiellement en raison d'une plus grande limitation du recours aux données des utilisateurs à des fins publicitaires. Nous avons constaté que Google, Facebook et Amazon ont tous publié des résultats plus faibles que prévu. L'effet sur le marché des restrictions en matière de collecte des données et de ciblage s'avère plus fort qu'anticipé. De plus, très clairement, la nouvelle politique d'Apple pour le consentement en environnement in-app participe fortement à limiter la capacité de ciblage de ces applications, les rendant moins attractives pour les annonceurs.

Une hausse de 7,3% des investissements publicitaires dans le contexte actuel peut-elle être interprétée comme une nouvelle malgré tout positive ?

C'est malgré tout une excellente nouvelle qui démontre les capacités de croissance inhérentes au marché publicitaire. Cela s'observe dans le temps. Prenons l'exemple de 2020. Nous aurions pu nous attendre à un véritable effondrement des investissements publicitaires à cause de la pandémie mondiale. Or, le marché est resté stable. Là, c'est pareil, même si la croissance des investissements publicitaires ralentit, des nombreux formats continuent de l'alimenter.

"L'effet sur le marché des restrictions en matière de collecte des données et de ciblage s'avère plus fort qu'anticipé"

Je pense à la vidéo numérique (+12%), adoptée désormais par un nombre plus important d'annonceurs, grands comme petits, et au search (+12%), alimenté notamment par l'essor continu de l'e-commerce sur toutes les catégories de produits, y compris les FMCG, stimulant les investissements publicitaires pour le bas du tunnel de conversion. Les médias sociaux devraient quant à eux enregistrer +5% avec TikTok captant la croissance de Facebook. Je pense également à la télévision (+5%), grâce à la croissance continue des investissements dans la publicité numérique et ciblée.

Par ailleurs même si la conjoncture économique et industrielle est mauvaise pour des secteurs tels que les biens de grande consommation FMCG et l'automobile, d'autres branches compensent cet état de faits. C'est le cas du cinéma et de l'industrie de l'entertainment en général, des paris sportifs et du voyage.

Contrairement à Zenith ou à GroupM, la France reste en dessous des moyennes mondiales dans vos prévisions. Pourquoi ?

La différence n'est pas significative : avec 7,3%, la France est très bien positionnée par rapport à la moyenne mondiale (+9%), mieux d'ailleurs que l'Allemagne (+6%) ou l'Italie (+3%), ces dernières souffrant le plus de l'environnement économique post-Ukraine. On peut considérer que les conditions sont globalement les mêmes, et notamment pour ce qui est des facteurs de croissance organiques inhérents au marché publicitaire et numérique. L'accès aux datas est tout compte fait compliqué partout !