Miguel Angel Gonzalez Gisbert (Carrefour) "L'activité retail média de Carrefour ne ralentit pas, bien au contraire"

Selon le directeur de la technologie et de la data du groupe Carrefour au niveau mondial, présent au salon Tech for Retail à Paris, la data est un atout de taille dans les négociations du groupe avec ses fournisseurs.

JDN. Comment la data permet-elle à Carrefour et ses fournisseurs de continuer à parler avec efficacité à leurs clients et prospects dans ce contexte économique tendu ?

Miguel Angel Gonzalez Gisbert, directeur de la technologie et de la data du groupe Carrefour au niveau mondial. © Carrefour

Miguel Angel Gonzalez Gisbert. Nous vivons en effet un moment très particulier. Nos clients arrivent au bout d'une chaîne qui implique différents acteurs (producteurs, transporteurs, distributeurs). Nous avons la responsabilité d'atténuer au mieux l'impact de l'inflation et la data y contribue énormément. Notre data est extrêmement riche, elle est au coeur de la transformation digitale de Carrefour. Carrefour, ce sont 80 millions de clients dans les huit pays où la marque opère de manière directe et intégrée (France, Italie, Belgique, Brésil, etc., ndlr.), dont 50 millions disposant d'une carte de fidélité. Toute cette masse de données nous permet d'agir à trois niveaux : sur les prix, sur les promotions et sur l'accès aux meilleures offres.

Pouvez-vous nous en donner un exemple concret ?

Nous avons lancé en France début novembre le bouton "Défi anti-inflation" sur notre site. C'est un moteur de recommandation de produits alternatifs similaires à ceux choisis par le consommateur mais moins chers. L'idée est née cet été. Nous nous servons de la puissance des données que nous avons pour recommander de manière neutre et factuelle des produits alternatifs d'autres marques et de notre marque propre avec des caractéristiques les plus similaires possibles. Un nouvel algorithme a été développé pour cela. Les premiers résultats sont encourageants : un tiers des clients qui cliquent sur ce bouton acceptent nos recommandations, un taux d'activation très significatif. Ce bouton est affiché sur environ 8 000 produits proposés, selon le magasin, et ce chiffre ne fera qu'augmenter.

Au-delà du bénéfice apporté à vos clients, ces outils ont-ils un impact pour préserver vos recettes ?

La data génère bien sûr un impact positif pour le groupe. On constate que le bouton anti-inflation est bien reçu par nos clients. Et si c'est bien pour eux, c'est forcément bon pour nous aussi. Dans l'autre sens, une mauvaise donnée de stock aura un impact négatif sur notre activité : le consommateur ira acheter le produit ailleurs avec tout ce que cela implique de manque à gagner pour nous. La qualité de la donnée exerce un impact direct sur l'activité des points de vente, le commerce en ligne, la supply chain, etc.

A quel niveau le retail media - activité possible grâce à votre data - contribue-t-il à vous permettre de rester résilient face à la crise ?

Comme le dit notre PDG Alexandre Bompard, nous souhaitons devenir un "Carrefour d'audience". A travers le retail média et notre activité Carrefour Links, la data nous permet de renforcer nos liens avec nos fournisseurs en nous ouvrant de nouvelles possibilités. Très concrètement, elle nous permet de transformer nos fournisseurs en partenaires. La relation entre distributeurs et fournisseurs implique des négociations et le retail média vient nous aider à l'influencer positivement. La raison est simple: grâce au retail média, le produit est affiché au consommateur au moment où il est tout près de l'acte d'achat. Et cela est un atout énorme pour nos fournisseurs qui ne disposent pas de cet accès direct.

"Le data lake du groupe nous permet de consolider 8 milliards de tickets de caisse"

Le retail média devient-il central pour vous ?

Oui, tout à fait. Cela fait plusieurs années que nos fournisseurs activent nos données mais le lancement de Carrefour Links l'année dernière répond à une ambition beaucoup plus grande. C'est un nouveau business très significatif qui devrait générer 200 millions d'euros additionnels à notre résultat opérationnel courant d'ici 2026. Entre 2022 et 2020, nous avons observé une évolution importante de nos revenus publicitaires. Ces trois dernières années, nous avons construit le data lake du groupe qui nous permet de consolider 8 milliards de tickets de caisse, il s'agit là d'une information précieuse dont nous ne disposions pas avant. Le type d'outil que nous mettons à disposition des fournisseurs a énormément évolué, y compris pour la mesure de l'impact des campagnes.

Nous savons que beaucoup d'annonceursalisent des coupes sévères dans leurs budgets, notamment ceux de l'alimentaire. Observez-vous cela aussi dans vos activités e-retail media ?

Nous n'observons pas de ralentissement dans nos activités retail média, bien au contraire, l'activité reste forte, avec l'arrivée de nouveaux partenaires et de nouveaux contrats. Le retail média bénéficie d'un changement du mix publicitaire par des annonceurs qui cherchent des leviers plus performants. Cette dynamique positive nous encourage à investir et c'est pour cela que nous avons lancé récemment notre joint-venture avec Publicis, qui nous permettra d'accélérer encore sur ce sujet.