Christophe Blot (Cdiscount Advertising) "80% du chiffre d'affaires marketplace de Cdiscount est réalisé avec des vendeurs qui investissent en retail media"

La stratégie de Cdiscount d'accélérer sur l'activité marketplace a complètement modifié le modèle de sa régie de retail media qui sert aujourd'hui dix fois plus d'annonceurs qu'il y a trois ans, explique Christophe Blot, directeur de Cdiscount Advertising

JDN. Cdiscount entame une troisième année de baisse de son chiffre d'affaires (T1 2023 en baisse de 24,2% vs T1 2022 ; -21,4% en 2022, -0,3% en 2021). Cdiscount Advertising, la régie retail media de Cdiscount, au contraire, continue d'enregistrer des hausses de revenus (+9% en T1 2023 vs T1 2022 ; +5,4% en 2022). Comment analysez-vous cette situation ?

Christophe Blot est directeur de Cdiscount Advertising. © Cdiscount

Christophe Blot. L'e-commerce dans son ensemble a décéléré de 10% en France en 2022 alors que la même année les investissements en retail media ont augmenté de 30%. Cela touche l'ensemble du marché. Ces deux phénomènes sont liés puisque les annonceurs ont compris que l'investissement en retail media peut leur permettre d'émerger et de maintenir un bon niveau de chiffres d'affaires, voire de gagner des parts de marché, et ce malgré un contexte compliqué. C'est pour cela que les marques et les vendeurs de notre marketplace viennent nous voir de plus en plus souvent  pour investir davantage, quitte à resserrer les budgets dédiés à d'autres canaux sur des médias plus classiques. Ils viennent  parce qu'ils peuvent mesurer les performances de ce canal, qui leur procure des résultats concrets. Et de fait, les marques qui investissent en retail media s'en sortent mieux que celles qui n'y investissent pas.

Même si le retail media est une activité porteuse, la baisse de l'e-commerce, activité principale de Cdiscount, ne menace-t-elle pas à terme les activités de la régie ?

La baisse de l'e-commerce n'est pas structurelle. Il n'y a à ce jour aucune raison qui pourrait laisser penser que dans les années qui viennent les Français achèteront de moins en moins sur Internet. La baisse du commerce en ligne est bel et bien un phénomène conjoncturel. Par ailleurs la finalité du retail media est bien d'améliorer les performances du core business des marques et des vendeurs qui s'en servent. C'est pour cela que nous travaillons au quotidien avec les autres équipes de Cdiscount en relation directe avec ces marques et vendeurs.

Cdiscount met en place depuis 2020 une stratégie de recentrage sur sa marketplace (si les recettes "marketplace" sont en baisse de 2,2% en 2022, leur part dans les recettes totales de l'entreprise est en hausse de 6 points passant à 52% en 2022) où l'entreprise peut marger davantage (les ventes directes étant souvent à perte). Est-ce correct ?

La marketplace et les ventes en propre ne s'opposent pas. En réalité elles se complètent. De fait, la marketplace prend une part de plus en plus importante mais les ventes en propre restent au cœur du modèle de Cdiscount. Certaines des marques que nous vendons en direct font le choix d'également de développer leur activité de marketplace chez nous. Ce qui est vrai en revanche et qui est récent, c'est notre volonté d'accélérer sur la marketplace, qui par ailleurs sera demain le modèle majoritaire de l'e-commerce au niveau mondial. Ce phénomène concerne tout notre secteur : le modèle marketplace croit deux fois plus vite que le modèle classique, selon la Fevad. De plus en plus l'activité des retailers, c'est aussi de mettre à disposition leur audience auprès de vendeurs tiers. Et cela génère une toute nouvelle typologie de clients pour la régie.

De quelle manière l'essor de l'activité marketplace a-t-il changé votre typologie et votre volume de clients au sein de la régie ?

En l'espace de trois ans, nous sommes passés d'environ 500 clients à plus de 5 000, avec des profils d'entreprises beaucoup plus variés. Alors que les marques plus traditionnelles peuvent faire des millions de recettes par mois, cette nouvelle typologie de vendeurs peut intégrer des petites et moyennes entreprises facturant quelques centaines d'euros seulement. Cela nous a demandé beaucoup de changements et d'adaptations mais avec un retour extrêmement positif pour nous parce qu'en moyenne un vendeur en marketplace consacre une part plus importante de son chiffre d'affaires au retail media qu'une marque traditionnelle.

Quelles adaptations avez-vous mises en place au sein de la régie pour répondre à ce changement ?

Pour réussir cette transition nous avons investi plusieurs millions d'euros et mobilisé plusieurs centaines d'ingénieurs pour mettre au point une plateforme d'activation et de mesure des performances de campagnes de retail media en self-service, facile d'accès, compréhensible et automatisée, lancée il y a un peu plus de  trois ans. Tout ce que nous faisions en direct avec nos marques nous l'avons intégré au sein de cette plateforme afin que les vendeurs et les marques, si ils le souhaitent, s'en servent de manière totalement autonome. Moins de deux ans après le lancement de notre plateforme, la part du chiffre d'affaires de la régie qui est faite avec les vendeurs de la markteplace est devenue supérieure à celle générée avec les marques traditionnelles. C'est le succès de notre plateforme qui a contribué à faire grandir notre portefeuille de clients de manière aussi exponentielle.

Qu'est-ce que cela signifie pour une régie habituée à servir des agences et des grands annonceurs de devoir s'adapter aux petits et moyens annonceurs ?

Les petits et moyens annonceurs issus des marketplaces ont souvent un profil un peu plus agile dans leur manière de se servir du retail media que certaines marques empruntant les canaux plus traditionnels de planification de campagnes médias. La raison est que les vendeurs de marketplace ont compris qu'un euro dépensé en retail media peut ramener plusieurs euros de chiffre d'affaires. Ils s'affranchissent par conséquent de toute barrière et investissent tant qu'ils constatent que cela leur rapporte. C'est d'ailleurs souvent le directeur de la marketplace qui pilote les investissements en retail media. Aujourd'hui, 80% du chiffre d'affaires marketplace de Cdiscount est réalisé avec des vendeurs qui investissent en retail media. Nous sommes passés de zéro à 80% en trois ans et nous allons nous rapprocher des 95% dans les prochains mois. Plus de 50% de nos revenus publicitaires viennent de cette typologie de clients.

"Le chiffre d'affaires de la régie fait avec les vendeurs de la markteplace est supérieur à celui généré avec les marques traditionnelles"

La data a joué un rôle essentiel pour nous permettre de nous adapter à cette transformation. Pour rendre objective toute discussion que nous avons avec nos clients,  qu'il s'agisse d'une grande marque ou d'un vendeur, nous avons créé il y a deux ans un département d'analyse de la data dédié à la régie. Notre plateforme génère beaucoup de données qui permettent d'optimiser les campagnes en cours : 50% du temps passé dans nos rendez-vous commerciaux est consacré à l'analyse des performances chiffrées. Cela change radicalement la manière de prendre des décisions et cela rend les investissements beaucoup plus vertueux car ils se basent sur des faits tangibles, ce qui n'était pas possible il y a dix ans.

Carrefour et Publicis ont annoncé le 15 juin le lancement de leur plateforme de retail media embarquant 13 retailers partenaires. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

C'est une très bonne nouvelle qui démontre que le marché du retail media se porte bien, qu'il continue de se démocratiser et qu'il se structure. C'est le signe d'un marché qui atteint un niveau plus élevé de maturité. C'est également positif pour Cdiscount qui devra continuer d'innover pour conserver sa place de leader français du retail media. Nous avons chez Cdiscount la chance d'être suffisamment gros pour ne pas avoir besoin de nous allier avec d'autres. Au final, ce qui compte en retail media, c'est de permettre aux retailers et aux marques de générer des revenus additionnels et pour cela il faut disposer d'outils extrêmement performants.