La faillite de MediaMath, révélateur d'un écosystème adtech en danger

La faillite de MediaMath, révélateur d'un écosystème adtech en danger Le contexte macroéconomique tendu et la position dominante des Gafam n'épargnent pas les plateformes les plus fragiles, laissant présager de nouvelles fusions et acquisitions dans ce secteur.

La faillite de MediaMath, rendue officielle le 30 juin, n'est pas un phénomène isolé mais une illustration forte du mouvement de consolidation et de concentration en cours dans le secteur des plateformes programmatiques. Si ce phénomène n'est pas nouveau et au départ même logique pour un secteur qui évolue sans arrêt, il est accentué par le contexte macroéconomique mondial actuel tendu, qui ne pardonne pas le surendettement et qui rend encore plus nocive la présence toujours aussi dominante d'acteurs comme Google. Pour ces mêmes raisons, les plus petites plateformes des deux côtés de l'Atlantique qui ne sauront pas trouver de partenaire pour une fusion ou acquisition ou encore de niche pour se développer pourront elles aussi se trouver fragilisées.

Certes, la nouvelle de la faillite d'une adtech comme MediaMath, qui a atteint le statut de licorne en 2018 et réussi au total à lever la bagatelle de 600 millions de dollars, marque les esprits par son caractère extrême. Un épisode qui a peut-être un seul précédent dans ce secteur, celui de la plateforme Sizmek, qui s'est mise en redressement judiciaire volontaire en 2019.

Comme pour Sizmek, les analystes pointent de mauvais choix stratégiques dans un secteur qui évolue sans arrêt et une gestion financière insuffisante, les premiers aboutissant à une perte conséquente de parts de marché et la seconde à un endettement massif  devenu intenable dans un contexte de hausse des taux d'intérêt. "Même dans le cas de boîtes très solides comme l'a été MediaMath, si le management n'arrive pas à équilibrer ses finances, il ne trouve plus aucun investisseur aujourd'hui pour y injecter des fonds. Et cela reste vrai pour toute adtech ayant levé beaucoup de fonds mais étant encore loin de la profitabilité", commente une source souhaitant rester anonyme. "MediaMath était un DSP challengeur. Sa disparition va encore plus favoriser la concentration de ce marché entre les mains des plus gros", regrette de son côté Arnaud Créput, CEO d'Equativ.

Le cas de MediaMath n'est de fait pas à analyser comme un phénomène isolé tout simplement parce que dans ce marché il n'y a pas de place pour tout le monde. Ces plateformes se partagent les miettes d'un gâteau accaparé par Google. Une situation qui devient encore plus intenable dans un contexte macroéconomique mondial tendu. En France, le problème est identique, si ce n'est pire, la taille du gâteau à partager ayant cessé de croître depuis le deuxième semestre de l'année dernière (+2% seulement pour le display en France en S2, qui lui-même représente à peine 20% des investissements publicitaires). Ici, Google capte 38% des investissements publicitaires via le search et la majorité des budgets qui partent vers le display (vidéo comprise), via ses outils publicitaires, utilisés par la majorité des acteurs de l'industrie : à lui seul, le DSP de Google, DV 360, s'octroie 45% des investissements en programmatique en France, suivi de Google Ads avec 19%, selon le baromètre de l'Alliance Digitale pour l'année 2022.

Impact de la supply path optimization

Une autre tendance vient renforcer cette concentration : les agences médias réduisent fortement le nombre de partenaires technologiques dans le but de rationnaliser et d'optimiser leurs achats en passant par moins d'intermédiaires sur les places de marché programmatiques, un mouvement de fond nommé supply path optimization (SPO). "Cela se traduit par une concentration très forte chez les plus grosses plateformes, à commencer par Google", résume Arnaud Créput. "De plus, ce besoin légitime des annonceurs de rationaliser leurs investissements n'explique pas tout. Par ses pratiques, Google suscite cette concentration : un exemple fort est le fait que YouTube soit fermé aux plateformes tierces ; pour y acheter de l'inventaire tout le monde passe par DV 360. Et Google tend à verrouiller la relation commerciale avec ses clients en proposant des offres intégrées entre le cloud, l'analytics et la suite adtech", poursuit-il.

"DV 360 et The Trade Desk prennent la part du lion, c'est compliqué pour les autres d'exister", ajoute un autre analyste resté anonyme. Certes, comme nous indique un autre observateur, parmi les grosses DSP mondiales "il n'y aura pas d'autre MediaMath à court terme". Mais en dehors des plus gros, parmi lesquels en France on peut citer de manière non exhaustive DV 360, Criteo, The Trade Desk, Xandr (Microsoft) et Amazon, ceux qui résistent se spécialisent dans des niches, s'associent ou se font acquérir. "Ce secteur est perpétuellement en évolution et il faut être capable d'investir en permanence afin de prendre les bonnes directions. Aujourd'hui, la CTV et le retail media sont porteurs pour les plateformes indépendantes parce que les acteurs de ces deux secteurs (les chaînes et les retailers, ndlr) préfèrent justement se tenir plus à distance des Gafam. Une autre piste est le développement de solutions innovantes dans le contextuel", analyse Jérôme Colin, directeur général de fifty-five, cabinet de conseil en data marketing.

La capacité à investir et à innover reste donc déterminante et pour cela il faut avoir les reins solides. "Notre marché a toujours des niches à exploiter mais il faut être agile pour cela. Autre solution : s'associer pour sécuriser la situation le temps que l'orage passe", commente un observateur. D'autant que, avec la SPO, les plateformes sont de plus en plus nombreuses à faire tomber la barrière entre côté achat (DSP) et côté vente (SSP). On peut penser à LiquidM racheté par Smart (Equativ) en 2019 et à Beeswax acheté en décembre 2020 par Freewheel, SSP appartenant au géant Comcast. "Je ne serais pas étonné de voir un The Trade Desk acheter une SSP un jour, il pourra y avoir aussi de la consolidation entre SSP et DSP. Quoi qu'il en soit, la menace vient quant à elle de la position dominante de Google et de la croissance explosive d'Amazon", conclut Arnaud Créput. Rappelons que Yahoo a très récemment annoncé la fin de sa SSP et que des bruits courent sur la possibilité que la SSP Xandr cesse d'exister en tant qu'entité à part entière au sein de Microsoft.

Pas de conséquences en cascade

Au-delà des 175 millions de dollars que MediaMath n'a pas fini de rembourser à Goldman Sachs, l'entreprise doit à des centaines de créanciers non garantis (et par conséquent non prioritaires au remboursement de leurs créances) des centaines de millions de dollars, dont 73 millions de dollars à 30 plateformes leaders du secteur parmi lesquelles certaines très actives en France que l'on cite par ordre de grandeur de créance : Magnite, Pubmatic, Xandr, Adswizz, Equativ, Triplelift, Azerion, Liveramp, Index Exchange, Google, etc.

Cette dette, qui inclut les commissions des plateformes et les recettes générées pour les éditeurs, et dont on peut s'attendre qu'elle ne soit pas acquittée, n'est pas considérée comme une source forte d'inquiétude ni pour les plateformes, ni pour les éditeurs. Les répercussions du défaut de paiement concerneront surtout les éditeurs américains (Amérique Latine y compris). Mais ces dernières resteront cantonnées puisque là aussi MediaMath avait déjà énormément perdu de sa superbe. "Nous sommes suffisamment solides et gros pour gérer cette situation, d'autant que l'exposition est très limitée. Il y a trois ou quatre ans, cela nous aurait fait beaucoup plus mal parce que MediaMath a perdu des parts de marché très significatives ces dernières années", commente Arnaud Créput. "Il peut y avoir un ou deux éditeurs qui souffriront du fait d'une surreprésentation de MediaMath dans leur portefeuille, mais ce qui est sûr : aucun impact systémique n'est à craindre sur le marché", commente notre expert anonyme.

DSP des premières heures du programmatique, MediaMath n'était plus vraiment présente en France depuis 2022, son activité étant quasiment anecdotique. Sa dernière parution dans le top 15 bidders du Baromètre du programmatique de l'Alliance Digitale date de 2021, quand elle se plaçait en 12e position avec 0,5% des investissements.