Etienne Drouard (Avocat, K&L Gates) "Perquisitionner Free Mobile permettrait de connaître l'ampleur et la cause des dysfonctionnements "

A force d'incidents répétés, les clients de Free Mobile pourraient être tentés de se faire indemniser. Mais comment les consommateurs peuvent-ils faire valoir leurs droits face à Free Mobile ? Les réponses d'un expert.

JDN. Quelles possibilités les abonnés de Free Mobile ont-ils de se faire rembourser les incidents qu'ils ont subis ?

Etienne Drouard. Le contrat de Freemobile est sans doute le plus simple et le plus court du monde. Il tient sur une page. Le passage précisant la responsabilité de Free Mobile est très court, lui aussi : il s'engage à dédommager ses abonnés en cas d'interruption de son service pendant 48 heures, à compter de la publication de l'incident sur le site de Free Mobile (Free Mobile propose à ses abonnés un suivi des incidents techniques sur son réseau depuis le 27 mars seulement, ndlr). Le dédommagement est ensuite calculé au prorata de la durée de l'incident par rapport au tarif mensuel de l'abonnement. Mais l'hypothèse d'un réseau totalement inaccessible pendant 2 jours est hautement improbable. Autrement dit, si un client s'estime lésé et réclame une indemnisation, il devra emprunter une autre voie que celle contractuelle : la voie judiciaire.

Un abonné mécontent doit-il passer par une association de consommateurs ?

Les victimes peuvent directement saisir le juge devant le tribunal d'instance ou de proximité. Mais passer par une association de consommateurs revient moins cher, voire ne coûte rien. Dans tous les cas, les plaignants devront détailler les désagréments subis, leur nature, leur durée, préciser les dates des incidents, etc, pour identifier là où il y a eu une violation de l'obligation essentielle de l'opérateur : acheminer des communications électroniques. La procédure durera ensuite entre 6 et 18 mois, selon l'engorgement du tribunal saisi.

Mais une autre solution est envisageable. Il serait possible de demander en référé au Président du Tribunal de Grande Instance, par exemple, d'ordonner, à la requête de plaignants, sans débat contradictoire ni la présence de Free Mobile, une sorte de "perquisition privée", prévue à l'article 145 du code de procédure civile. Si elle était accordée, l'ordonnance serait exécutée par un huissier désigné par le juge, éventuellement assisté d'experts informatiques et de la force publique, afin d'obtenir les journaux d'incidents dans les zones géographiques où les plaignants se situent. Si une association de consommateurs rallie suffisamment de plaignants, l'on aurait alors un relevé reflétant les incidents de FreeMobile sur l'ensemble du territoire. Ce serait une mesure marquante, presque suffisante en soi.

C'est une procédure courante ?

Dans ce genre de cas non, je crois même que cela ne s'est jamais fait. Il faudrait pour cela convaincre le juge que l'obtention de ces informations chez Free Mobile est légitime, car touchant un grand nombre de clients dont la preuve des motifs de se plaindre (et donc leur future action en indemnisation) résulte d'informations hébergées chez Free Mobile. Pour cela, la liste d'appels non aboutis ou non reçus ou tout autre incident sur le réseau de Free Mobile d'un grand nombre d'abonnés rassemblés par une association de consommateurs pourrait constituer un motif légitime pour un juge. Free Mobile pourrait faire appel d'une telle décision dans les 15 jours. La révélation publique de ces incidents aurait probablement un impact très fort. Et inciterait sûrement Free Mobile à repenser –spontanément ou sous la pression juridico-médiatique- ses procédures d'indemnisation. Car à l'heure actuelle, le contrat proposé privilégie bien évidemment ses intérêts.

Que pourrait prévoir cette clause d'indemnisation selon vous ?

Le seuil de remboursement que fixe Free Mobile est uniquement temporel (au pro rata temporis), ce qui est à la fois objectif et restrictif. Ce seuil ne prend pas en compte de notions quantitatives (répétition, insécurité sur l'accès effectif au service). Il pourrait inclure des conditions comme le taux d'échec des appels passés ou reçus, ou divers incidents, le caractère aléatoire des dysfonctionnements... Changer les CGV permettrait de mieux protéger les clients de Free Mobile à l'avenir et de prévoir une indemnisation adaptée au préjudice. Saisir la commission des clauses abusives serait une autre solution pour scruter le contrat dans sa rédaction actuelle afin d'évaluer s'il est conforme aux règles de protection des consommateurs.

Que pensez-vous de la position de l'UFC-Que Choisir sur ce dossier ?

L'UFC-Que Choisir considère qu'un opérateur a une obligation de résultat. C'est-à-dire que son service ne doit subir aucun dysfonctionnement, sauf en cas de force majeure (un événement imprévisible, irrésistible et extérieur). Dans cette logique, tout incident, même temporaire, devrait être indemnisé, sauf en cas de force majeure. C'est une approche qui me paraît exagérée, même si le principe paraît légitime.

Cette obligation de résultats a déjà été reconnue à l'encontre d'opérateurs, mais dans des cas de rupture totale de leur service. Ce serait donner un sévère coup de massue à Free Mobile. Mais aussi à l'ensemble des opérateurs qui seraient tous obligés de rembourser tous les appels non réalisés sur leurs réseaux respectifs. Proposer un service de téléphonie mobile relève de la technologie, d'interconnexions complexes, de bande passante partagée par divers acteurs, etc. Il peut toujours y avoir un aléa, une surcharge réseau... Faire planer l'exigence d'une obligation de résultat sur les opérateurs mobiles français pourrait les obliger à rembourser tout appel non reçu ou tout SMS perdu ou délivré en retard les 1er janvier, quand tous les réseaux sont surchargés.

A mon sens, il y a une marge d'appréciation à garder entre des dysfonctionnements durables ou répétitifs et la perfection.

P.S. Etienne Drouard tient à préciser que ses réponses ne sont pas des conseils juridiques.

Etienne Drouard a travaillé sept ans dans le département "IP/IT" de Gide Loyrette Nouel, puis a intégré le bureau parisien de Morgan, Lewis & Bockius pour lequel il a animé pendant plus de trois ans une équipe dédiée à la propriété intellectuelle et aux services en ligne. Préalablement, il a travaillé pendant trois ans au sein de la CNIL puis au service de la Commission européenne. Il a auparavant travaillé en qualité de consultant pour la National Security Agency américaine dans le cadre d'une étude sur la surveillance des réseaux électroniques et a été nommé en 1999 en tant qu'expert par la Commission européenne dans le cadre des négociations sur les principes du "Safe Harbor" avec le Département américain au Commerce.