Le marché de la TV connectée

Les TV connectées sont-elles le "device" clé des années à venir après les smartphones et tablettes ? Un nouvel éco-système se met en place avec des modèles d'affaires innovants.

La moyenne de 5 écrans par foyer (répartis entre smartphone, TV, tablettes, PC), soient 120 millions d'écrans en France, ouvre des perspectives alléchantes pour l'écosystème de la TV connectée. Si les constructeurs ont toujours joué un rôle prépondérant sur ce marché, les producteurs de contenu, les FAI, les diffuseurs, les OS, ou les services à valeur ajoutée qui sont apparus ces dernières années, ne font qu'augmenter la difficulté pour les régulateurs à favoriser le système français face aux géants globaux. « De 246 millions d'€ actuellement, le marché de la TV connectée passera à 671 million d'€ en 2015 », d'après Guillaume Lacroix, Directeur TV connectée d’Orange. Les Drivers de cette progression fulgurante se répartissent entre l’ATAWADisation  (un service : AnyTime, AnyWhere, Any Device), un réseau plus fiable, des nouvelles technologies (baisse des coûts, QoS, etc.), des solutions multi-écrans, et le développement des offres SVOD (+38% de croissance entre 2012 et 2015 pour SVOD/TVOD ; +41% pour la publicité premium et courts clips). Ils se confrontent néanmoins à l’augmentation des offres pirates, et la régulation encore balbutiante sur ce sujet. 

La globalisation du marché de la TV connectée - dans le but de fidéliser les clients, mais surtout d'en recruter des nouveaux - amène les géants de l'internet à dépasser leur frontière. Bertrand Issard, DG de Ngine Networks, insiste sur la complexité de la réglementation : d'un côté une TV dont le contenu est régulé par le CSA, de l'autre une TV connectée dont le contenu arrive du monde entier, et ce, sans nécessairement l'"Hadopi proof". Le contrôle du contenu pour enfant et surtout le financement de la création sont des sujets d’actualités et prioritaires sur lesquels le CSA essaiera de répondre. En effet, certains acteurs tirent d’énormes revenus de l’exploitation commerciale d’œuvre et doivent donc contribuer, en tout état de cause, au subventionnement de la création de l’œuvre. Pour survivre dans cette jungle, sans les mêmes armes (YouTube ne paiera pas de TVA, alors que TF1 est imposé), les régulateurs ont un rôle clé à jouer : protéger leur écosystème local en s'assurant que les nouveaux modèles OTT sont soutenables pour leur industrie locale. La création en Février 2012 par le CSA d'une Commission de suivi des usages de la télé connectée va dans ce sens et pourrait renforcer ses pouvoirs. Le challenge est de taille pour ralentir Google ou Apple sur ce terrain de jeu, lorsqu'on connait la force de frappe de ces entreprises, 800 millions de visiteurs sur YouTube chaque mois, et les 108 milliards de dollars de revenus en 2011 pour Apple. Google, qui a d'ailleurs devancé le régulateur via sa plateforme YouTube, lance en octobre 2012 en France ses 13 chaines thématiques. Ces chaines seront alimentées par des producteurs de sociétés de production ou des sites internet. Ces producteurs de contenu (Endemol, Capa Télévision, Troisième Œil, etc.) seront rémunérées entre 500 k€ et 1 000 k€ en produisant 20h de programme par an. Eric Bibollet, DGA et co-fondateur de Wiztivi, explique que « différents modèles de financement se mettent petit à petit en place sans pour autant un imposer un ». Aux Etats-Unis, par exemple, l'utilisateur paiera pour sa consommation. S'il souhaite NETFLIX, il devra s'acquitter d'un tarif internet plus important qu'un utilisateur qui ne consommera pas de la VOD.

La distribution de services  via les FAI s'organise au travers des différents parcs déjà existants. Si Orange est désormais présent sur la Xbox, c'est aussi un moyen pour utiliser les 2,2 million d'unités vendues en France et de proposer ses services Internet sur l'écran utilisé pour le jeu. Sa participation dans le capital de Dailymotion avec ses 140 millions de visiteurs uniques est en phase avec la stratégie de mise à disposition de contenu. Canal+, un autre géant français, a lancé des offres à la demande « Canal Play Infinity » pour augmenter ses parts sur le marché de la VOD. Quoi qu'il en soit, les box proposées par les FAI doivent s'ouvrir pour permettre à des éditeurs d'interagir avec les équipements physiques (twitter par ex). Cette "TV sociale", comme l'explique Henri Tcheng, Associé de BearingPoint, fait apparaitre d'autres business modèles, comme l'achat en 1 clic de produit vu à la TV, dans un film, ou dans une publicité. La capacité de facturer un client facilement est la plus grande force des FAI.

Cette bataille est aussi présente autour de la télécommande. Crée il y a 60 ans, ce boitier est un lieu de batailles de l’écosystème de la TV connectée. Les opérateurs l'ont bien compris ces dernières années. FREE par exemple, lors de sa dernière mise à jour de version, a intégré la technologie HDMI CEC (Consumer Electronic Control), transformant la télécommande de la Box en télécommande universelle. Stéphane Hua, Responsable marché TV VOD – Numéricâble,  explique que "par la richesse de contenu proposée, on se doit d'être la télécommande choisie par l'utilisateur". Numéricâble, a mis ai point une télécommande basée sur la simplicité, intégrant un clavier azerty pour augmenter l'interactivité des programmes (twitter sur l'écran en visionnant "the Voice", donne une toute autre dimension à l'émission). Des applications gratuites se sont développées, transformant les smartphones et tablettes en véritables télécommandes (L5 Remote, Dijit Universal Remote).
Et si la télécommande était virtuelle, gestuelle ou vocale? Quand on sait que seulement 7 à 8 chaines sur un bouquet de 240 sont en moyenne regardées, l'interaction homme-machine est simplifiée !

Jean-Michel Huet, Directeur Associé, BearingPoint
Stéphanie Bernard, BearingPoint
Antoine Singer, BearingPoint