Sanjay Ravi (Microsoft) "Sans services, l'industrie auto finira comme les fabricants de smartphones"

Le directeur général de la division auto de Microsoft, qui travaille avec de nombreux grands constructeurs mondiaux, détaille sa stratégie, pensée comme une réponse à l'émergence de Google dans le secteur.

JDN. Le business de Microsoft dans l'automobile est énorme mais méconnu. Que faites-vous pour les entreprises du secteur ?

Sanjay Ravi est directeur général de la division automobile de Microsoft. © Microsoft

Sanjay Ravi. L'industrie est en transition, de la confection vers les services de mobilités, notre rôle est de l'accompagner dans cette transformation. Depuis 2010, nous nous focalisons sur les technologies de cloud à grande échelle, avec notre plateforme Azure. Le problème des constructeurs auto est qu'ils doivent apporter à leurs clients une expérience connectée dans le monde entier, ce qui requiert une architecture numérique à grande échelle. Mais leurs plateformes de production traditionnelles sont fragmentées : ils en ont une pour le Japon, une pour l'Europe, une pour les Etats-Unis… ce qui ralentit l'innovation. Nous leur proposons un système unifié sur le cloud.

Nous disposons d'un réseau de partenaires qui permettent aux constructeurs d'intégrer des services connectés à notre cloud, par exemple pour remonter des données de télématique ou proposer des mises à jour over the air (à distance comme sur un smartphone, une pratique encore rare sur les systèmes informatiques automobiles, ndlr). Renault-Nissan et Volkswagen utilisent par exemple ces solutions. Nous mettons aussi à disposition nos capacités d'IA et de big data pour traiter les données provenant des véhicules ou de leurs usines, notamment pour le compte de Daimler. L'entreprise peut ainsi développer de nouveaux services ou améliorer l'efficacité de sa production et de ses chaînes d'approvisionnement.

Vous intéressez vous au véhicule autonome ?

Pour développer un véhicule autonome, la simulation informatique est indispensable. Nous proposons un outil de bout en bout, du développement et de l'entraînement du software de conduite autonome jusqu'à son test dans un environnement virtuel. Certaines de ces briques nous sont propres, d'autres proviennent de nos partenaires connectés à la plateforme Azure, comme les spécialistes de la simulation Cognata ou Applied Intuition. Nous permettons à nos clients d'aller plus vite mais aussi de réduire leurs frais. Audi a par exemple plus de 7 000 teraoctets de données de simulation, ce qui commençait à lui coûter une fortune. Nous développons aussi des modèles d'IA qui réalisent des traitements en edge, c'est-à-dire directement dans le véhicule autonome sans repasser par le cloud, car certaines décisions doivent être prises sans connectivité.

Vous proposez aussi des systèmes d'infotainement et des services de mobilités aux constructeurs en marque blanche. Ces derniers s'inquiètent de voir Google et Amazon mettre leurs marques et services dans leurs véhicules, tout en récupérant les données. Vos offres semblent être une réponse à ces inquiétudes…

"Nous n'entrerons jamais dans les services de mobilité pour concurrencer les constructeurs"

C'est en effet une peur des constructeurs et une question existentielle pour l'industrie auto. Ils ne veulent pas finir comme les fabricants de smartphones et perdre leur relation client (ce qu'il s'est passé avec Android, ndlr). C'est pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à nous rejoindre. Nous avons été très clairs avec eux : nous n'entrerons jamais dans les services de mobilité pour devenir leurs concurrents. Nous pensons que les données des véhicules doivent revenir aux entreprises automobiles et que nous devons uniquement leur apporter une plateforme. Nous ne poussons pas non plus la marque Microsoft dans l'habitacle. Ainsi, l'assistant personnel que nous avons aidé BMW à concevoir s'apostrophe en disant "Hey BMW" et pas "Hey Microsoft".

Cette approche est-elle tenable, alors que les produits de grandes entreprises technologiques sont déjà partout hors des véhicules et qu'une partie des clients recherche une continuité de service avec Android, Alexa ou iOS ?

Si le client veut quelque chose, le constructeur doit le proposer. Mais il faut que les constructeurs puissent continuer à offrir un choix à leurs clients. Par exemple, BMW proposera toujours sa propre interface et ses propres services. Mais il est aussi possible de se connecter à Cortana, Alexa ou Google Now. Les constructeurs qui seront capables de proposer leurs propres services en parallèles réussiront. Les autres connaîtront le destin des fabricants de smartphone.

Ingénieur auto de formation, Sanjay Ravi est directeur général de la division automobile de Microsoft. Il a rejoint le géant de l'informatique en 2005, après dix ans de carrière dans l'industrie automobile, notamment chez Chrysler.