Un procès-verbal de constat ne doit pas servir à contourner les règles sur la saisie-contrefaçon
En matière de contrefaçon, celui qui se plaint de la copie de ses œuvres, marques, dessins et modèles ou brevets doit apporter la preuve de l'atteinte à ses droits avant d'engager tout procès.
Pour ce faire, il existe une procédure dite de "saisie-contrefaçon", règlementée par le Code de la propriété intellectuelle, qui suppose que le juge autorise le titulaire des droits à mandater un huissier de justice chargé de se rendre dans les locaux d'un tiers pour y effectuer diverses constatations (saisie-contrefaçon dite "descriptive") et, le cas échéant, saisir des exemplaires contrefaisants (saisie-contrefaçon dite "réelle").
Depuis quelques années, il est devenu assez
difficile d'obtenir une autorisation judiciaire indispensable à toute
saisie-contrefaçon. Les juges exigent en effet des preuves de plus en plus
concrètes de l'atteinte supposée aux droits de propriété intellectuelle, alors
même que, parfois, il n'existe que de simples soupçons. En outre, le requérant
doit démontrer de manière très précise et sérieuse l'étendue des droits de
propriété intellectuelle qu'il invoque.
Par exemple, si la contrefaçon porte
sur des droits d'auteur, il est désormais indispensable de démontrer en amont que
l'œuvre en question est originale, alors même que le caractère protégeable de
cette œuvre sera souvent discuté lors du procès au fond.
C'est la raison pour laquelle de plus en plus d'ayants-droit préfèrent éviter de procéder à une saisie-contrefaçon et se contentent de simples constats d'huissier. Il peut s'agir par exemple de constats d'achat : dans ce cas, en dehors de toute autorisation judiciaire, un huissier constate qu'il est possible d'acheter tel produit dans tel magasin, libre ensuite au demandeur d'engager une procédure et de démontrer devant le juge que le produit en cause acheté par un tiers (mais non par l'huissier lui-même) porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Or il faut prendre garde à ce que l'huissier
n'aille pas trop loin dans le cadre de sa mission. En particulier, l'huissier
ne doit pas procéder à ce qui s'apparenterait à une saisie-contrefaçon qui
n'aurait pas été autorisée préalablement par un juge. C'est ce que vient de
rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 2012. Dans cette
affaire, une société se plaignait de la contrefaçon de neuf dessins déposés en
tant que marques. Afin de matérialiser la preuve des actes de contrefaçon, elle
avait demandé à un huissier d'effectuer un constat.
Lors des opérations de constat, l'huissier avait
procédé à la saisie de deux mille articles argués de contrefaçon. Et au fond,
le saisi avait soulevé la nullité du constat, ce qui avait été retenu. A cet
égard, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir considéré que
cette saisie constituait, par son contenu, une "saisie-contrefaçon déguisée", en raison en particulier
de la saisie non autorisée.
Cette solution n'est pas nouvelle. Elle a notamment
été énoncée dans un arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 28 avril 2011, selon
lequel "des opérations d'achats, qui
ne constituent pas de simples constatations matérielles mais s'assimilent à des
saisies-contrefaçon, ne sont pas valables faute d'autorisation judiciaire".Dans ces conditions, la victime d'actes de
contrefaçon doit, soit prendre le risque de solliciter une autorisation
judiciaire en vue de pouvoir pratiquer une saisie-contrefaçon, soit se
contenter d'un constat relativement sommaire réalisé par un huissier dans le cadre
d'une mission purement privée. Et dans ce cas, l'huissier ne doit surtout
procéder à aucune saisie ni même aucune description des biens litigieux.
Le
Tribunal de grande instance de Paris a en effet jugé le 10 juin 2010 que "les opérations de l'huissier de
justice ont été effectuées aux fins d'établir l'existence d'une contrefaçon et
ont abouti à la description détaillée du blouson litigieux, de sorte qu'elles
réalisent une saisie-contrefaçon descriptive telle que prévue par l'article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle, sans que les règles édictées par
cet article ait [sic] été respectées et en particulier sans que la société
requérante ait obtenu l'autorisation préalable du juge". La prudence
est donc de mise en la matière.