Pierre Person (LREM) "Appliquer le prélèvement forfaitaire unique sur les crypto-actifs n'est pas incohérent"

Ce jeune député parisien LREM est rapporteur de la mission d'information en cours sur les crypto-monnaies à l'Assemblée nationale. Il nous en dit plus sur ses objectifs.

Pierre Person (LREM) est rapporteur de la mission d'information sur les crypto-actifs. © P. Person

JDN. Quels sont les objectifs de cette mission sur les crypto-monnaies ?

Pierre Person. Je souhaite une législation qui insuffle de la confiance à la fois pour les détenteurs d'un portefeuille, les consommateurs, les investisseurs mais aussi les agents économiques qui voudraient installer aujourd'hui leur structure en France. Réinjecter cette confiance passe par une régulation. Je m'oppose à ceux qui pensent que la régulation est obligatoirement nocive pour le développement économique.

L'autre objectif de la mission est de démystifier le sujet auprès de l'opinion publique et de ne pas tomber dans la caricature, comme on a pu le faire par le passé avec le numérique. Par exemple, quand j'ai présenté la mission en commission des finances, certains ont sorti l'argument qui consiste à dire que les crypto-monnaies sont énergivores. Je veux qu'on sorte de ce débat très caricatural qui recouvre un des aspects du bitcoin et qui pourrait d'ailleurs évoluer à terme.

Qu'avez-vous retenu des premières auditions ?

On essaie de sortir du mythe du blanchiment et du financement du terrorisme. Il doit y en avoir, mais c'est assez marginal. J'ai invité quelques crypto sceptiques mais le but est d'écouter des acteurs économiques qui ont les mains dans le cambouis et des évangélistes qui réfléchissent à l'avenir du monde du crypto. C'est le rôle du législateur d'avoir une vision sur le sujet car on en a manqué trop souvent…

Quelles pistes envisagez-vous ?

Il faut protéger le consommateur sur la question des ICO (initial coin offering, les levées de fonds en crypto-monnaies, ndlr). On travaillera avec l'AMF (Autorité des marchés financiers, ndlr) sur ce volet. Il faut aussi renforcer les acteurs qui confèrent de la confiance à des investisseurs qui voudraient investir dans une ICO. Une ICO est un bon modèle de financement alternatif, désintermédié, qui permet de rapprocher le financement réel de la population. Mais comme c'est plus simple, il y a forcément plus de risque.

"Si on peut avoir des plateformes d'échanges centralisées françaises, c'est évidemment une bonne chose"

Un environnement fiscal est aussi indispensable pour permettre un climat sain de développement Pour les détenteurs de crypto-actifs, doit-on appliquer le PFU (un prélèvement forfaitaire unique à 30%, ndlr) sur la plus-value qui en résulte ? Cela n'est pas incohérent. Pour l'instant le débat n'est pas tranché. Ce n'est pas la position majoritaire de la doctrine fiscale, en l'occurrence au fisc à Bercy. Mais la taxation BNC/BIC (actuellement celle appliquée sur les plus-values des crypto-monnaies, ndlr) qui atteint parfois 70% de la plus-value, parait peu incitative. Si on veut que les détenteurs de crypto-actifs paient leurs impôts en France, il vaut mieux avoir une fiscalité qui soit attractive. Il faut trouver un équilibre.

Quand rendrez-vous votre rapport et quelle sera la suite ?

Mon objectif est de rendre mon rapport pour le mois de juillet, avant le PLF (projet de loi de finances, ndlr). On a au moins 70 personnes à auditionner d'ici là. On verra comment les propositions peuvent entrer dans le cadre législatif. Soit ce sera dans un projet de loi comme la loi Pacte, soit une loi ad hoc.

Selon Les Echos, les ICO pourraient effectivement être réglementés dans la loi Pacte en mai prochain. Est-ce toujours envisagé ?

On va travailler dans le cadre de la loi Pacte, mais sur un tout petit volet : la labélisation des projets ICO par l'AMF.

Il y a seulement deux plateformes françaises d'échanges de crypto-monnaies. Comment remédier à ce problème ?

Aujourd'hui, la principale plateforme d'échange pour les petits investisseurs reste l'Américaine Coinbase. Si on peut avoir des plateformes d'échanges centralisées françaises, c'est évidemment une bonne chose. L'idéal serait de ne pas devoir passer par les Américains et les Coréens pour échanger du fiat (une monnaie décrétée par l'Etat, ndlr) contre des crypto-actifs. C'est aussi un enjeu de protection car si vous avez une plateforme d'échange française, ce sont les règles françaises qui s'y appliquent. On peut imaginer qu'il y ait une fiducie, des garanties bancaires associées... Je fais souvent le parallèle avec les jeux en ligne. La législation française a permis aux joueurs de protéger leurs avoirs car il y a un agrément, une territorialité tout en laissant la possibilité à des joueurs internationaux de venir sur les plateformes françaises.

"Je ne connais pas Jean-Pierre Landau mais nous allons nous rencontrer prochainement"

Êtes-vous déçu que le sujet des crypto-monnaies n'ait pas été évoqué au G20 ?

Non, même si c'est en effet un enjeu international. Mais avant d'évoquer ce sujet à l'échelle d'un G20 ou d'un G8, il faut le faire au niveau européen, car il y a un enjeu de souveraineté. Economique d'abord, dans la mesure où on ne peut pas se permettre de rater la fenêtre comme on l'a raté sur Internet. De souveraineté française, ensuite : quelles sont les règles que la France émet vis-à-vis de détenteurs ? Il faut une capacité à superviser ce qui se passe pour intervenir quand il y a des dérives.

Avez-vous échangé avec Jean-Pierre Landau, chargé de mission sur les crypto-monnaies par Bercy ?

Je ne le connais pas mais nous allons nous rencontrer prochainement.

Bruno Lemaire a récemment publié une tribune favorable aux ICO et crypto-monnaies. Emmanuel Macron a quant à lui dénoncé les risques de spéculations et les détournements financiers du bitcoin à Davos en janvier dernier…

C'est dur de dire ça car Emmanuel Macron a été le premier à mettre des bons du Trésor sur la blockchain. Il considère la blockchain comme une technologie disruptive qui cassera certainement beaucoup de modèles en place. Ce n'est pas un sceptique.

Deux missions parlementaires ont été lancées à quelques semaines d'intervalles. La première sur la blockchain, portée par Laure de La Raudière, et la deuxième sur les crypto-monnaies. Pourquoi les dissocier ?

La mission sur la blockchain est axée sur du long terme tandis que celle sur les crypto-monnaies est sur du court terme. Le but de Laure de La Raudière n'est pas de déboucher sur une proposition de loi mais de dresser les grands enjeux autour de la technologie blockchain. La mission sur les crypto-monnaies a quant à elle besoin d'une réponse rapide. On ne peut pas se permettre que la question de la fiscalité évolue en 2022. Le législateur doit être réactif. Le but n'est pas de faire une grande loi sur les crypto-monnaies mais d'avoir des mesures incitatives. Les deux missions travaillent tout de même ensemble. Les crypto-monnaies restent l'application la plus répandue de la blockchain. On ne veut pas que les conclusions du rapport sur la blockchain soient différentes des conclusions sur les crypto-monnaies.

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