Sortie de l’Euro : quels sont les risques contractuels ?
A la fin des années 90, on s'interrogeait sur les incidences de la monnaie unique sur les contrats libellés dans des devises vouées à disparaître. Désormais si un État quitte l'euro, quel sera l'effet sur les contrats internationaux en cours lors de l’adoption d’une nouvelle devise ?
1. Le contrat restera-t-il
libellé en euros ?
Le débiteur d’un contrat libellé en euros sera-t-il
tenu de payer en euros ou dans la nouvelle devise de l’État quittant la zone
euro ?
En vertu du principe universellement reconnu de la
loi monétaire, ou lex monetae, chaque
État est libre de définir sa monnaie, et par conséquent d’adopter une nouvelle
devise. Lorsqu’un État adopte une nouvelle devise, le débiteur d’un contrat
dont la monnaie de paiement était l’ancienne devise de cet État doit donc désormais
s’acquitter de sa dette dans la nouvelle devise, au taux de conversion prévu
par la loi. Le sort de la monnaie de paiement
est en effet conditionné à la lex monetae
choisie par les parties, loi de police applicable quelle que soit la loi
régissant le contrat.
La difficulté liée à l’euro est de déterminer quelle
lex monetae est visée dans un contrat
libellé dans la monnaie unique. A priori, un contrat libellé en euros vise la lex monetae des États membre de l’Union
Économique et Monétaire, de sorte que la monnaie de paiement devrait rester
l’euro.
Il n’est cependant pas exclu que des juridictions
considèrent qu’un contrat fait référence à la lex monetae de l’État quittant la zone euro et dont la monnaie
était l’euro à un moment donné, auquel cas le débiteur serait alors tenu
d’effectuer le paiement dans la nouvelle devise. Ces juridictions, et notamment
celles de l’État quittant la zone euro, pourraient en effet utiliser un
faisceau d’indices pour en déduire la volonté des parties de soumettre le
contrat à la lex monetae de cet État.
Afin de réduire le risque de voir le contrat
relibellé dans une nouvelle monnaie, il convient donc de viser expressément
l’euro en tant que lex monetae des États
membres de l’Union Économique et Monétaire, et de prévoir que le contrat
restera libellé en euros en cas d’abandon de la monnaie unique par un État dans
lequel est domicilié un cocontractant.
En tout état de cause, il existe une incertitude sur
le sort de la monnaie de paiement si un État quittant la zone euro adoptait des
dispositions prévoyant que sa nouvelle devise deviendra la monnaie de paiement
des contrats internationaux en cours.
2. Quid si deux États quittent
la zone euro ?
Dans l’hypothèse où chaque État dans lequel un
cocontractant est domicilié quitte la zone euro, conserver un contrat libellé
en euros exposerait chaque cocontractant à un risque de change. Il faut donc
anticiper la future monnaie de paiement, i.e. clairement désigner la lex monetae de l’un des États, avec
toutefois le risque que l’un des États – ou les deux – prévoie que sa nouvelle
monnaie deviendra la monnaie de paiement des contrats en cours.
3. Le risque de change
sera-t-il un motif de révision ou de résiliation du contrat ?
L’adoption d’une nouvelle devise par un État de la
zone euro exposera nécessairement l’un des cocontractants aux fluctuations d’un
taux de change, que le contrat reste libellé en euros ou qu’il soit relibellé
dans une nouvelle devise. Ce risque sera d’autant plus important que la
nouvelle devise sera fortement dépréciée.
L’apparition d’un risque de change déséquilibrant
l’économie du contrat pourra-t-elle être un motif de révision ou de résiliation
du contrat ?
Si le droit français s’applique, le cocontractant
lésé ne pourra pas invoquer la force majeure pour demander la suspension ou la
résiliation du contrat, puisque d’une part la dépréciation d’une monnaie
nationale ne rend pas impossible l’exécution d’une obligation de paiement, et
d’autre part la sortie d’un État de la zone euro n’est pas imprévisible, au
regard des nombreuses discussions actuelles sur le sujet.
La Cour de cassation rejette par ailleurs la théorie
de l’imprévision, selon laquelle un cocontractant peut remettre en cause un
contrat profondément déséquilibré suite à la survenance de circonstances
bouleversant l’économie du contrat, conformément au principe du nominalisme
monétaire.
Les théories étrangères équivalentes, telles que la frustration en droit anglais, ne
trouveraient pas non plus à s’appliquer.
Il s’agit de solutions conformes au principe de
continuité des contrats rappelé par le Conseil de l’Union Européenne en 1997.
Le passage à l’euro avait alors été encadré par le règlement n° 1103/97 du
Conseil du 17 juin 1997, dont l’article 3 rappelle le principe de continuité
des contrats, sauf clause contractuelle contraire : « L'introduction de l'euro n'a pas pour effet
de modifier les termes d'un instrument juridique ou de libérer ou de dispenser
de son exécution, et elle ne donne pas à une partie le droit de modifier un tel
instrument ou d'y mettre fin unilatéralement. La présente disposition
s'applique sans préjudice de ce dont les parties sont convenues. »
Il
ne s’agissait là que d’un texte déclaratif, puisque le Conseil de l’Union
Européenne précisait dans des considérants que « selon un principe général du droit, la continuité des contrats et
autres instruments juridiques n’est pas affectée par l’introduction d’une
nouvelle monnaie » (considérant n° 7) et que ceci n’était que « la confirmation explicite du principe de
continuité » (considérant n° 8). Ce principe est transposable à l’hypothèse
inverse de la sortie de l’euro, non expressément prévue par les textes
communautaires : le retrait d’un pays de la zone euro ne devrait avoir
aucune conséquence sur les termes d’un contrat en cours.
Les parties peuvent néanmoins convenir d’une clause
contractuelle contraire. En effet, si la lex
monetae régit la question de la monnaie de paiement, c’est à loi régissant
le contrat de préciser si la modification de la monnaie de paiement remet ou
non en cause l’économie du contrat.
Une clause générale de hardship, ou clause de nouvelles circonstances, nécessite un
déséquilibre contractuel conséquent. La simple exposition d’un cocontractant à
un risque de change ne serait donc pas de nature à déclencher la clause de hardship, sauf à ce que la dépréciation
de la nouvelle monnaie soit telle que l’exécution du contrat devienne
anormalement onéreuse pour l’une des parties.
Il convient donc de prévoir une clause permettant
expressément la renégociation ou la résiliation du contrat en cas de sortie
d’un État de la zone euro, de sorte qu’il ressorte des termes du contrat que la
stabilité de la monnaie de paiement était une condition essentielle pour les
parties.
4. Comment anticiper le risque
de change et les frais bancaires liés à une conversion ?
Si le contrat reste libellé en euros, le risque de
change, ainsi que les frais bancaires associés à la conversion du paiement dans
une nouvelle devise, pèseront essentiellement sur la partie domiciliée dans
l’État quittant la zone euro. À l’inverse, si le contrat est relibellé dans une
nouvelle devise, c’est le cocontractant domicilié dans l’État membre de la zone
euro qui sera exposé à ces risques.
Il convient donc de prévoir une clause de
répartition du risque de change et le paiement des frais bancaires associés à la
conversion du paiement. Cette clause peut répartir les risques et les frais
entre les parties et/ou les mettre entièrement à la charge de l’une d’elles, le
plus souvent à la charge du débiteur de l’obligation de paiement.
En conclusion, afin de parer au mieux aux
incertitudes entourant l’abandon de la monnaie unique par un État membre de la
zone euro, il est nécessaire de négocier un avenant aux contrats existants ou
de prévoir l’insertion de clauses complémentaires dans les contrats qui seront
conclus d’ici à la sortie de l’euro d’un État où est domicilié un
cocontractant.
Chronique rédigée avec Hélène Carrier, Kahn & Associés.