La digitalisation du diagnostic du cancer, un retard français

Télétravail, partage d'examens entre confrères, rapidité de diagnostic, la digitalisation des lames de prélèvements de tissus et de cellules permet aux anatomopathologistes de repérer plus rapidement les cancers. Si certains pays comme les États-Unis, le Canada ou les Pays-Bas ont déployé cette technologie dans de nombreux établissements de santé, la France commence cette transformation numérique.

Depuis plusieurs mois, la Ligue contre le cancer (LCC) ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la situation du diagnostic du cancer en France. Dans un communiqué diffusé le 23 février dernier, l’association fait état de "près de 93 000 diagnostics" non effectués en 2020 sur le territoire national en raison de la crise sanitaire. Une situation identique dans bien des pays. Pourtant, plus le dépistage est précoce, meilleur est le taux de guérison. Sachant que le cancer reste la première cause de mortalité en France avec presque 200.000 décès annuel et 400.000 nouveaux cas détectés, développer toujours plus le dépistage est donc un enjeu majeur de santé publique.

Au-delà de la sensibilisation des individus à réaliser toujours plus d’examens préventifs, développer des technologies permettant d’effectuer plus facilement les premières investigations est au cœur du dépistage. Parmi ces techniques : la numérisation de l’anatomopathologie. Etude des anomalies des tissus biologiques et des cellules grâce à des prélèvements et des analyses de lames, l’anatomopathologie, était jusqu’à présent pratiquée sur lames de verre étudiées par microscope. Depuis une dizaine d’années, elle évolue vers la numérisation, une technologie qui permet d’analyser les lames sur écrans d’ordinateurs via des logiciels de lecture.

Grâce à cette numérisation, les anatomopathologistes peuvent télédiagnostiquer. Cette possibilité permet donc non seulement de répondre aux exigences de télétravail du COVID, mais aussi de partager des analyses de cas délicats avec des confrères ou encore de combler les déficits de spécialistes dans certaines zones géographiques. En réduisant le temps de lecture, la numérisation permet également de gérer un plus grand volume d’examens, de prendre notamment en charge des analyses plus précocement et d’analyser des données d’échantillons plus complexes. 

États-Unis, Canada et Pays-Bas comptent de nombreux établissements de santé 100% digitaux

Aujourd’hui, de nombreux établissements de santé dans le monde ont déployé la numérisation.  Ainsi, le service de pathologie du MSK - Memorial Sloan Kettering- à New York a, sous la pression de la pandémie, accéléré le déploiement de cette technologie. Utilisée jusqu’à présent à des fins de recherche, cette technique est désormais appliquée aux diagnostics des patients. Une évolution rendue possible grâce à l‘assouplissement de certaines directives de la Food and Drug Administration (FDA) relatives à l'approbation et à la validation de la technologie numérique dans la pathologie. De même, les amendements pour l'amélioration des laboratoires cliniques (CLIA) ont été assouplis par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) afin d’inclure des dérogations COVID-19 pour permettre aux plates-formes de pathologie numérique d'être utilisées par les pathologistes à domicile. 

Au Canada, le Réseau de télépathologie de l'Est du Québec (EQTN) est l'une des applications réelles les plus importantes au monde. Lancé en 2011 en raison d'un manque de pathologistes dans les zones rurales éloignées, ce réseau comprend 22 hôpitaux et couvre une zone de 1,7 million de personnes. En 2018, une évaluation du dispositif a permis de confirmer la réduction des chirurgies et des transferts de patients vers les centres urbains.

Au Pays-Bas, quatorze laboratoires sur cinquante sont numérisés, soit approximativement un quart. Une digitalisation qui a été particulièrement bénéfique depuis la pandémie car elle a permis de poursuivre les diagnostics des cancers à distance.

Convaincu des avantages de cette technologie, le Royaume-Uni a mis en place avec les UK Research and Innovation centers des programmes nationaux d’implémentation de la pathologie numérique et de l’intelligence artificielle, auxquels 50M£ ont été attribués.

En retard, la France ne compte aujourd’hui que deux services entièrement numérisés, celui de l’Anatomie et cytologie pathologiques de l’Hôpital Bicêtre et celui de l’Anatomie pathologique du CHU de Rennes. Une situation très regrettable au regard non seulement de la pénurie des anatomopathologistes, et donc du besoin de diagnostiquer à distance, mais aussi de l’importance de repérer précocement les cancers pour accroître le taux de rémission. La digitalisation de cette spécialité n’est pas un luxe, c’est une nécessité !