Pour développer les villes intelligentes, concilions pragmatisme et vision globale

La gestion des données territoriales est un actif stratégique pour les collectivités. Toutefois, pour les maîtriser, elles doivent mettre en place une gouvernance éclairée et agir avec pragmatisme.

Les données territoriales : un gisement numérique en cours d’exploitation

La gestion et le pilotage des données territoriales est un sujet hautement stratégique pour les collectivités. Et pour cause : les données fournissent des informations objectives sur la gestion des territoires, contribuant ainsi à une allocation judicieuse des ressources, une prise de décision éclairée pour répondre aux besoins de la communauté et donc à une meilleure qualité de vie des habitants. Dès 2016, Rennes Métropole a travaillé sur le concept de Service Public Métropolitain de la Donnée [1], qui visait à partager des données produites sur le territoire par les collectivités, les acteurs économiques, les associations ou même les citoyens. L’objectif : apporter une réponse aux grands enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Cette tendance a fait des émules. On parle maintenant de « Données d’Intérêt Territorial » et dans le sillage de la Région Occitanie, certaines collectivités comme Toulouse ou Nantes, se sont regroupées pour réfléchir aux implications liées à l’usage de ces données. Si les directives liées à l’ouverture des données territoriales ont été mises en œuvre de manière très inégales en fonction des collectivités, certains territoires ont bien conscience des opportunités résidant dans leurs gisements de données.

Des difficultés structurelles et des pressions citoyennes

La mise en œuvre de telles initiatives n’est pas sans difficultés. Structurellement et culturellement, les organisations, très souvent silotées, font face à des limites : la transversalité des actions et le partage des informations entre les services se heurtent à la fois à des réticences et à des challenges techniques. Sur le plan administratif, la situation n’est pas optimale. Le temps des marchés publics n’est pas celui de la technologie. Si certaines procédures (comme les dialogues compétitifs) ont vocation à faire émerger les meilleures solutions dans des cadres innovants, elles sont coûteuses en temps et en ressources humaines, pour chacune des parties.

Par ailleurs, la logique de « silos » reste prépondérante dans le découpage des marchés. Les projets dits de « territoires intelligents » nécessitent d’appréhender la gestion de la ville de manière globale et non par thématique. Or aujourd’hui, transports, énergie, éclairage, stationnement… sont adressés par des marchés (et des durées de concession ou de délégation de service) différents. Les rassembler au sein d’un appel d’offres unique est une opération très complexe. Cela ne va pas dans le sens des attentes des citoyens, qui sont très demandeurs et en attente de réactivité de la part des administrations et des élus. Habitués dans leur vie personnelle à une pléthore de services numériques performants, ils aspirent à la même chose de la part des pouvoirs publics. Cette évolution sociétale est naturellement en décalage avec les contraintes citées et met les collectivités face à d’épineux problèmes de calendrier.

Une solution : une gouvernance éclairée pour agir avec pragmatisme

Les grands projets de territoires intelligents tels Dijon, Angers, et plus récemment Châlons en Champagne, peuvent sembler complexes et coûteux à mettre en place. Et ils le sont. Mais cette voie n’est pas la seule. A l’instar des recommandations de Philippe Silberzahn dans son ouvrage « Petites Victoires » [2], des « petits » projets pragmatiques dont le bénéfice est visible rapidement, sont indispensables car ils apportent la preuve par l’exemple et favorisent l’adhésion. Menés avec une vision globale, ils pourront évoluer et converger de manière transversale.

Toutefois, ces solutions impliquent la mise en place d'une gouvernance éclairée, adaptée à la collectivité et en lien avec l’ensemble de la chaîne organisationnelle. Si ces démarches sont bien lancées dans certains cas, fin 2022 encore « très peu de collectivités [avaient] introduit des règles de gouvernance sur tout le cycle de vie des données », selon l’enquête de Data Publica [3]. Pourtant, conjuguées à une vraie acculturation de l’ensemble des équipes à l’exploitation de la donnée, elles permettront aux villes et aux territoires de garder le contrôle sur leurs données, de décider de ce qu’elles en font, de maîtriser leur partage et d’exploiter les infinies possibilités du numérique au service de leurs nombreux défis, sans se laisser déborder. Enfin, associer les forces vives du territoire (citoyens mais aussi acteurs économiques et associations) est une manière de maximiser les chances d’adoption et de réussite. Les outils numériques comme les plateformes de données territoriales peuvent contribuer à en faire une réalité, à condition que la confiance et la gouvernance appropriée soient là pour transformer de belles intentions en engagement mutuel.

Références :

[1] « Rennes construit le service public métropolitain de la donnée » - La Gazette des communes – Octobre 2017

[2] Philippe Silberzahn - « Petites Victoires. Et si la transformation du monde commençait par vous ? » - Diateino - Mars 2021

[3] Les collectivités territoriales et la donnée – Enquête Nationale – L’Observatoire Data Publica - Octobre 2022