Les navettes autonomes, un rodage pour les opérateurs, en attendant les bus
Ce n'est pas avec des navettes que les opérateurs de transport vont massifier l'utilisation de véhicules autonomes sur leurs réseaux. Avec leur petite capacité (une quinzaine de places) et leur faible vitesse (environ 15 kilomètres par heure), elles sont plutôt cantonnées à la création de nouvelles lignes de dernier kilomètre qu'à l'optimisation du réseau de transport existant. Pour cela, ils auront besoin de bus, et non pas de navettes autonomes. Des opérateurs aux constructeurs, le secteur s'y prépare.
Les technologies de bus autonome n'en sont qu'à leurs débuts. "Plusieurs acteurs qui travaillent sur le sujet évoquent l'horizon 2025", explique Patricia Villoslada, vice-présidente de la division systèmes autonomes de Transdev. "Il faut rester prudent avec ces dates, surtout après les déconvenues récentes dans le véhicule autonome. Mais j'ai bon espoir qu'un véhicule plus grand qu'une navette existe avant 2025, notamment parce que ces constructeurs travaillent déjà sur des camions autonomes, qui ont de nombreux points communs avec les bus." C'est par exemple le cas de Mercedes et Volvo. Le constructeur suédois a d'ailleurs effectué avec Keolis une première démonstration d'un bus autonome et électrique en novembre 2018 à Göteborg. Long de 12 mètres, il est capable de se garer tout seul, ainsi que de se rendre dans les zones de recharge et de nettoyage.
Premiers tests
On est encore loin du bus sans chauffeur transportant plusieurs dizaines de personnes en centre-ville. "Nous pensons que les usages du bus autonome seront progressifs", anticipe Laurent Kocher, directeur exécutif nouvelles mobilités chez Keolis. "Il y aura d'abord des usages en interne pour optimiser la recharge, l'entretien et le stationnement, puis de premières applications simples, comme des déplacements sur sites privés ou l'arrivée en station". Aucune demande d'autorisation de test de bus autonome n'a pour l'instant été déposée en France, selon le ministère chargé des Transports. Mais les deux spécialistes français de la navette autonome, Navya et EasyMile, préparent aussi le terrain. "Nous avons commencé à travailler sur le sujet avec des fabricants de bus et des opérateurs de Transport", affirme Etienne Hermite, président du directoire de Navya. "Nous développons un bus autonome de 80 places avec le constructeur Iveco. Il a deux ans d'écart de développement avec les navettes", détaille de son côté Benoît Perrin, directeur général d'EasyMile.
Tous les grands acteurs se positionnent car l'automatisation des bus recèle de nombreuses opportunités. D'abord en termes de coûts : le chauffeur représente entre 50 et 60% du coût total d'exploitation d'un bus, calcule Patricia Villoslada. Ensuite pour des questions de fréquence. L'augmentation du nombre de passages d'une ligne pourrait se faire à moindre coût, tout comme l'ouverture la nuit. Enfin pour des problématiques de recrutement, explique Alexandre Woog, PDG d'Alliance Autocar, une société qui met en relation ses clients avec des autocaristes pour des voyages longue distance. "Le secteur croît, mais nous avons du mal à répondre à la demande à cause d'une pénurie de chauffeurs. Nous avons interrogé notre réseau de 1 000 partenaires autocaristes, et rien que chez eux, il en manque 5 000", déplore-t-il. Il ne voit pas l'humain disparaître du bus, mais plutôt se reporter vers des missions de service client plus attractives sur le marché de l'emploi.
Le chauffeur représente entre 50 et 60% du coût total d'exploitation d'un bus
Les navettes permettent tout de même aux opérateurs d'apprendre à gérer certains aspects du futur bus autonome, nuance Patricia Villoslada. "Le défi commun des bus et des navettes, lorsqu'il n'y a plus de conducteur, est de repenser la relation avec le passager et de gérer les problèmes de sécurité." Mais nombre d'autres paramètres doivent être pensés uniquement pour les bus. "Un bus, c'est grand. Pour le manœuvrer de façon autonome, il faut identifier toute sa place dans l'environnement, prendre en compte sa hauteur et les angles morts, adapter l'algorithmie et le positionnement des capteurs…", liste Laurent Kocher. Un bus roule plus vite et a le potentiel de réaliser bien plus de dégâts qu'une navette lancée à 15 kilomètres par heure.
Il sera donc d'autant plus difficile de convaincre les autorités de réaliser des tests sur route ouverte avec des passagers. Et a fortiori d'enlever l'opérateur de sécurité derrière le volant, toujours obligatoire sur les navettes et voitures autonomes en France. "Pour les retirer, il faut atteindre 99,99% de fiabilité. Nous pourrons y arriver plus facilement sur des cas de transport public simples, sur des parcours protégés comme les navettes ou les bus, qu'avec des robo-taxis (censés prendre des clients n'importe où dans une ville à la manière d'un VTC, Ndlr)", assure Patricia Villoslada. Mais il faudra encore patienter de nombreuses années avant de demander l'arrêt à une machine.