L'initiation de paiement arrive difficilement en France

L'initiation de paiement arrive difficilement en France Malgré ses atouts, ce nouveau moyen de paiement, qui permet au bénéficiaire de déclencher un ordre de virement, n'a pas le succès escompté. Explications.

Dans la saga DSP2, on a beaucoup parlé de l'instabilité et du coût (élevé) d'implémentation des API pour les acteurs tiers comme les fintech. Il est temps d'entamer le second tome sur "l'initiation de paiement". Dans le cadre de la directive européenne sur les données de paiement, il y a deux grands types d'API : celles qui permettent d'agréger les comptes bancaires et celles qui permettent d'initier des paiements. Comme ce terme l'indique, l'initiation de paiement permet au bénéficiaire de déclencher un ordre de virement. Ce type de règlement se fait de compte à compte, sans passer par les réseaux de carte bancaire comme CB, Mastercard et Visa. Double avantage pour les marchands : au revoir les frais d'interchange et bonjour le contournement des plafonds de carte.

"D'ici fin juin, Lyra sera raccordé au Crédit Agricole et à BPCE"

Ce nouveau marché de l'initiation de paiement attise l'appétit de nombreux acteurs, à commencer par les plateformes d'open banking, qui étaient jusqu'ici plutôt concentrées sur l'agrégation de comptes. La majorité d'entre elles expérimentent actuellement des parcours dans l'e-commerce mais aussi dans le BtoB. Bridge (marque BtoB de bankin') permet par exemple aux clients de la start-up spécialisée dans la comptabilité Pennylane de payer leurs factures par virement.

Les prestataires de paiement (PSP) ont aussi pris le train en marche. Score & Secure Payment est l'un des premiers à s'être lancé en 2020 tandis que Market Pay vient tout juste de sortir une offre. De son côté, Lyra démarre des pilotes en juillet. "D'ici fin juin nous serons raccordés au Crédit Agricole et à BPCE. A eux deux ils représentent plus de 50% du parc français des cartes bancaires. Pour que le marchand ait une solution utilisable, il faut aller chercher le plus de porteurs de cartes possible", souligne Anton Bielakoff, CEO de Lyra, qui précise que 90% du parc français devrait être couvert d'ici octobre prochain. Grâce à leur PSP, les marchands pourront proposer un bouton "payer par virement" à côté de celui "payer par carte bancaire". Et grâce aux API, pas besoin de rentrer son RIB, tout est pré-renseigné. "Aujourd'hui, si un consommateur veut payer un marchand par virement, il doit avoir son Iban. En plus la réconciliation bancaire est difficile car il faut que le numéro de commande soit indiqué dans le virement", explique Anton Bielakoff.

La galère du commerce physique

Les PSP et plateformes d'open banking ne sont pas les seuls à vouloir croquer le gâteau de l'initiation de paiement. De nouveaux acteurs, créés grâce à la DSP2, arrivent. C'est le cas de Fintecture, lancée en début d'année et qui a levé 7,5 millions d'euros en mai dernier. Cette jeune fintech a développé une API d'initiation de paiement pour les marchands. Gros avantage : elle est déjà connectée à toutes les banques françaises puisque contrairement aux "vieux acteurs" comme Budget Insight, elle n'a pas de legacy. Depuis son lancement, Fintecture a signé avec plus de 500 marchands et vise les 10 000 d'ici les 18 à 24 prochains mois. Pour ce faire, elle compte en partie sur son partenariat de distribution avec Société Générale (qui est aussi un de ses investisseurs). 

"Est-ce vraiment utile de payer en initiation de paiement à la boulangerie ou dans un magasin d'électroménager ?"

Tout ce petit monde commence à s'attaquer à l'e-commerce, plus adapté à l'initiation de paiement étant donné qu'il faut ajouter un "simple" bouton. Dans le commerce physique, c'est une autre histoire. Il est plus difficile de proposer une expérience fluide à l'heure du paiement sans contact et avec la fidélité toujours aussi importante des Français envers leur carte bancaire. Le QR code est une solution envisagée mais il reste encore peu utilisé en France malgré la pandémie du Covid-19. Pourtant, dans d'autres pays, ce système fait mouche. "En Colombie, nous avons développé l'initiation de virement via un QR code interbancaire. Il n'y a qu'une seule implémentation pour le marchand, c'est super", témoigne Anton Bielakoff.

Certains acteurs français ne sont en revanche pas convaincus par l'initiation de paiement en magasin. "Est-ce vraiment utile de payer en initiation de paiement à la boulangerie ou dans un magasin d'électroménager ? La carte est très adaptée au magasin. C'est une sorte de prélèvement auquel le consommateur consent immédiatement et pour lequel il a été identifié et authentifié au point de vente, via un terminal de paiement", estime Fabrice Denèle, directeur partenariats stratégiques et risk management chez Natixis Payments. La filiale de BPCE s'intéresse au sujet depuis plusieurs années et voit plus de potentiel dans le BtoB, avec le paiement de factures, que dans le commerce.   

La solution request to pay

Les acteurs de la facturation ou du paiement BtoB n'ont pas encore rajouté cette fonctionnalité à leurs plateformes. Natixis le confirme : peu d'acteurs tiers viennent consommer leurs API d'initiation de paiement. Rien d'étonnant puisque les API d'initiation de paiement sont encore peu matures et que l'absence de redirection automatique persiste. Si un utilisateur veut se connecter à son compte Bankin' par exemple, il est renvoyé vers l'application de la banque pour s'authentifier mais n'est pas forcément redirigé automatiquement vers l'application Bankin'. A l'origine, les banques devaient supprimer les obstacles qui empêchent les acteurs tiers d'accéder aux comptes bancaires d'ici le 30 avril 2021. Mais comme l'a révélé le JDN, les banques françaises ont décidé d'allonger cette deadline au 30 juin prochain.

"L'initiation de paiement sera compliquée dans le commerce à cause de l'absence d'harmonisation des API"

 

Une fois ces obstacles levés, chaque acteur (le PSP, la plateforme d'open banking…) devra implémenter les API des banques une par une. Comme pour l'agrégation de comptes. "Il y a une hétérogénéité dans les parcours. Pour faire une initiation de paiement sur la banque A, ce n'est pas pareil que pour la banque B ou C. Les systèmes d'authentification sont aussi différents", fait remarquer Fabrice Denèle, qui milite pour un cadre commun. "L'initiation de paiement sera compliquée dans le commerce à cause de l'absence d'harmonisation, ce qui est très difficile à gérer pour le prestataire technique et le commerçant. Pour réussir ce cas d'usage, il faudrait une marque en commun, c'est-à-dire un scheme comme il existe dans la carte, avec une expérience client et des modalités de garanties unifiées", suggère le dirigeant. La solution pourrait se trouver dans le request to pay. Ce système de paiement, porté par l'European Payment Council et déjà en place dans certains pays, permet à un bénéficiaire de demander l'initiation d'un paiement à un payeur. C'est une sorte d'initiation de paiement standardisé. Le request to pay, en place depuis le 15 juin 2021, peut être pris en main par tous les acteurs qui le souhaitent.

Plus ou moins cher ?

L'autre gros point d'interrogation qui tourne autour de l'initiation de paiement est son modèle économique. La logique voudrait que l'initiation de paiement soit moins chère que la carte puisqu'on ne passe plus par les réseaux interbancaires. Sans oublier que pour faire adopter un moyen de paiement, mieux vaut qu'il ne soit pas cher. Sur cette question, pas de réponse unanime pour l'instant. De son côté, Fintecture revendique être 40% moins cher que la carte mais son modèle de tarification varie en fonction des volumes. Et pour un acteur plus traditionnel, ajouter un nouveau moyen de paiement à forcément un coût. "Il faut bannir l'idée que la carte est payante et trop chère et que l'initiation de paiement va être quasiment gratuit. Quelque chose de gratuit n'a pas de valeur. Et si elle n'a pas de valeur, elle ne fonctionne pas correctement. L'idée véhiculée selon laquelle l'initiation de paiement va remplacer la carte est fausse. Je ne suis pas sûr que la matrice de facturation sera si différente que la carte car maintenir un dispositif 24h/24 et 7j/7 de façon sécurisé coûte cher", prévient Fabrice Denèle.

Lyra table sur un pourcentage à la transaction avec un fixe mais "ce coût sera inférieur à celui de la carte", assure Anton Bielakoff. "Un PSP ou une banque facture un coût fixe sur un virement, pas un pourcentage. Or, tout le monde va essayer d'aller vers un pourcentage sur une initiation de virement car c'est ce qui sera le plus intéressant pour les paniers élevés. Mais tout dépendra de la concurrence. La messe n'est pas dite", observe un expert du paiement. Il faudra forcément faire des sacrifices.