Hélène Macela-Gouin & Geoffrey Richard (Schneider Electric) "Schneider Electric a créé un modèle d'affaires pour l'économie circulaire de l'IoT"
L'économie circulaire est une problématique majeure de l'IoT. Engagés dans la démarche depuis plusieurs années chez Schneider Electric, Hélène Macela-Gouin, vice-présidente Secure Power, et Geoffrey Richard, directeur de l'économie circulaire en France, livrent leurs conseils.
JDN. Comment le groupe Schneider Electric définit-il sa politique d'économie circulaire ?
Geoffrey Richard. L'économie circulaire repose sur cinq piliers :
- L'éco-conception : il faut veiller au design des produits et à la consommation de matières premières. Nos équipes de R&D conçoivent ainsi les produits en respectant notre indice de réparabilité et intègrent des matières plus vertueuses.
- Le maintien en condition opérationnelle des équipements : plus un appareil durera dans le temps, moins il y aura de déchets. Chez Schneider Electric, nous avons développé une offre de services pour la maintenance prédictive grâce aux pièces de rechange.
- Le packaging : il faut travailler sur les emballages. Par exemple, quand il y a sur le marché des emballages abimés, ils sont immédiatement écartés. Mais cela ne veut pas dire que l'intégrité du produit est impactée. Nous les rappelons pour tester le produit et, s'il est neuf, lui réimprimer un emballage pour le remettre en vente au lieu d'en faire nécessairement un déchet.
- Le développement de nos capacités de reconditionnement des produits : aujourd'hui, un tiers de nos produits sont reconditionnés.
- Le recyclage : dernier maillon, le recyclage doit être pris en compte quand le produit ne peut plus être reconditionné et fait office de déchet. Mais l'objectif de l'économie circulaire est de réduire au maximum les déchets.
Qu'est-ce qui freine la mise en place d'une démarche d'éco-responsabilité chez les acteurs de l'IoT ?
Hélène Macela-Gouin. Le processus d'économie circulaire est très complexe à mettre en œuvre. Il faut penser à la fois à concevoir des produits démontables et réparables, mais aussi savoir comment les rappeler dans ses usines puis comment les réinjecter sur le marché une fois reconditionnés. C'est un gros point de blocage. Nous avons en tant qu'industriel énormément de références qui évoluent chaque année. Ce n'est pas simple et c'est un chemin de progression, on ne peut pas commencer l'économie circulaire sur 100% des produits.
Par quoi commencer quand on veut s'y engager dans l'IoT ?
Geoffrey Richard. La première chose à faire, dans l'IoT ou tout autre secteur, est une démarche d'évangélisation et de changement d'état d'esprit des filières avec lesquelles on travaille. Tous les commerciaux doivent être sensibilisés à l'économie circulaire. Il n'y a pas besoin d'avoir fait d'études sur le marché, l'engagement et la conviction suffisent pour réussir. Le modèle produire, consommer, jeter n'est plus viable. Il faut cibler les bons acteurs de la filière pour avoir un effet d'entraînement. Il faut ensuite établir la liste des critères techniques, pour éviter les pollutions par exemple, et penser aux processus à mettre en place, pour le rappel des produits, leur reconditionnement, leur remise sur le marché. Cela demande de nouveaux flots IT, de nouvelles garanties.
Quelle est la plus grande difficulté rencontrée par Schneider Electric ?
"Le point-clé de l'économie circulaire : l'appliquer à des gammes qui trouveront des acquéreurs"
Hélène Macela-Gouin. La difficulté est de mettre en place un modèle d'affaires qui fonctionne à l'échelle. Certains acteurs ont déjà réussi à appliquer l'économie circulaire au niveau local mais il faut pouvoir généraliser la pratique à grande échelle. Si on demande à une entreprise d'investir sur l'économie circulaire, il ne faut pas que sa marge soit minime. Il faut ainsi le faire sur des produits qui ont de la valeur et pour lesquels un gain environnemental. On ne peut pas envisager, par exemple, de récupérer le petit capteur d'ouverture de porte au fond d'une usine car il y aurait des coûts économiques et écologiques déraisonnables tant pour l'industriels et le client. Le point-clé de l'économie circulaire : l'appliquer à des gammes qui trouveront des acquéreurs. Si les produits ne se vendent pas, la démarche est inutile. La cohérence de la politique des prix entre le neuf et le reconditionné est fondamental.
Vous avez créé votre label d'éco-responsabilité, Circular Certified, et l'usine de Privas est votre plus grand site de reconditionnement. Quel en est le bilan ?
Geoffrey Richard. Le label est important dans notre secteur, l'IoT étant un produit technologique, il y a des réticences à adopter l'économie circulaire pour assurer la sécurité électrique. Dans notre proposition de valeur, un produit issu de l'économie circulaire est conforme aux normes en vigueur et il dispose des mêmes garanties qu'un produit neuf. Nous avons développé une vraie expertise. Concernant le site de Privas, il s'agit du plus gros reverse-center de Schneider Electric en France. On y traite différentes gammes : les onduleurs, les variateurs de vitesse, certains automates industriels ou encore des interfaces hommes-machines comme des écrans de contrôle. En 2022, plus de 10 000 produits y ont été réparés, ainsi que 50 000 cartes électroniques.
Quelle perspective observez-vous pour encourager l'éco-responsabilité dans l'IoT ?
Geoffrey Richard. Dans le cadre de l'éco-conception, le jumeau numérique, par ses simulations, est l'une des solutions à suivre de près pour bien organiser le retour des produits (take-back). Son utilisation pour cet usage est encore émergente mais cela permet de standardiser les réflexions.
Hélène Macela-Gouin est vice-présidente de Schneider Electric en France, en charge des activités secure power. Elle a été directrice de la stratégie France et de la sustainabilité. Elle a débuté sa carrière dans les télécommunications, chez Orange au centre de R&D d'Issy les Moulineaux. Après d'autres expériences chez Alcatel et Nokia, elle a rejoint Schneider Electric en 2018.
Geoffrey Richard est directeur de l'économie circulaire en France depuis juillet 2022. Il est rattaché à la stratégie France du groupe et pilote l'ensemble des activités liées à l'économie circulaire. Il a auparavant emmagasiné huit ans d'expérience dans la gestion de gammes de produits et de la relation client.