Désengagement en entreprise : un vrai problème englué dans de mauvaises solutions

Face au désengagement croissant, les managers tentent d'inverser la tendance et de fidéliser leurs collaborateurs. Mais existe-t-il une réelle solution pour entretenir l'implication de ses salariés ?

Selon l’institut Gallup, 86% des salariés européens sont désengagés, un phénomène de plus en plus coûteux pour les entreprises qui redoublent d’effort pour l’éradiquer. Mais plus les managers essaient de résoudre les problèmes de leurs collaborateurs, plus ces derniers semblent se désengager. Est-ce qu’en voulant trop bien faire, l’entreprise et ses managers ne finiraient pas par mal faire ? Et si la solution émanait tout simplement des collaborateurs eux-mêmes ?

Qu’est-ce que le désengagement ?

Le chiffre de 86% de salariés désengagés peut sembler faramineux. D’ailleurs, qu’entend-on exactement par désengagement ? Selon nous, un salarié peut être perçu comme désengagé s’il répond par la négative à cette simple question : “ Continueriez-vous d’exercer votre métier actuel si vous n’aviez plus besoin d’argent ? ”. En d'autres termes, pour les gens désengagés, le salaire serait la principale source de motivation. Évidemment, la rémunération est indispensable, mais elle ne devrait pas constituer la seule finalité d’un emploi.

Les salariés désengagés ont deux choix, malheureusement tous les deux perdants pour l’entreprise. Le premier est de la quitter en démissionnant : c’est la “ grande démission". Avec une augmentation de 22% des démissions entre 2019 et 2021, ce phénomène est devenu très coûteux pour l’entreprise car le coût d’un départ est estimé à 3 mois de salaire selon une étude de CEBR de 2018. Le deuxième, c’est d’y rester en adoptant la stratégie du moindre effort. C’est le phénomène de la “ démission silencieuse ”, lui aussi très coûteux puisqu’il entraîne une baisse de productivité allant jusqu'à 70% (source Gallup).

Il est donc logique que les entreprises se soient saisies du problème. Mais pour l’instant, aucune ne semble avoir trouvé la solution magique. Pourquoi ?

Les entreprises adressent un problème individuel de manière globale

Tout part d’une bonne intention. Pour lutter contre le désengagement, beaucoup d’entreprises commencent par le mesurer à travers des baromètres, car “ ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas ” (Dewing).

En faisant cela, les entreprises commettent peut-être une première erreur : elles adressent le problème du désengagement de manière globale alors qu’il s’agit d’un problème éminemment individuel, chaque collaborateur ayant ses propres raisons d’être désengagé.

La deuxième erreur, c’est que sur des sujets aussi complexes que le désengagement, le déclaratif n’est pas adapté. Il existe souvent un décalage énorme entre la perception du problème par les collaborateurs et sa véritable nature, encore plus quand on le réduit à quelques cases à cocher dans un sondage.

Il est donc assez normal de voir remonter en tête de ces baromètres les sujets les plus “ évidents “ comme celui de la rémunération. Un problème que les entreprises qui en ont les moyens vont essayer de résoudre en augmentant les salaires ou en distribuant des primes plus généreuses.

Mais ne venons-nous pas de dire que travailler uniquement pour l’argent favorisait le désengagement ? Une étude publiée par McKinsey a d’ailleurs mis en lumière que, contrairement à ce que pensent les entreprises, quand ils sont sondés par un tiers, les collaborateurs déclarent préférer d’abord se sentir plus valorisés par leur entreprise et leur manager plutôt qu’une meilleure rémunération.

La solution au désengagement passerait donc par les managers. Effectivement, si l’on souhaite agir de manière plus individuelle, le manager n’est-il pas le mieux placé pour comprendre finement les problèmes de chacun de ses collaborateurs ? Peut-être pas…

Les managers, croyant bien faire, accentuent le problème

Encore une fois, tout part d’une bonne intention. La plupart des managers veulent bien faire et considèrent qu’une part importante de leur travail consiste à résoudre les problèmes de leurs collaborateurs.

Le désengagement en étant un, ils essaient naturellement d’y apporter des solutions. Ils opteront sans doute spontanément vers ce qui a pu fonctionner pour eux, dans un autre contexte, même si cela a peu de chance de fonctionner sur le collaborateur (chaque problème étant unique).

En outre, le problème que remonte le collaborateur est rarement le bon : soit il n’en a pas véritablement conscience, soit le rapport hiérarchique l’empêche de l’avouer. Le manager répond donc par une mauvaise solution au mauvais problème.

Reprenons notre exemple sur l’argent. Le collaborateur vient voir son manager pour se plaindre de ne pas être assez payé par rapport au marché. Ce dernier, passé l’effet de surprise, se rend compte effectivement que depuis plusieurs semaines son engagement a baissé, même s’il reste l’un des meilleurs éléments de l’équipe. Il lui promet d’essayer de faire quelque chose et il parvient à lui faire bénéficier de l’enveloppe des augmentations du plan d’action.

Le collaborateur semble ravi. Mais au bout de quelques mois, il est à nouveau désengagé. Son manager le prend personnellement, y voyant une forme d’ingratitude. Prisonnier de son agacement, il ne peut envisager que l’argent ne soit pas le véritable problème de son collaborateur. Il devient plus distant avec lui, presque agressif, ne faisant qu’augmenter son désengagement.

En voulant bien faire, le manager a fini par mal faire.

Les collaborateurs ne sont pas assez sollicités pour identifier et résoudre leurs problèmes

Et si l’on s’intéressait à la personne que tout le monde essaie de réengager sans succès, à savoir le collaborateur ?

Son entreprise l’a d’abord sondé pour savoir s’il était désengagé. Il connaît évidemment la réponse, d’autant que depuis quelques temps, il a du mal à se projeter sur la suite de sa carrière et ne sait pas ce qu’on attend de lui pour progresser… Il a quand même répondu, et a été agréablement surpris du plan d’action mis en place. En découvrant le volet sur la revalorisation des rémunérations, il se fait la remarque qu’il est un peu moins bien payé que le reste du marché.

Il décide après beaucoup d’hésitations d’en parler à son manager. Bien lui en a pris ! Contre toute attente, il est augmenté. Il en est vraiment reconnaissant à son manager. Mais passés la satisfaction du début et le surplus de motivation qu’elle a créé, son engagement se remet à baisser. Cette fois-ci, il n’ose plus en parler à son manager, d’autant qu’il sent que ce dernier est devenu plus irritable sur le sujet. Pourtant, il aurait vraiment besoin que quelqu’un l’aide à comprendre pourquoi sa motivation est au plus bas alors qu’il vient d’être augmenté.

En l’écoutant activement, on aurait pu l’aider à se rappeler que son problème initial n’était pas sa rémunération mais ses perspectives d’évolution dans l’entreprise, même s’il n’a jamais été carriériste. Il aurait compris que ce problème cache un mal plus profond : le sentiment de ne plus apprendre, de donner plus qu’il ne reçoit, notamment de la part de son manager. Surtout s’il considère que faire progresser ses équipes est une tâche fondamentale de la fonction managériale, et donc que si son manager ne le fait pas, c’est qu’il ne veut pas le faire.

Il aurait fallu continuer à l’écouter pour lui faire réaliser qu’étant l’un des meilleurs éléments de l’équipe, son manager n’a peut-être pas conscience de son besoin de se faire accompagner, d’autant que d’autres collaborateurs dans son équipe ont de gros problèmes et lui prennent beaucoup de temps…

Mais personne ne l’a écouté, et le collaborateur s’est enfermé dans ses croyances. Se sentant prisonnier, il finit par démissionner, pensant que l’herbe sera plus verte ailleurs.

Et si on prenait le problème à l’envers ?

Et si, plutôt que de vouloir réengager les collaborateurs, on les aidait à se réengager ? La motivation du collaborateur à changer n’en serait que renforcée.

Le collaborateur aura probablement du mal à y arriver seul, car prendre conscience de ses véritables problèmes est un processus long et difficile pour n’importe qui. Mais le manager peut lui apporter une aide décisive en se positionnant comme manager-coach, en l’écoutant activement pour l’aider à conscientiser les vraies raisons de son mal-être, au-delà de réponses toutes faites comme l’argent, qui masquent souvent une réalité plus complexe. Le manager peut ensuite l’aider à passer à l’action, grâce à la clarification d’objectifs.

L’entreprise aura elle aussi un rôle à jouer, comme de former les managers à cette posture de coach qui nécessite de nouvelles compétences. Elle pourra aussi réorganiser les tâches des managers pour qu’ils puissent enfin prendre le temps d’écouter.

Cette approche peut sembler plus coûteuse de prime abord, mais une seule heure d’écoute active peut avoir un impact massif, comme prévenir une démission, réengager un collaborateur ou le rendre plus performant en lui permettant de mieux exploiter ses qualités.