L'indépendance financière des femmes : un enjeu encore à conquérir

Il y a soixante ans, la France mettait fin à une absurdité juridique qui confinait les femmes à la dépendance économique. Or des progrès restent à faire.

Il y a soixante ans, la France mettait fin à une absurdité juridique qui confinait les femmes à la dépendance économique. La loi de juillet 1965 leur permettait enfin d’ouvrir un compte bancaire et de travailler sans l’autorisation de leur mari. Ce progrès, obtenu au prix de décennies de luttes, marquait un tournant décisif dans la conquête de l’indépendance financière. 

En 2015, à l’occasion du cinquantième anniversaire de cette loi, beaucoup pointaient déjà les limites d’une égalité purement théorique. Dix ans plus tard, force est de constater que les écarts économiques, patrimoniaux et sociaux n’ont que très peu reculé. Ce que nous n'avons pas fait en dix ans, il devient urgent de l'accomplir maintenant. 

Des écarts qui résistent, malgré les apparences de progrès 

Les chiffres sont sans ambiguïté. En 2023, l’écart salarial entre les femmes et les hommes atteint encore 22,2 %. Une évolution dérisoire par rapport aux 23,7 % observés en 2015. Sur les postes comparables, l’écart est légèrement réduit mais reste à 3,8 %, preuve que l’égalité de traitement, pourtant inscrite dans la loi, demeure théorique dans bien des entreprises. Le patrimoine, levier essentiel d’indépendance, révèle la même inertie. 

Les femmes disposent en moyenne de 16,3 % de patrimoine en moins que les hommes, un chiffre qui n’a pratiquement pas bougé depuis dix ans. Cette stagnation illustre la lenteur, voire la complaisance, avec laquelle notre société traite la question de l’égalité économique. 

L’investissement, entre espoir et freins persistants 

L’investissement financier, qui devrait être un formidable accélérateur d’autonomie, illustre les mêmes inégalités. Il est vrai que la participation des femmes progresse. En 2015, elles représentaient moins de 10 % des nouveaux investisseurs. En 2024, elles sont 36 %, un signe encourageant. Mais derrière ces apparences, la réalité reste préoccupante. Les femmes privilégient encore massivement des produits d’épargne prudents et faiblement rémunérateurs. Moins de 8 % détiennent un Plan d’Épargne en Actions, contre 16 % des hommes. Seules 18 % possèdent une assurance-vie, contre 21 % des hommes. 

Ces écarts s’expliquent en grande partie par un déficit d’éducation financière. Selon l’OCDE, les femmes obtiennent un score moyen de 5 sur 7 en littératie financière, contre 5,4 pour les hommes. Ces écarts, qui paraissent marginaux, ont des conséquences directes sur la capacité des femmes à faire croître leur patrimoine, sécuriser leur avenir et accéder à une réelle indépendance économique. 

Derrière les discours d’égalité, la réalité du womenwashing 

Face à ces constats, le discours des entreprises sur l’égalité semble bien souvent relever de l’exercice de communication. Le fameux Index de l’Égalité Professionnelle affiche un score moyen de 88 sur

100 en 2024, mais seuls 2 % des entreprises atteignent le score maximal, et les sanctions prévues en cas de non-respect restent rares et symboliques. Dans les organes de décision, les femmes peinent à briser le plafond de verre. Elles ne représentent que 27 % des membres des comités exécutifs des grandes entreprises françaises, et seulement 24 % des personnes occupant les postes les mieux rémunérés. Derrière les engagements de façade et les discours bien rodés, le womenwashing prospère, entretenant l’illusion du progrès. 

L’autonomie financière, un combat aussi culturel 

Les freins à l’autonomie financière des femmes ne sont pas uniquement structurels. Ils sont aussi profondément culturels. Dans les foyers, la répartition des ressources et des décisions reste déséquilibrée. En 2023, 65 % des femmes mariées gèrent leurs finances conjointement, mais 15 % déclarent ne pas avoir le contrôle de leurs ressources, une proportion certes en baisse par rapport à 2015, mais encore préoccupante. Seules 15 % des femmes prennent des décisions d’investissement de manière autonome. 

Les interruptions de carrière, le temps partiel subi, qui concerne 30 % des femmes contre seulement 8 % des hommes, et les écarts de pension à la retraite, qui atteignent encore 38 % pour les revenus directs, renforcent cette vulnérabilité économique. 

Transformer le droit en pouvoir économique concret 

Ces constats doivent nous conduire à une prise de conscience collective. L’indépendance financière ne se résume pas à ouvrir un compte bancaire. Elle implique de maîtriser son patrimoine, d’investir en connaissance de cause, de préparer son avenir, de prendre des décisions en toute autonomie. Ce chemin vers l’émancipation économique ne se parcourt pas seul. Il nécessite un accompagnement adapté, une éducation financière accessible, des incitations à investir et des politiques publiques ambitieuses qui prennent enfin en compte les réalités et les besoins spécifiques des femmes. 

Dix ans après avoir dressé le constat d’une égalité encore incomplète, il serait irresponsable de se satisfaire du statu quo. Le temps des demi-mesures est révolu. 

Soixante ans après la loi de 1965, il est grand temps de transformer le droit en pouvoir économique réel. L’émancipation financière des femmes ne peut plus attendre. C’est un enjeu d’égalité, mais aussi un levier majeur pour une société plus juste, plus dynamique et plus résiliente. 

Sources

INSEE - Écarts salariaux 2015 

● INSEE - Écarts salariaux 2023 

● INED - Écart de patrimoine 

● World Bank - Comptes bancaires 

Banque de France - Épargne 

● AMF - Investisseurs 2023 

● OECD/INFE - Littératie financière 2023 

● Eurostat - Contrôle des ressources 

● DREES - Retraites 

FFA - Assurance-vie 

● Forum économique mondial - Global Gender Gap Report 2025 ● Ministère du Travail - Index égalité professionnelle 2024