Comment le paiement instantané aide l’Inde à passer des espèces aux paiements digitaux

Les espèces occupent une place prépondérante dans l’économie indienne. A l’inverse, l’adoption des systèmes de paiement en ligne, parmi lesquels le Système national de transfert électronique de fonds, le règlement brut en temps réel et les paiements mobiles interbancaires, reste faible.

La prédominance des espèces en Inde se confirme par le volume des retraits aux distributeurs automatiques qui est deux fois supérieur à celui des transactions par carte dans les points de vente.

Toutefois, en 2016, le secteur des paiements a connu un bouleversement majeur en Inde. Face à la dépendance croissante vis-à-vis des espèces et à lente adoption des paiements électroniques, la banque centrale indienne (RBI, Banque de réserve de l’Inde) a souhaité renforcer les systèmes de paiement et de règlement existants, tout en proposant des moyens de paiement digital plus simples et plus sûrs, afin d’encourager l’ensemble des citoyens à recourir plus largement aux paiements électroniques afin de créer une “société sans espèces”.

Accélérer la transition vers l’électronique et passer au « digital »

Avec plus de 460 millions d’utilisateurs d’internet, l’Inde est le deuxième marché en ligne derrière la Chine. Or, malgré ce grand nombre d’utilisateurs, seuls 26% de la population indienne a eu accès à internet en 2015. L’année 2016 a également été marquée par le changement avec la révolution Jio et le lancement des services 4G de Reliance Jio qui a secoué le marché indien des télécommunications et des données. Grâce à l’entreprise de télécommunication mobile indienne, l'internet haut débit est devenu accessible et abordable, ouvrant la voie à l’adoption globale des nouvelles technologies.

La révolution du paiement digital et la création de l’UPI !

Le lancement de la plateforme indienne de paiements en temps réel, (UPI, Unified Payment Interface - Interface de paiement unifiée) a joué un rôle crucial sur le marché des paiements digitaux en Inde. L'UPI a été lancée par la National Payments Corporation of India (NPCI), l’organisation-cadre nationale pour l'exploitation des paiements et les systèmes centralisés de règlement, créée par la Banque de réserve de l’Inde (RBI) et l’Association des Banques indiennes (IBA). Ce projet collaboratif avait pour mission de transformer l’Inde en une économie sans espèces et de promouvoir la transition vers les paiements digitaux.

L'UPI est une plateforme de paiement mobile en temps réel qui permet aux utilisateurs de transférer (payer) ou retirer (encaisser) instantanément des fonds entre deux comptes bancaires. Elle offre ainsi la possibilité aux utilisateurs de payer directement un particulier ou un commerçant à partir de leur compte bancaire, sans devoir saisir les données de leur carte, ou entrer un mot de passe sur une application ou un portefeuille électronique. Il suffit aux utilisateurs de télécharger l’une des applications UPI disponible sur mobile et de se connecter en utilisant le numéro de portable enregistré auprès de leur banque.

L'UPI propose des transactions financières Peer-to-Peer (P2P) et Peer-to-Merchant (P2M), ainsi que diverses options comme la consultation de solde en temps réel et l’historique des transactions.

C’est avant tout un moyen de paiement sécurisé et pratique pour les utilisateurs puisqu’il fonctionne en un seul clic, avec un système d’authentification à deux facteurs. Cela signifie que les utilisateurs doivent autoriser la transaction une seule fois en entrant le code PIN UPI, leur numéro de portable faisant ensuite office de second facteur d’authentification et venant compléter le processus d’authentification à deux facteurs.

Comment l'UPI gagne-t-elle du terrain auprès des consommateurs ?

Sur le marché des paiements en temps réel, la plateforme UPI se distingue par son interopérabilité et la simplicité de sa conception. Grâce à elle, le compte bancaire du consommateur devient mobile. Autrement dit, les utilisateurs peuvent être clients de la Banque A, mais relier leur compte auprès de la Banque A sur l'application UPI de la Banque B ou via des applications de fintechs telles que Google Pay ou Amazon Pay. S'ils possèdent plusieurs comptes bancaires, ils pourront tous les réunir sur une seule application. Cette fonctionnalité rend la plateforme extrêmement pratique à utiliser pour le client final, car elle crée pour ainsi dire un « super portefeuille » utilisant directement les comptes bancaires, sans nécessité pour le consommateur de posséder une carte de crédit ou de débit.

Avec l'UPI, le paiement devient simple et sécurisé grâce à l'utilisation d’identifiants uniques connus sous le nom d’Adresse de paiement virtuelle (Virtual Payment Address - VPA). La VPA permet aux consommateurs de s’identifier auprès de la personne qu’ils souhaitent payer, sans fournir les coordonnées de leur carte bancaire ou de leur compte, réduisant ainsi les risques de fraude.

Le « super portefeuille » : une solution idéale pour les entreprises

L'UPI simplifie également la vie des commerçants, puisqu’ils peuvent désormais accepter les paiements sans difficulté et ouvrir la voie aux paiements « in-app ». Avec elle, les commerçants peuvent ainsi utiliser leur téléphone portable pour accepter les paiements, ce qui réduit considérablement les coûts de transaction, notamment au regard des moyens de paiement traditionnels tels que les paiements par point de vente et QR code. En août 2018, la NPCI a mis à jour l'UPI en passant à la version 2.0. Alors que la version 1.0 avait été lancée en vue de créer une plateforme P2P performante, la version 2.0 est davantage axée sur les commerçants. Elle propose de nouvelles fonctionnalités, telle que la possibilité d’accorder l'autorisation préalable d’une transaction avec option de paiement ultérieur, une solution avantageuse à la fois pour les clients et les commerçants. Elle permet également de relier des comptes débiteurs sur UPI, générant ainsi plus de transactions dans l’écosystème, et de bénéficier d’une vérification renforcée, qui contribue à réduire la fraude.

Le modèle quadripartite de l’UPI : une nouveauté sur le marché des paiements en temps réel

L'UPI fonctionne sur la base d'un modèle à quatre parties :

  • La banque du remettant
  • Le prestataire de service de paiement du remettant
  • La banque du bénéficiaire
  • Le prestataire de service de paiement du bénéficiaire.

Les banques du remettant et du bénéficiaire correspondent aux comptes sur lesquels les mouvements de fonds sont effectués, tandis que les prestataires de service de paiement (PSP) du remettant et du bénéficiaire représentent les interfaces (dans le cas présent, une application mobile) utilisées par le remettant ou le bénéficiaire pour envoyer ou recevoir des fonds. Dans l’écosystème UPI, bien que les mouvements de fonds interviennent uniquement entre banques, l’interface ou la plateforme peut être gérée par une banque ou un établissement non bancaire. Les autres acteurs principaux de l’écosystème sont la NPCI (qui, comme indiqué précédemment, a développé la plateforme UPI et en assure la gestion), les commerçants et les clients finaux.

Une hausse des transactions sans précédent

Lancée en août 2016 avec près de 20 banques et 93 000 transactions (soit l’équivalent de 30 millions de roupies) traitées au cours du premier mois, l'UPI a dépassé la barre des 800 millions de transactions pour un montant de 1,33 billion de roupies en mars 2019, au travers de plus de 139 banques désormais membres de la plateforme. La base d’utilisateurs actifs de l’UPI compte près de 70 millions d’utilisateurs qui effectuent 11 à 12 transactions par mois.

La contribution des fintechs à cette croissance spectaculaire

En 2017, la NPCI a ouvert ses portes aux géants de la technologie, notamment Google et WhatsApp, afin qu'ils participent et contribuent à l’écosystème UPI. En effet, le régulateur et le gouvernement indien ont reconnu la nécessité de disposer d'une solide plateforme de paiement en temps réel. Cette contribution des fintechs a permis de renforcer et d’accélérer l’adoption de l’UPI par les consommateurs et les commerçants, mais également d’augmenter le volume des transactions. En mars 2019, sur près de 800 millions de transactions, Google Pay, PhonePe et Paytm en ont traité chacun entre 220 et 225 millions, soit environ 80 à 85 % de l’ensemble des transactions de l’UPI. Ces chiffres témoignent de la place essentielle qu'occupent les grandes entreprises technologiques dans la révolution UPI.

Quelle sera la prochaine étape ?

Bien que le nombre de transactions avec les commerçants a augmenté fortement au cours des six derniers mois, la route reste longue pour intégrer le monde du commerce hors ligne. Les banques se montrent toutefois optimistes quant à cette possibilité et sont convaincues que la réussite sera bientôt au rendez-vous. Au-delà des boutiques physiques et du commerce en ligne, l'UPI est censée proposer des solutions supplémentaires notamment en matière de crédit, d’assurance, de gestion de patrimoine et de fidélisation.

Que ce soit dans le domaine du P2P ou du P2M, l'UPI est parvenue à simplifier les paiements digitaux et à les rendre accessibles à tous. Plus largement, elle a en outre réussi à engager l’Inde sur la voie d’une économie recourant de moins en moins aux espèces.

Alors qu’une une partie de l’Europe dont la France hésitent sur l’approche à adopter, l’expérience indienne du paiement instantané pourrait être une source d’inspiration. En tout état de cause, comme Alipay ou WeChat qui arrivent en Europe, du fait du nombre d’utilisateur potentiel en Inde, il ne serait pas surprenant que UPI frappe aux portes de l’Europe prochainement et accélère la transition vers de nouveaux moyens de paiement.