Petit traité de changement amical : avouer ses doutes sans perdre la face

Le dirigeant peut-il avouer ses doutes sans perdre la face ? Et s’il s’inspirait de Philippe Auguste ?

Connaissez-vous le « dilemme du nouveau dirigeant » ? Il ruine bien des carrières…
  • on attend du dirigeant qu’il donne immédiatement des directives, alors que le savoir et le pouvoir de réalisation effectif se trouvent chez ses collaborateurs ; 
  • s’il impose un objectif, et que ses collaborateurs ne parviennent pas à l’atteindre, il aura perdu la face et sera définitivement ridicule et privé de pouvoir ; 
  • s’il annonce à ses collaborateurs qu’il a besoin d’eux, il sera immédiatement ridicule et définitivement privé de pouvoir… 
Ce dilemme résulte d’un phénomène bien français. Le Français est sensé être omniscient. Cela explique pourquoi une classe est muette. L’élève qui poserait une question serait immédiatement tourné en ridicule. Cette chronique s’adresse aux rares Français qui doutent. 

Philippe Auguste à Bouvines 

Georges Duby parle de Philippe-Auguste à la bataille de Bouvines. Philippe-Auguste est engagé dans une guerre contre une coalition d’ennemis. Elle ne tourne pas bien. Un jour, les deux armées sont face-à-face. Faut-il livrer bataille ? En ces temps, les batailles étaient rares, car trop dangereuses. On les comparait à des parties d’échec. Elles se terminaient par un mat. On préférait les escarmouches. En outre, Philippe-Auguste est vieux et fatigué. Et la bataille aura lieu un dimanche, ce qu’interdit la religion. Alors, il écoute ses barons. Ils lui déconseillent le combat. Ce sera la bataille. Comme le dirigeant moderne, le roi français était de droit divin. Pourtant, il consultait ses subalternes, et il ne perdait pas la face. 

Fair Process

Avant d’écrire « Blue Ocean », Kim et Mauborgne ont publié un article sur « Fair process ». Ce que l’on peut traduire par « processus (de décision) équitable ». Fair process, c’est Philippe-Auguste à Bouvines. Le dirigeant écoute ses collaborateurs. Une fois qu’il les a entendus, comme un juge, il leur dit sa décision, et, surtout, les raisons qui lui ont fait prendre cette décision.

Mais, au fait, quelle est la mission du dirigeant ?

Aujourd’hui, on entend par « dirigeant » un être familier des plans du cosmos, voire qui lui dicte sa conduite. Pour sa part, Philippe-Auguste, dirigeant d’une entreprise familiale, pensait sans doute avoir, seul, la responsabilité de l’avenir de celle-ci.  Sa mission était de juger, en dernier ressort, et de décider. Mais, pour un dirigeant d’entreprise familiale, la fin ne justifie pas les moyens. Une entreprise familiale n’est rien sans ses valeurs. Le dirigeant est le garant de son « code de lois ». Son amour propre est du côté de l’éthique plutôt que de celui de l’omniscience. 

Et si le dirigeant se prenait pour Philippe-Auguste ? Cela lui éviterait-il des dilemmes ?