Réforme de la formation professionnelle : vers un nouveau pacte de responsabilité ?
Après celles de 2004 et 2009, une nouvelle réforme de la formation professionnelle vient d'être adoptée. Elle modifie en profondeur le financement de la formation professionnelle, en passant d'une obligation de payer à une obligation de faire pour les entreprises.
Cette réforme introduit de nouveaux droits pour les individus à compter du 1er janvier 2015, principalement le compte personnel de formation (CPF) et le conseil en orientation professionnelle (CEP).Publiée au Journal officiel du 6 mars 2014, la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale porte une nouvelle réforme de la formation professionnelle, après celles de 2004 et de 2009. Elle reprend largement les dispositions prévues par l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle.
Cette loi va modifier en profondeur le financement de la formation professionnelle, en prévoyant la suppression partielle ou totale de l’obligation légale de financement du plan de formation pour les entreprises de 10 salariés et plus. Elle fixe les principes de fonctionnement du CPF (compte personnel de formation) créé par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Cette mesure remplace le DIF.
Au travers de ces deux mesures phares, la loi introduit incontestablement un nouvel équilibre en matière de responsabilités des entreprises et des individus dans le domaine du développement des compétences et de la formation professionnelle.
Obligation de former versus obligation de payer
L’une des principales dispositions de la loi est la suppression de l’obligation de contribution des entreprises de 10 salariés et plus au titre du plan de formation, représentant 0,9% de la masse salariale. Elle est remplacée à compter du 1er janvier 2015 par une contribution unique pour toutes les entreprises, dont le montant est toutefois différencié selon leur taille : pour les entreprises de moins de 10 salariés, le montant reste inchangé à 0,55 % de leur masse salariale. Pour celles de 10 salariés et plus, elle est portée à 1 % de leur masse salariale, dont 0,2 % pour le CPF (compte personnel de formation). Cette réforme devrait simplifier la gestion administrative de la formation, en ce sens où la contribution sera versée par les entreprises à leur Opca recouvrant la totalité des dispositifs (professionnalisation, CIF, CPF…).La loi prévoit que le financement de la formation puisse être complété par des négociations de branche prévoyant la mise en place (ou le maintien) de contributions supplémentaires ayant pour objet le développement de la formation professionnelle continue. Ces contributions éventuelles seront également versées par les entreprises à leur Opca.
Doit – on attendre de la suppression du « 0,9 % » consacré au plan de formation une diminution de l’effort de formation des entreprises ? Rien n’est moins sûr, dans la mesure où le taux de participation financière des entreprises représentait en moyenne 2,1% de leur masse salariale en 2011, soit bien au – dessus de l’obligation de 0,9 %, et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise : de l’ordre de 1,2 % pour les plus petites d’entre elles (- de 10 salariés), il dépasse 3% pour les entreprises de 2 000 salariés et plus.
Cette réforme du mode de financement de la formation ne remet par ailleurs pas en cause les obligations de l’employeur en matière de maintien des compétences des salariés, en relation avec la jurisprudence récente qui oblige les entreprises à justifier de leurs efforts pour y parvenir.
Au contraire, la loi renforce le rôle des instances représentatives du personnel : dans les entreprises de 50 salariés et plus notamment, la consultation du CE portera désormais non seulement sur l’exécution du plan de formation de l’année précédente et sur le projet de plan pour l’année à venir mais aussi sur l’exécution de l’année en cours.
Le CPF, avancée principale de la réforme
La création du CPF (compte personnel de formation) constitue le cœur de la réforme. Il se substituera au 1er janvier 2015 au DIF (droit individuel à la formation), dont 3 chiffres rendent compte de l’échec de sa mise en œuvre depuis 2004 : son taux d’accès était de moins de 5% en 2011 ; la durée moyenne des formations suivies dans le cadre du DIF était de 22,5 heures, insuffisante pour s’inscrire dans une démarche qualifiante. Seules 66 000 demandeurs d’emploi ont mobilisé leur DIF portable en 2012.Le CPF marque un pas en avant dans la mise en place d’un droit universel à la formation tout au long de la vie professionnelle, directement rattaché à la personne, et non plus au contrat de travail. A partir du 1er janvier 2015, il sera ouvert pour toute personne âgée d’au moins 16 ans en emploi ou à la recherche d’un emploi, voire dès 15 ans pour les jeunes en apprentissage, et jusqu’au départ à la retraite.
Les droits seront comptabilisés en heures, avec un plafond fixé à 150 heures, contre 120 heures pour le DIF. Ces droits pourront être mobilisés afin de suivre une formation permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences, une formation certifiante (ou permettant d’acquérir une partie de certification professionnelle), qualifiante et / ou diplômante. L’accompagnement à la VAE (validation des acquis de l’expérience) sera également éligible à la VAE. Toutes les formations ne seront toutefois pas éligibles au CPF ; seules celles figurant sur une liste mise à jour régulièrement le seront.
Lorsque la durée de la formation sera supérieure au nombre d’heures inscrites au CPF, celui – ci pourra faire l’objet d’un abondement supplémentaire correctif de 100 heures aux salariés à temps complet et de 130 heures pour les salariés à temps partiel. Seuls les publics reconnus comme prioritaires par la loi pourront toutefois bénéficier de cet abondement (salariés les moins qualifiés, salariés occupant des emplois menacés…)
Afin que ce nouveau droit puisse être effectivement mobilisé par les salariés et demandeurs d’emploi, la loi a prévu l’articulation entre le déploiement du CPF et celui du CEP (conseil en évolution professionnelle).
Dispositif dont les principes ont été posés par l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi, le CEP sera accessible à toute personne, à titre gratuit, dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ en retraite, quel que soit son statut. Sa mise en œuvre sera assurée par les organismes gestionnaires du CIF (congé individuel de formation), Pôle emploi, l’Apec, les Cap emploi ou encore les missions locales pour les bénéficiaires les plus jeunes.
Le CEP consistera à accompagner les projets d’évolution professionnelle et à faciliter, en lien avec les besoins économiques des territoires, l’accès à la formation, notamment au compte personnel de formation.
Le passage d’un système basé sur l’obligation à une démarche qui s’appuie sur la responsabilisation des acteurs – individus, entreprises, partenaires sociaux – permettra-t-il de remédier aux limites du système de formation existant depuis 1971 ? Les nouveaux droits individuels (compte personnel de formation, conseil en évolution professionnelle) ne s’inscriront dans les faits que s’ils sont simples à mobiliser, lisibles et si la possibilité d’accéder aux ressources financières et prestations existent réellement, au risque de reproduire l’échec du DIF.
Ces mêmes dispositifs, portés par la loi de juin 2014 relative la sécurisation de l’emploi, ne viseront cet objectif global que si les entreprises – et les partenaires sociaux – pensent la politique de formation comme un véritable outil au service de la stratégie de l’entreprise et de la sécurisation des parcours.
Là où existent des instances de dialogue social, ces nouvelles approches pourront certainement se développer; dans les petites entreprises, d’autres espaces de garanties collectives devront se construire.