De nouvelles limites pour la communication syndicale sur Internet

Une décision de la Cour de cassation vient de préciser les limites de la liberté d’expression d’un syndicat sur son site Internet. Explications d'Isabelle Mathieu, avocate associée chez DaeMPartners.

Les droits des syndicats en matière de communication

Le syndicat existe dans et hors de l'entreprise. Dans l'entreprise, ses communications sont régies par l'article L .412-8 du Code du travail qui organise le droit d'affichage et celui de distribuer des tracts. La loi du 4 mai 2004 a pris en compte les nouveaux modes de communication mais s'en remet à la négociation dans ce domaine ( loi n°2004-391). L'article L.412-8 du Code du travail prévoit désormais que le syndicat peut utiliser le réseau intranet de l'entreprise à condition qu'un accord d'entreprise autorise cet accès et en fixe les modalités. Une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 22 janvier 2008 (n°06-40514) précise, à ce propos, que l'accord peut limiter le contenu des communications syndicales à celles ayant un lien avec l'entreprise, et exclure expressément les communications à caractère politique. L'accord peut également limiter le volume des communications syndicales via la messagerie électronique afin d'éviter la pratique du spamming, déterminer des heures d'envoi, etc...

Hors de l'entreprise, le syndicat retrouve son entière liberté sur les moyens et le temps de communication. S'agissant du contenu des communications, les limites à la liberté d'expression des syndicats font l'objet d'un contentieux récurrent qui a donné lieu à  une récente précision à propos de communication syndicale via le web. La rapidité de diffusion de l'information et l'absence de discrimination du public touché lorsque les moyens de communication offerts par le du web sont utilisés (blogs, sites) nécessitent, en effet, que les règles soient précisément fixées. Le principe reste toutefois celui de la liberté. En conséquence, l'employeur doit attendre que l'information soit mise en ligne pour saisir le juge d'une contestation s'il estime que cette dernière porte préjudice à l'entreprise.


Les limites de l'expression syndicale en ligne

Que les communications soient intranet ou Internet, elles sont tout d'abord limitées par une exigence de conformité à l'objet syndical : les syndicats ont pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts.

Les communications sont aussi limitées par  les lois relatives à la presse, qui visent les délits de presse (injures et diffamations publiques, fausses nouvelles et provocations). Dans son appréciation du caractère délictuel de la communication syndicale, la jurisprudence prend en compte le contexte naturellement conflictuel issu de logiques contradictoires entre monde patronal et monde syndical.

Une dernière limite à la liberté d'expression des syndicats concerne la divulgation des informations confidentielles. Une obligation de discrétion pèse sur les membres du Comité d'entreprise et représentants syndicaux au CE en vertu de l'article L.432-7 du Code du travail. Ainsi, si les informations comptables livrées au Comité sont réputées confidentielles, le chef d'entreprise peut désigner comme confidentielles d'autres informations qu'il remet au Comité d'entreprise. Toutefois, le  Code du travail n'est pas applicable aux communications syndicales effectuées à partir d'un site extérieur à l'entreprise.


L'obligation de discrétion : des contours plus précis

La Cour de cassation est récemment venue prendre position sur les contours de l'obligation de discrétion qui limiterait la liberté d'expression d'un syndicat sur son site Internet (Cass.soc. 5 mars 2008 n°06-18907). Dans cette affaire,  la Fédération CGT des sociétés d'études avait ouvert, en 2004, un site Internet donnant des informations sur la société Secodip. Considérant certaines informations confidentielles (comptes rendus de négociations salariales, avis de l'expert du CE sur les comptes de la société, PV de CE..) la société en avait demandé le retrait du site au Président du TGI saisi en référé.

Le TGI Bobigny, le 11 janvier 2005,  avait fait droit à l'employeur, sur le fondement discutable de  l'obligation de discrétion pesant sur les membres du comité d'entreprise, experts et délégués du personnel. Mais l'ordonnance fut censurée par la Cour d'appel de Paris qui a considéré qu'"aucune obligation légale de discrétion ou de confidentialité ne pèse sur les membres d'un syndicat, à l'instar de celle pesant, en vertu de l'article L 432-7, alinéa 2 du Code du travail, sur les membres du comité d'entreprise et représentants syndicaux, quand bien même il peut y avoir identité de personnes entre eux. Aucune disposition ne permet d'étendre cette obligation à un syndicat, de surcroît, comme en l'espèce, syndicat de branche, n'ayant aucun lien direct avec l'entreprise, et ce, alors même que la diffusion des informations s'effectue en dehors de la société" (CA Paris 15 juin 2006).

L'arrêt est aujourd'hui cassé par la Cour de cassation qui considère que la liberté de communiquer des informations au public sur un site Internet peut être "limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d'informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers". Sa décision s'appuie sur le fondement de textes généraux : l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 1er de la loi pour la confiance dans l'économique numérique du 21 juin 2004. Lors d'une mise en ligne d'informations contestées, le juge du fond devra donc rechercher, en premier lieu, si les informations ont un caractère confidentiel, et, dans l'affirmative, si l'atteinte portée aux intérêts légitimes de l'entreprise justifie l'interdiction de leur divulgation.