Les entreprises doivent changer de logiciel en matière de reconnaissance des salariés (2/3)

Les études alarmantes qui se multiplient et les nouveaux outils digitaux de mesure d'engagement ont fini par trouver un écho en entreprises : celles-ci ont compris qu’elles devaient reconnaître davantage leurs salariés pour faire face aux terribles taux de désengagement. Mais elles ne s’y prennent pas forcément de la bonne façon. Tour d’horizon des initiatives en la matière et recommandations pour développer l’engagement des salariés en misant sur la reconnaissance.

2ème partie : s’appuyer sur l’humain

Dans ma tribune précédente, je soulignais l’importance pour les entreprises d’élargir leur appréhension de la reconnaissance au travail. Tant sur les raisons justifiant des marques d’appréciation - ne pas se cantonner qu’aux résultats - que sur les différents types d’appréciation elles-mêmes. La multiplicité des approches en matière de reconnaissance au travail témoigne en effet des nombreux prismes de sensibilités. Petite rétrospective.

Nous n’aimons pas être reconnus pour les mêmes raisons. Une première approche, référente dans les sphères francophones, s’appuie sur les types et contextes de reconnaissance que l’on peut observer en entreprise. Les travaux de Brun et Dugas, qui ont eux-mêmes synthétisé différents travaux en sciences de gestion, mettent ainsi en exergue trois types de reconnaissance :

La reconnaissance des résultats, issue de l’approche comportementale qui se soucie principalement des livrables et résultats tangibles au travail.

La reconnaissance des façons de travailler, issue de la fusion de deux perspectives - la perspective subjective et la perspective éthique -  qui portent respectivement leur attention sur les efforts fournis par le collaborateur et sur le respect des valeurs de l’entreprise dans la réalisation de ses missions.

La reconnaissance de l’individu, qui découle de la conception existentielle et humaniste. Sa particularité est de porter sur l’individu en tant que personne - dotée d’une personnalité et de compétences qui lui sont propres, ayant une vie personnelle en dehors de l’entreprise - et non en tant que salarié - un directeur marketing ou un développeur chacun interchangeables.

En fonction de leurs sensibilités, de leur vécu ou même de leur état d’esprit du moment, les collaborateurs auront plus ou moins besoin de recevoir des marques de reconnaissance liées à chacun de ces contextes. Un collaborateur se sentira par exemple davantage reconnu par le fait qu’on lui souhaite son anniversaire que par le fait d’être félicité pour un livrable de qualité.

Chacun sa reconnaissance

Néanmoins, encore faut-il que la reconnaissance soit interprétée comme telle : qu’elle résonne et soit perçue comme une marque de considération positive… ce qui n’est pas toujours gagné, car nous ne sommes pas tous réceptifs aux mêmes marques de reconnaissance. Dans mon exemple, le collaborateur est peut-être finalement peu touché par le fait qu’on lui souhaite son anniversaire… alors qu’il se serait senti beaucoup plus apprécié par un petit cadeau attentionné. C’est ainsi qu’une deuxième approche prend tout son sens. Celle-ci s’intéresse non pas aux contextes propices à la reconnaissance mais aux différentes façons d’exprimer de la reconnaissance : à ses différents langages. Chapman et White ont ainsi décliné The 5 Love Languages en l’adaptant au monde du travail et développé leur propre méthodologie utilisée principalement par les coachs et consultants RH aux Etats-Unis. Ils mettent ainsi en lumière cinq langages de la reconnaissance qui se déclinent en infinités de marques de considération :

  • Les mots valorisants : ce sont des mots (oraux ou écrits), compliments, encouragements et marques d’intérêt exprimés pour le collaborateur.
  • Les services rendus : ce sont des coups de main, de la flexibilité et du soutien opérationnel qui permettent au collaborateur de sentir qu’il fait partie d’un tout.
  • Les moments privilégiés : ils passent par le temps qui est accordé au collaborateur pour l’écouter, prendre en compte son avis, donner du feedback constructif.
  • Les interactions physiques : ce sont les poignées de main, les accolades ou les activités d’équipes réalisées en présentiel.
  • Les cadeaux attentionnés : ce sont les petites attentions tangibles, le fait d’accorder un bonus, d’offrir un repas au restaurant au collaborateur.

Chaque individu, chaque collaborateur possède un langage primaire et un langage secondaire. Les langages primaires et secondaires regroupent les attentions qui touchent le collaborateur et lui donnent le sentiment d’être apprécié pour ce qu’il fait, pour ce qu’il est. Ce sont donc les marques de reconnaissance les plus efficaces pour lui témoigner de la reconnaissance. À l’inverse, le collaborateur peut être insensible - voire complètement déprécier - un dernier langage : le langage dissident. Les différentes marques de considérations sont alors mal interprétées :

  • Les mots valorisants n’ont pas de valeur, ne montrent pas une forte marque de considération, ou sont trop faciles à exprimer donc n’engagent pas véritablement la personne.
  • Les services rendus mettent en doute la capacité à effectuer la mission seule, laissent penser que son collègue se croit en meilleure capacité de la réaliser ou ne donnent pas souvent le résultat exactement attendu.
  • Les moments privilégiés sont des dus et non pas des marques de considération, sont autant de moment où l’on se sent jugé ou sont des pertes de temps.
  • Les interactions physiques sont des enfreintes à son espace vital, sont des atteintes aux limites professionnelles / personnelles ou sont des moments embarrassants.
  • Les Cadeaux attentionnés mettent mal à l’aise, créent un déséquilibre dans la relation, donnent le sentiment d’être redevable.

L’entreprise seule ne peut donc pas bien reconnaître ses collaborateurs. À ces deux approches s’ajoutent bien d’autres prismes : le rapport aux relations hiérarchiques, la dimension privée ou publique de la marque de reconnaissance, la fréquence du besoin de se sentir reconnu, le degré de spontanéité… La vérité, c’est donc que chaque personne est unique dans sa façon de se sentir reconnue au travail.

On comprend donc qu’il est absolument impossible pour l’entreprise de mettre en place un système de reconnaissance unique qui soit efficace. Mais mettre en place un système de reconnaissance personnalisé à chaque collaborateur n’est pas une solution plus enviable - cela relève d’une mission impossible… et cela casserait de toute façon la spontanéité nécessaire aux marques de reconnaissance.

La seule chose que l’entreprise peut en revanche faire est de s’appuyer sur l’ensemble de ses collaborateurs pour qu’ils puissent combler le besoin de reconnaissance de leurs collègues. Une statistique ne trompe pas : 72% de la reconnaissance au travail provient des collègues de son service. Parce qu’ils sont aux premières loges des succès et efforts opérationnels, parce qu’ils sont les premiers avec lesquels on peut tisser des liens plus personnels… et parce qu’ils sont aussi les plus à mêmes d’exprimer les marques de reconnaissance qui toucheront le mieux leurs collègues.

L’enjeu pour les entreprises est donc de décupler ces marques de reconnaissance, en encourageant les collaborateurs à être davantage proactifs en la matière. Plus facile à dire qu’à faire… Quelques conseils au prochain épisode !