Rachat d'entreprise : comment bien intégrer les salariés ?

Rachat d'entreprise : comment bien intégrer les salariés ? Une entreprise qui en rachète une autre est une action tout à fait courante. Elle soulève toutefois de nombreux enjeux. L'un d'eux a longtemps été trop peu réfléchi : le management des salariés de l'entreprise rachetée, afin qu'ils s'intègrent le mieux possible.

"Toutes les entreprises et cadres dirigeants connaissent les risques liés à l'intégration humaine : résistance au changement, conflit, pouvant mener à l'échec parce que les personnes n'ont pas été embarquées", assure Audrey Rouziès, chercheuse en stratégie à Toulouse School Of Management. Or "les acteurs pré-acquisitions, dirigeants, banquiers d'affaires, investisseurs, ont des enjeux financiers, légaux, administratifs, stratégiques mais ne mettent pas en place les plans". Elle observe cependant "une petite inflexion vers les problématiques humaines, absentes il y a dix ans". Il faut "avoir en tête l'aspect humain dès le début", estime-t-elle. "De par les contraintes légales, on ne peut pas impliquer immédiatement tous les acteurs", complète-t-elle. Mais "en intégrant les parties prenantes le plus tôt possible, la création de valeur est supérieure à celle d'une opération décidée dans un cercle plus fermé".

Des cultures compatibles

En amont, "les dirigeants doivent se demander si les cultures des entreprises sont compatibles". Cela passe par un audit à trois niveaux : "national, entreprise, et métier - intéressant mais pas souvent questionné". La chercheuse raconte avoir travaillé sur la fusion de deux entreprises aéronautiques, où "leurs ingénieurs ne réussissaient pas à se parler, parce qu'ils avaient une culture différente : les premiers géraient un logiciel en interne, les seconds étaient des commerciaux en lien avec un prestataire, c'étaient des métiers très différents. C'était tellement intériorisé qu'ils ont mis six mois à le réaliser".  

Selon les entreprises, un intitulé de poste correspond à un véritable pouvoir de décision ou il est honorifique et implique une validation systématique. L'audit doit donc "vraiment se questionner sur tous les éléments de management y compris au quotidien et "sur les valeurs, missions, objectifs". Il peut être fait par les ressources humaines ou par le comité exécutif. 

"Plus que la différence de culture le problème, c'est la compatibilité, assure Audrey Rouziès. Tout dépend de la stratégie, ce sur quoi se base la création de valeur : pour des économies d'échelle, mieux vaut une grande adéquation. Quand un gros groupe rachète une start-up, une différence est un plus, par exemple, si l'entreprise rachetée sait manager des personnes handicapées, est hyper vertueuse dans la gestion de ses ressources…"

NetInvestissement, PME de conseil en gestion de patrimoine, rachetée il y a un an et demi par le groupe Primonial, dont le siège est à Paris, n'a pas été confrontée à une énorme différence de culture, selon le cofondateur Stéphane Van Huffel, "sinon on ne les aurait pas choisis. Le top management a vraiment une mentalité de startuppeurs, avec plein de projets et d'idées." Filiale avec une entité juridique propre et des locaux à Bordeaux, l'entreprise reste très indépendante, ce qui a permis une intégration harmonieuse.

"Le degré d'intégration dépend du type de rachat et des objectifs stratégiques : rachat d'un concurrent, sur un marché complémentaire, absorption", détaille Audrey Rouziès.  S'il s'agit d'une fusion juridique complète, les changements seront bien plus importants que si chaque entreprise garde une entité juridique distincte.

Communiquer dès le début

C'est ce choix qu'avait fait l'éditeur de logiciels professionnels Forterro, lors du rachat de société. Françoise Besnard, directrice des ressources humaines, explique : "On implémente une culture tout en gardant les valeurs de l'entreprise rachetée, parce qu'un de nos credo est de conserver le local. On commence par rencontrer les employés, au moins les postes clés, pour comprendre le fonctionnement, les valeurs de l'entreprise. C'est souvent là qu'on met en place des méthodologies  qui manquent parfois aux PME. Et petit à petit la culture évolue".

"L'intégration concerne aussi bien les ressources humaines que le comité de direction et l'ensemble des directions", assure Fanny Debbi du cabinet de management de transition Delville Management. La communication est primordiale, et ce, le plus tôt possible. "Elle doit être authentique, transparente, adaptée aux interlocuteurs. Il faut que chaque collaborateur connaisse les objectifs stratégiques, les raisons de l'acquisition…, insiste Audrey Rouziès. Et qu'il comprenne comment la fusion peut  impacter ou pas son quotidien." 

Y aller progressivement et impliquer les salariés

La chercheuse appelle à être vigilant sur "la transition identitaire". "Tout individu a une identité sociale en partie dérivée de son identité professionnelle, explique-t-elle. Elle est impactée lorsque deux entreprises se rapprochent. Il faut laisser du temps aux salariés, ne pas leur demander de renoncer brutalement à leur identité, car cela peut être pris de façon très violente." Elle cite un groupe aéronautique où les salariés s'identifiaient toujours à leur ancienne entreprise douze ans après le rachat, car "du jour au lendemain, on a changé uniformes, peintures des avions, bannières…"

Les événements et échanges informels favorisent l'intégration. Audrey Rouziès témoigne d'avoir accompagné une entreprise lors de deux jours d'intégration sous forme de team-building : "Pour le DRH il y avait une ambiance de colonie de vacances. Je lui ai répondu 'c'est génial. Les gens se parlent, la confiance se crée. Ils n'hésiteront pas en cas de difficultés à appeler la personne avec qui ils ont sympathisé".

Fanny Debbi, elle, a expérimenté plusieurs moyens de faciliter l'acculturation dans les groupes pharmaceutiques dont elle a géré les ressources humaines : créer des binômes tournants dans les équipes dirigeantes, entre des postes différents ; nommer un coordinateur pour chaque service afin d'établir un pont entre les deux sociétés. Et impliquer très tôt la direction communication pour un vrai plan de communication.    

Les salariés de la société acquéreuse peuvent être une aide précieuse pour faire accepter les nouveaux process, notamment quand une grande entreprise en rachète une plus petite. L'ex-DRH, qui a piloté plusieurs rachats, l'a aussi vécu comme directrice commerciale. Le plus "compliqué était de faire adhérer les collaborateurs à cette formalisation qui leur donnait l'impression de perdre du temps. Cela passe par de la pédagogie, de la patience, donner du sens. Et surtout, avec l'aide de ceux qui appliquaient déjà ces procédures, voir en quoi cela les aide dans leur quotidien".

L'intégration de NetInvestissement au sein de Primonial s'est faite petit à petit, service par service. Les salariés ont vu peu de changements au quotidien, même s'ils ont désormais des interlocuteurs à Primonial, pour certaines validations comptables par exemple. "La difficulté pour vous intégrer dans un groupe plus grand est de comprendre les attributions de chacun et de trouver le bon interlocuteur ", estime le cofondateur de l'entreprise. Ce dernier assure que l'intégration s'est globalement bien passée, car les deux anciens propriétaires ont montré l'exemple, même si ce n'était pas toujours évident. "Vous perdez votre bébé, votre capital, votre pouvoir de décision. Maintenant, on est obligé de partager avec un chef à Paris". Toutefois, l'intégration a été facilitée par le fait que les dirigeants de Primonial viennent au siège de NetInvestissement, à Bordeaux, pour créer des liens.

Des recherches ont montré que l'action des syndicats avait un impact non-négligeable sur la réussite ou l'échec d'une fusion. Pour Fanny Debbi, il est important de "leur donner toute l'information qu'on peut, jouer cartes sur table, les respecter, leur donner du temps dans la mesure du possible pour tout digérer, prendre conseil. Vouloir à tout prix avancer tambour battant est la meilleure façon de perdre beaucoup de temps".

Les RH peuvent aussi "s'appuyer sur les nouvelles recrues. Si la communication externe est bien faite, elles vont immédiatement adhérer aux nouvelles cultures, valeurs, objectifs et créer une dynamique", conseille Audrey Rouziès.

Montrer les opportunités et gérer les risques

"Les fusions et la réorganisation dans le groupe ont permis de faire évoluer les salariés, mettre des managers transverses, leur permettre de découvrir autre chose, tout en ayant la sécurité du poste. Dans une PME c'est plus compliqué, raconte Françoise Besnard directrice des ressources humaines de Forterro. Nous avons pu aussi augmenter les effectifs et être dans une dynamique de croissance."

Audrey Rouziès invite toutefois à faire attention aux "risques psychosociaux sous-considérés : fatigue professionnelle, burn out". "L'intégration impose une charge de travail en plus, souligne-t-elle. Il faut donc évaluer les ressources en temps supplémentaires qu'on peut allouer. Si besoin, on peut faire appel à un support externe : recrutements, consultants, freelances. Un projet bien ficelé doit aller vers une hausse d'effectifs, un renfort RH." Les dirigeants sont parfois confrontés à l'épineuse question de la suppression des doublons. "Il convient de penser plutôt aux compétences et aux connaissances qu'aux personnes pour soulager la tension émotionnelle", indique la chercheuse. 

Fanny Debbi voit aussi le côté positif : "Bien souvent, dans une intégration, vous avez la création de nouvelles entités, des postes nouveaux ou élargis. Vous devez sauvegarder au maximum l'emploi et donc proposer un reclassement, en interne d'abord, sur tous les postes vacants, y compris en proposant des formations".

D'autres éléments doivent aussi être considérés : modes de rémunération, statuts… là aussi, Fanny Debbi conseille d'y aller progressivement. Ce que fait Françoise Besnard au sein de Forterro : "On va prendre six mois, un an pour petit à petit mettre en conformité ou modifier des process RH. L'idée étant qu'à moyen terme, les sociétés qu'on rachète soient alignées".