Contre le chômage des jeunes, sortons du tout-CDI

Près d'un actif de 15 à 24 ans sur cinq est aujourd'hui sans emploi, contre à peine 7 % pour l'ensemble de la population.

Une fracture générationnelle face au chômage qui perdure depuis des décennies, malgré les alternances politiques et les milliards d’euros consacrés à des programmes d’insertion professionnelle : aides temporaires à l’embauche, contrats subventionnés, stages prolongés, promesses de CDI ... Autant de dispositifs qui ne sont jamais parvenus à corriger le déséquilibre structurel du marché du travail hexagonal.

Pourquoi tant d’échecs répétés ? L’explication réside en partie dans une vision trop étroite de l’insertion professionnelle. La France continue d’ériger le CDI comme le Graal de l’intégration sociale, un contrat supposé garantir stabilité et ascension. Or, cette représentation ne correspond plus forcément à la réalité vécue par une génération confrontée à la mondialisation, à la digitalisation et à des trajectoires de carrière de plus en plus fragmentées. La sécurité que l’on associe au CDI masque parfois une précarité sourde : temps partiels non choisis, faibles perspectives d’évolution, dépendance à un employeur unique dans un environnement instable.

L’obsession du CDI freine aussi l’exploration de voies alternatives

Dans de nombreux pays européens, l’entrepreneuriat est considéré comme un débouché naturel pour les jeunes diplômés. En France, il reste perçu comme une aventure marginale, réservée aux profils exceptionnels ou aux diplômés des grandes écoles. Pourtant, l’essor du statut d’auto-entrepreneur – près de 1,5 million de créations d’entreprises individuelles en 2023 selon l’Insee – démontre l’appétit d’une jeunesse désireuse de se lancer, même à petite échelle, dans des activités indépendantes. Ce mouvement est bien réel, mais il demeure entravé par un cadre institutionnel qui ne lui accorde pas la reconnaissance qu’il mérite.

Faire de l’entrepreneuriat une véritable porte d’entrée dans le monde du travail impliquerait une réforme ambitieuse. L’initiation devrait commencer dès le lycée avec la découverte des mécanismes économiques, la gestion d’un projet collectif, la confrontation d’une idée à un marché. Autant d’éléments qui devraient être une composante centrale de la formation initiale : ancrer la possibilité de créer son entreprise comme une option légitime, au même titre que le salariat.

Opter pour le mentorat entrepreneurial

Par ailleurs, l’attribution automatique d’un numéro de SIRET à 18 ans permettrait de franchir une étape symbolique et pratique. Elle offrirait à chaque jeune la capacité immédiate de déclarer une activité, de facturer, de tester des projets dans un cadre légal. Cette mesure donnerait un signal clair : l’entrepreneuriat n’est pas une voie d’exception, mais un droit commun. Bien encadrée, elle pourrait aussi limiter l’essor du travail informel qui prive aujourd’hui de nombreux jeunes de droits sociaux et de perspectives d’évolution.

Encore faudrait-il accompagner ce changement d’un écosystème de soutien solide. Le mentorat entrepreneurial constitue une piste essentielle. Associer chaque jeune porteur de projet à un réseau de professionnels expérimentés, issus de l’entreprise ou des associations, réduirait le risque d’isolement et multiplierait les chances de succès. L’accès au financement doit également être repensé : trop de dispositifs d’aide à la création sont calibrés pour des entrepreneurs déjà aguerris, alors qu’il faudrait cibler les phases de test et d’expérimentation.

Les bénéfices d’une telle réforme dépasseraient la seule question du chômage. Une société qui valorise l’initiative et la prise de responsabilité nourrit une culture de l’innovation, indispensable à la compétitivité future. Elle réduit aussi les inégalités territoriales : dans une petite ville ou une zone rurale où les CDI sont rares, la possibilité de créer une activité locale peut constituer une planche de salut. Enfin, elle renforce la résilience individuelle : même lorsqu’un projet échoue, l’expérience acquise constitue un capital précieux pour rebondir.

La lutte contre le chômage des jeunes ne peut plus se limiter à un triptyque éculé : emploi aidé, stage, CDI. Elle exige un changement de paradigme. Reconnaître l’entrepreneuriat comme voie d’entrée à part entière dans le monde du travail, en le rendant accessible, valorisé et accompagné, ne relève pas de l’utopie, mais du pragmatisme. Sortir du tout-CDI, c’est offrir aux jeunes non seulement un emploi, mais un avenir.