Todd Parsons (Criteo) "Nous pouvons réinventer le retargeting sur la base de notre activité retail media"

Ce sont les données first party de son réseau de partenaires et clients qui permettront à Criteo de se passer des cookies tiers, explique au JDN son chief product officer.

JDN. Le retargeting reste une source majoritaire de revenus pour Criteo. Mais cette activité est de plus en plus menacée par la fin des cookies tiers et la politique anti-ciblage d'Apple. Votre activité de retail media se développe mais ne suffit pas pour l'instant à compenser. Quelle solution avez-vous trouvé à ce dilemme ?

Todd Parsons est le chief product officer de Criteo © Criteo

Pour le reciblage, mais également pour l'acquisition de nouveaux clients, il nous fallait trouver une solution alternative aux cookies tiers et c'est ce que nous avons déjà commencé à mettre en place. Nous pouvons réinventer le retargeting sur la base des mêmes assets technologiques qui permettent à notre activité de retail media de se développer. Nous allons au-delà du retargeting puisque nous permettons depuis deux ans à nos clients, avec nos "Commerce Audiences", de réaliser l'acquisition de nouveaux clients. Nous générons déjà plus de 100 millions de dollars de recettes uniquement avec l'acquisition de nouveaux clients pour nos partenaires, une activité que Criteo ne proposait pas dans le passé. Pour ce faire, nous observons les interactions des utilisateurs qui ont donné leur consentement à ce suivi à la fois du côté du site du retailer, du publisher mais également de l'annonceur. Technologiquement, ce n'est pas compliqué de faire cela sans cookies tiers : le challenge, c'est de réussir à la même échelle.

Cela implique que les retailers, les éditeurs et les annonceurs soient tous équipés avec votre technologie et d'accord pour travailler ensemble en partageant leurs données first party. Est-ce cela le principe de votre activité désormais ?

Tout à fait ! Le plus souvent, ces donnes first party sont des ID issus d'emails hachés appartenant à la base de visiteurs du domaine du publisher, qu'il soit une marque, un retailer ou un éditeur. Nous pouvons par conséquent matcher ces données opt-in entre elles de manière un peu similaire à ce que nous avons fait dans le passé avec les cookies. Dans le passé, nous nous basions sur la visite d'un utilisateur de la page d'un de nos clients pour lui recommander un produit de même type, de la même catégorie ou complémentaire. Pour capter cette information nous utilisions un cookie ou un identifiant publicitaire mobile (désormais inexploitable sur iOS).

Désormais nous le faisons avec de la donnée first party de manière à l'activer on site et off site. Prenons l'exemple de l'activité de retail media : les retailers souhaitent à la fois monétiser leurs audiences dans leurs propriétés (on site) comme ailleurs sur le web (extension d'audience off site). C'est ce que nous les aidons à accomplir. Mais nous pouvons également aider les retailers à accompagner leurs clients annonceurs à acquérir de nouveaux clients (qui ne sont pas encore dans leurs bases de données CRM)  grâce à la modélisation de la connaissance que nous procure l'observation de toutes ces données opt-in croisées avec d'autres signaux, par exemple contextuels.

Comment procédez-vous pour matcher toutes ces données sans vous servir d'un traceur tiers et sachant que vous êtes un intermédiaire entre ces différentes parties ?

Nous avons créé ce que nous appelons notre "réseau de médias first party" afin que chaque partie prenante puisse matcher ses données propriétaires avec celles qu'ils souhaitent.  Nous rassemblons 22 000 marques, 165 retailers et 1 200 éditeurs, avec lesquels nous sommes en relation directe, c'est-à-dire sans l'intermédiation de SSP externes, ce qui est très important pour un bon matching des données. Matcher ses données dans ce réseau offre énormément de volume également parce que nous pouvons y ajouter de la modélisation. C'est pour cette raison que Criteo permet à ses partenaires de toucher également des consommateurs qu'ils n'ont pas encore rencontrés : nous offrons à nos clients la capacité de toucher les consommateurs tout au long de leur parcours, de l'acquisition à la fidélisation.

Comment arrivez-vous à offrir à la fois le volume et la protection de la donnée propriétaire tout en vous passant des traceurs tiers ?

Nous respectons toutes les exigences en matière de sécurité de données et de cas d'usage d'utilisation de données de chacun de nos partenaires. Certains veulent partager ou matcher leurs données, d'autres non ou seulement dans certains cas ou avec certains partenaires : nous respectons chaque demande. Prenons l'exemple des retailers qui sont très vigilants à l'égard de la sécurité de leurs données et du respect de la vie privée de leurs clients et qui ne souhaitent pas donner des signaux sur leurs clients et leurs intentions d'achat à leurs concurrents directs. C'est un cas de figure très délicat que nous aurions eu du mal à gérer avec le retargeting basé sur les cookies tiers. En revanche, nous pouvons maîtriser parfaitement qui a le droit ou non de se servir de cette donnée, par exemple en ayant recours à une data clean room.  Cette technologie nous permet d'anonymiser et de matcher les données entre les différentes parties prenantes. C'est une nouvelle manière de le faire. Tous nos clients ont besoin à la fois de volume pour leurs campagnes et de précision pour savoir à qui ils les diffusent. C'est pourquoi Criteo est en train de bâtir une plateforme qui offre aux publishers, aux retailers et aux marques les capacités de protéger leurs données propriétaires tout en disposant de reach grâce à un matching sur-mesure indépendant de cookies tiers.

Etes-vous technologiquement en mesure de vous assurer à 100% que vos partenaires respectent les choix de leurs utilisateurs en matière de dépôt de traceurs et de suivi publicitaire (RGPD) ?

Nous sommes totalement engagés à ce que les choix des utilisateurs soient respectés. Nous appliquons le plus haut niveau de transparence et de conformité aux législations en vigueur. Cela est clairement transcrit dans les contrats qui nous unissent à nos partenaires. Par ailleurs, nous choisissons des partenaires respectueux de la législation et qui expriment le même niveau d'engagement que le nôtre. L'industrie ne dispose pas à ce jour de moyen technologique pour s'assurer à 100% que ses partenaires respectent le choix des utilisateurs en matière de dépôt de traceurs publicitaires. Personne ne peut vous garantir cela. Je suis d'ailleurs heureux de l'évolution réglementaire : avec le DMA, l'IA Act et le Data Act, la situation continuera d'évoluer, et de nouveaux audits auront lieu. J'ai d'ailleurs beaucoup d'espoir que la mise en place de ces nouvelles législations se fasse au niveau transfrontalier, de sorte que pour quelqu'un qui opère à l'échelle mondiale et pas seulement régionale, comme Criteo, il soit plus facile non seulement de nous conformer nous-mêmes, mais aussi d'aider nos clients et nos partenaires à se conformer.

Quelle est votre opinion sur la Privacy Sandbox de Google ? Comptez-vous vous en servir ?

Nous sommes parmi les seuls acteurs disposant d'une technologie capable d'offrir à nos partenaires une solution à l'échelle industrielle et indépendantes des cookies tiers. La Privacy Sandbox a une place importante dans notre stratégie d'adressabilité, bien que cette solution n'ait pas encore fait ses preuves sur sa viabilité économique et financière, en plus de sa capacité à protéger la vie privée. Nous considérons que tous nos partenaires doivent obtenir pour les annonceurs un ROI adéquat à leurs investissements médias. Et pour les publishers un CPM juste. Si la Privacy Sandbox parvient à répondre à ces critères, alors nous nous en servirons. Nous sommes parmi les seules entreprises à tester activement cette solution en profondeur et à fournir les retours de ces tests à Google.