Quelles nouvelles sources de monétisation pour la presse digitale ?

La transformation digitale de la presse provoque un changement du mode de consommation de la presse : une information gratuite et rapidement consommée. Face à ce constat, comment les groupes médias s'adaptent pour trouver de nouvelles sources de revenus ?

Au cours d’une conférence sur le futur du métier de journaliste organisée par Cision France, l’un des intervenants, Nicolas Arpagian, a eu cette phrase vraie, bien que hors de la tendance actuelle, qui m’a marqué : "Pour que l’information ait une valeur, elle doit avoir un prix". Ce fait est aujourd’hui mis à mal par les nouvelles habitudes : l’information est gratuite et rapidement consommée, voire oubliée. La pub et les abonnements payants n’étant pas suffisant pour compenser les coûts d’une rédaction, nous allons nous intéresser aux autres sources de revenus des médias digitaux.

A la 10e édition de la "Presse du futur" qui s’est tenue à Paris fin novembre 2016, trois personnalités de la presse en ligne sont venues débattre des modèles économiques possibles pour ce secteur. Avant d’entamer les débats, les interlocuteurs ont rappelé des chiffres clés : 38 millions de Français consultent la presse en ligne tous les jours, soit 68 % de la population active. 74 % des 25-35 ans lisent un titre de la presse quotidienne nationale (PQN) chaque jour, dont 77 % d’entre eux lisent la PQN sur un support digital. Ainsi, la presse digitale a permis de constituer une nouvelle audience. Les participants de cette table ronde (Corinne Denis, directrice du Numérique et du Développement des Revenus pour le Groupe Lagardère Active ; Jean-Charles Falloux, directeur Digital Média et Innovation Technologique pour le groupe Les Echos/Le Parisien et Oliver GEROLAMI, président-directeur général du groupe Sud Ouest) sont unanimes. La rentabilisation des investissements dans la presse digitale repose sur trois piliers : l’optimisation, la diversification et la personnalisation.

Comme l’explique Oliver Gérolami, la presse digitale connait aujourd’hui trois évolutions : on passe d’une audience d’un ordinateur classique à une audience mobile, et du côté annonceur, on passe de la bannière classique au native advertising ainsi que du nombre d’impressions délivrées au nombre d’impressions qualifiées en termes de ciblage (CSP, localisation…). Ces changements ne sont pas les seuls en marche dans la presse digitale. Les réseaux sociaux ont modifié la relation du lecteur avec l’information. Celui-ci veut accéder à l’information gratuitement. Même si la pub vient atténuer le manque à gagner, celle-ci ne peut pas compenser à elle seule les coûts engendrés par une rédaction.

Optimiser le contenu présent

L’optimisation de la présence digitale de la presse peut prendre plusieurs formes : optimisation technique, optimisation éditoriale, optimisation organisationnelle… Des optimisations techniques sur des sites médias peuvent être réalisées afin de limiter au maximum le temps de chargement des pages ou améliorer la performance SEO des articles (référencement naturel) et ainsi augmenter naturellement les audiences, ce qui favorisera la publicité.

Le groupe Les Echos s’inspire des modèles des start-up pour se réorganiser en développant l’agilité des circuits courts pour faire des économies. Selon Jean-Charles Falloux, c’est près de 30 % de réduction des coûts de production qui peuvent être baissés. Ces économies pourraient être réinvesties dans la data-science : l’un des objectifs de cette « science » est de pouvoir calculer en temps réel le chiffre d’affaires réalisé sur les pages du groupe. A terme, on peut prévoir un pilotage des contenus produits par la data. Seuls les contenus les plus rentables pourraient être produits en fonction de la valeur créée.

Une des sources potentielles de revenu est la valorisation des big data. Les visites sur les sites laissent des traces. Ces indicateurs permettent de mieux connaître votre audience et ainsi de proposer une offre éditoriale personnalisée. Par exemple, si un internaute est intéressé par des études payantes mises à disposition sur le site, faut-il lui faire payer un accès payant aux autres contenus du site ? La question est ouverte…

Les services clés de la diversification des médias

Beaucoup d’organes de presse ont fait le choix de diversifier leurs offres pour trouver de nouvelles sources de revenus. C’est le cas notamment pour les trois acteurs présents à cette table ronde. Pour le groupe Les Echos et Sud Ouest, il s’agît de proposer des services de communication aux entreprises. Le groupe Les Echos propose ainsi « Les Echos Solution », dont le but est de fournir aux entreprises de nouveaux formats éditoriaux : newsletter, podcast, vidéo… Les Echos organise également des conférences professionnelles payantes. A terme, l’objectif du groupe est de réaliser 50 % de son chiffre d’affaires dans les services aux entreprises.

Le journal Sud Ouest propose également des services de communication aux entreprises : création de site internet, animation de réseaux sociaux, conseils éditoriaux etc. En plus de ce type d’activité, le journal régional a lancé un incubateur de start-up pour être au plus proche des innovations qui pourraient modifier le monde des médias digitaux.

Chez le Groupe Lagardère ce sont également des services qui ont été choisis pour accompagner le développement économique des sites. Par exemple, le célèbre site de santé doctissimo.fr propose des services de soins en fonction des contenus consommés.

Les réseaux sociaux bons pour l’audience, mauvais pour la monétisation

Pour Sud Ouest, les réseaux sociaux apportent de l’audience, un public jeune et urbain mais qui reste dans un univers 100 % gratuit. Selon Gerolami, les réseaux sociaux ne sont pas un bon outil pour monétiser. Le nombre d’abonnements n’est pas proportionnel au nombre de fans sur les réseaux sociaux. Pour preuve, les chiffres communiqués par le DG du Groupe Sud Ouest : 30 millions de visites par mois (10 millions selon SimilarWeb) sur le site, 250 000 inscrits aux newsletters du groupe pour un total 26 000 abonnements payants par mois à 9,90€, alors que le groupe compte au moins 550 000 fans sur les réseaux sociaux (Twitter & Facebook dans le cas présent).

De même pour Lagardère, les réseaux sociaux sont des alliés de l’audience mais pas de la monétisation. Selon Corinne Denis, Youtube est le réseau social qui a le plus de potentiel de monétisation grâce à la pub : le format vidéo est celui dont les revenus augmentent le plus. Les médias n’ont pas d’autre choix que de devenir petit à petit des producteurs de vidéos.

La presse traditionnelle est en pleine mutation structurelle pour s’adapter aux nouveaux modes de consommation de l’information. L’incertitude qui plane sur la valeur et la qualité de l’information sur les médias sociaux nous oblige à trouver des moyens de financement pour des rédactions. Néanmoins une chose est sure : les médias ne se tuent pas entre eux. Comme le disait Fréderic Mitterrand dans l’émission « Ça vous regarde » de LCP « aucun média ne tue un autre, le cinéma n’a pas tué le théâtre, la télé n’a pas tué le cinéma, internet n’a pas tué la télé ». Ainsi je fais le pari que les réseaux sociaux ne tueront pas la presse digitale mais celle-ci va devoir s’adapter pour survivre.

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A très bientôt !

Thomas Gérard