Benjamin Charbit (Darewise) "Entre Animoca Brands et Darewise, c'est la lune de miel"

Après plusieurs semaines de test, le studio Darewise conclura fin septembre la saison l de la version alpha de son très attendu jeu "Life Beyond". Le CEO du studio racheté en mars par Animoca Brands à 70% se montre confiant à l'heure d'un tour de table pour la vente des lands.

JDN. Depuis le lancement en juillet de la saison 1 de la version alpha de Life Beyond, votre jeu en ligne massivement multijoueurs, quels sont les premiers retours utilisateurs ?

Benjamin Charbit, CEO et cofondateur de Darewise. © Darewise

Benjamin Charbit. On s'approche des 20 000 joueurs et 1 000 DAU (daily active users, ndlr), c'est très positif. Les taux de satisfaction sont énormes. Bien sûr, on a plein de bugs, nous avons déjà fait plein d'updates, des patchs. On a quand même 40 000 personnes sur Discord, on trouve des gens qui sont à la fois gamer, intéressé ou cryptocurieux, c'est déjà une belle audience !

Life Beyond est régulièrement qualifié de jeu Web3. Est-ce une définition pertinente ?

Il faut être honnête et réaliste, il n'y a pas tant d'éléments que ça qui tournent on chain. Aujourd'hui, c'est tout de même une technologie assez inefficace pour des actions en temps réel, simultanées, en masse. Il n'y a pas de logique du jeu on-chain, seuls la propriété et les échanges de valeur le sont. Nous sommes sur Polygon et nous avons une très bonne relation avec eux mais ce n'est pas notre intention à moyen terme de passer à 100% on chain.

"Nous voulons que les joueurs soient complètement propriétaires de leurs contenus"

Pourquoi la propriété et la transaction sont-elles des notions importantes dans le jeu ?

Nous avons commencé avec cette idée de créer un MMO ( massively multiplayer online) dans lequel nous pouvions être qui on voulait. Nous sommes tous des joueurs et au fil de notre expérience, nous sommes devenus guild leaders, certains ont monté des business... Pour nous, c'était plus qu'un jeu, plus qu'un divertissement mais sans notion de propriété. Il y avait peu d'espaces pour l'innovation et pour l'entrepreneuriat. Juste avant Life Beyond, j'étais directeur créatif chez Ubisoft : j'ai travaillé sur Assassin's Creed, j'avais fait beaucoup d'open world, mon associé était le lead tech de Tom Clancy's The Division. On a embarqué beaucoup de gens avec nous, tous partants pour construire un MMO hybride avec la possibilité d'être littéralement un jeu de rôle : c'est à dire avec la possibilité d'être un marchand, un fermier, pas forcément un héros. Et nous voulions que les joueurs soient complètement propriétaires de leurs contenus : "Tout ce que je fais dans le jeu, c'est à moi". Je peux en disposer comme je veux, comme le vendre à d'autres joueurs contre de l'argent réel. Si je plante des carottes, je peux les vendre.

Capture du jeu Life Beyond. © Darewise

À quel point la technologie de la blockchain et des NFT facilite-t-elle ces mécanismes ?

Il y a eu un déclic : on essayait de construire un système de contrat dans le jeu, qui permettait de donner des ordres de mission à d'autres joueurs. C'était méga-chiant de coder ça car à chaque fois qu'on désirait un nouveau type d'ordre, il fallait développer un nouveau contrat. C'est en explorant que j'ai découvert les smart contracts et j'ai compris qu'ils permettaient la composabilité : n'importe qui peut créer son service, son smart contract qui communique avec notre jeu. Notre but étant de donner la capacité aux joueurs de créer. On croit beaucoup à l'ère du no code : nous voulons créer des outils. Nous avons cette idée de donner la capacité à nos joueurs d'être des développeurs dans une interface simplifiée. Le passage sur la blockchain a été assez naturel à un moment où l'on s'est dit que cela nous facilitait énormément le travail. Il y a eu des frictions en interne au sujet de cette technologie et ce qu'elle peut incarner : l'impact écologique, les arnaques, etc... Nous avons dû rationnaliser nos décisions à ce sujet mais nous sommes finalement parvenus à une conclusion satisfaisante. 

"Notre tour de table pour l'achat de lands était déjà complet avant même de l'avoir commencé"

Par le passé, les gamers ont souvent montré leur réticence aux NFT. Est-ce une crainte pour vous ?

J'ai déjà vu ce film dans le free-to-play : il a fallu des boîtes comme Supercell ou Riot pour que les gamers ne s'offusquent plus de ce business model. Nous avons la même approche : je veux que l'on arrête de parler de Web3, de crypto, de wallet, etc... Je veux que les mecs viennent jouer parce que c'est fun et aujourd'hui, lorsque tu te connectes à Life Beyond, tu n'as pas besoin de posséder de NFT ou de cryptomonnaie. On peut passer du temps à éduquer, on le fait un peu pour contribuer à l'écosystème mais j'ai plutôt envie que l'écosystème fasse en sorte qu'il ne soit plus nécessaire de comprendre comment créer un wallet, etc... La solution à tout cela, c'est de construire une expérience de qualité, surtout en plein bear market. Je trouve ça génial le bear market car ça a nettoyé. Et pour des gens comme nous, sérieux, long-termiste, on construit. Mine de rien, il y a de bonnes vibrations dans l'industrie à l'heure actuelle.

Vous réalisez d'ailleurs un tour de table auprès d'investisseurs privés pour l'achat de lands dans Life Beyond. Pourquoi passez-vous par cette étape ?

Mon but n'était pas d'aller chercher de l'argent. Sur ce tour là, qui a une supply très limitée, il n'y a pas de discount, par exemple. De fait, le seul avantage qu'ont ces investisseurs est de sécuriser leur place. Ils ne payent pas moins cher et c'est fait exprès, ce n'est pas l'avantage que l'on veut donner. Ce tour de table était déjà complet avant même de l'avoir commencé. Je continue à parler avec tous ceux que l'on avait short-listés pour voir combien ils veulent mettre et comment on va allouer tout ça car je veux un bon équilibre entre des investisseurs traditionnels, des investisseurs crypto, des ambassadeurs, des key opinion leaders, des guildes, des corporations, des DAO... Un équilibre pour qu'une fois le jeu lancé sur le marché public, l'audience plus large soit intéressée, comprenne qu'il y a de la légitimité. C'est difficile d'aller sur le marché public du jour au lendemain, sans avoir créé une première couche de confiance.

"Le bear market, c'est génial car ça a nettoyé"

Life Beyond sera doté d'un token. Comment vous positionnez-vous face aux questions de régulation, de plus en plus concernée par le play-to-earn ?

Nous sommes pro-régulation, non seulement DareWise mais aussi Animoca en général. La régulation est une bonne chose, le problème vient de la régulation à outrance et mal faite. En soi, la régulation renforce la confiance comme le bear market élimine les mauvais acteurs. Nous ne sommes pas promoteurs du play-to-earn dans son sens le plus traditionnel. Ce qui nous intéresse davantage, c'est le play-to-own : plus tu viens jouer, plus tu crées de la valeur… Le play-to-own est plus intéressant car ce qui compte, c'est la propriété et certains peuvent acquérir une propriété en achetant, d'autres en jouant. Il n'y aura pas de vente de tokens : les deux seuls moyens d'en obtenir seront la possession d'un land ou jouer.

Animoca Brands a acquis 70% de Darewise en mars dernier. Vous êtes valorisé 50 millions de dollars. Subissez-vous une pression supplémentaire depuis ce rachat ?

Au contraire, c'est un peu une lune de miel pour nous. Déjà, nous n'étions pas vendeurs à l'origine. Nous l'avons fait car il y avait un lien culturel extrêmement fort. Nous étions en train de lever une Série A qui se passait très, très bien et lorsque Sébastien Borget (co-fondateur de The Sandbox) m'a présenté Yat Siu (co-fondateur d'Animoca) en octobre 2021, j'ai vraiment été frappé par l'humilité des gens d'Animoca alors qu'à cette période la firme était déjà omniprésente. Ce sont des gens très réalistes sur l'état de la technologie, déterminés à redistribuer les cartes. De fait, on avait envie d'être avec eux, de prendre leur bateau, de bénéficier de leur expertise. Ce n'est pas un conglomérat qui nous pose des objectifs, c'est une plateforme qui est là pour nous aider. Ils croient beaucoup en nous et sont là pour nous ouvrir des portes. 

Que prévoyez-vous pour la fin de la saison 1 de l'alpha ?

Elle se termine fin septembre. Il y aura une grande fête pour célébrer cela. Puis, on repartira sur des développements, pas seulement UnReal (le moteur graphique, ndlr) mais je ne peux pas en dire davantage. On va commencer à vendre des lands en novembre mais la mise en circulation de la supply, soit 130 000 lands, sera vraiment connectée au gameplay. Nous sommes dans des ordres de grandeur de plusieurs années. L'objectif est de passer sur une saison 2 courant 2023, qui sera concentrée sur quelque chose de très différent : les lands, la construction, l'économie et la gouvernance. Life Beyond est aussi une opportunité pour nous de tester des nouveaux modèles de gouvernance, économiques. Les propriétaires de land pourront également voter sur les orientations choisies. C'est ce qu'il y a de bien dans le Web3 : on ne décide pas dans notre coin.

Ex-associé chez Lazard, Benjamin Charbit s'est tourné vers sa passion du jeu vidéo dès 2013, notamment chez Ubisoft en tant que directeur créatif du jeu Assassin's Creed. En 2018, il cofonde Darewise avec son associé Samuel Kahn.