Meredith Whittaker (Signal) "Vous ne verrez pas sur Signal de publicité ou de contenus créés par des influenceurs"

Pour Signal, pas de répits pour la protection des données personnelles. Gérée par une fondation, l'anti-Whatsapp mise avant tout sur le respect de la vie privée pour faire sa place sur le marché.

JDN. Signal est souvent présentée comme l'application de messagerie instantanée la plus sécurisée. En quoi son fonctionnement diffère de Whatsapp ?

Meredith Whittaker est la présidente de la messagerie Signal. © Signal

Meredith Whittaker. Signal et Whatsapp encryptent chacune le contenu des messages. Whatsapp utilise d'ailleurs le protocole Signal, qui est aujourd'hui le meilleur protocole cryptographique. Pour autant, Signal ne se limite pas à sécuriser le contenu des messages puisque nous ne conservons aucune métadonnée. Nous ne collectons aucune information sur nos utilisateurs, que ce soit leur nom, leur profil, etc. Outre l'aspect technologique, nos modèles de revenus sont également très différents. Notre modèle n'est pas basé sur l'affichage de publicité et notre objectif n'est donc pas de vous faire passer le plus de temps possible sur l'application

Whatsapp est détenu par Facebook, dont le modèle est basé sur la publicité et la monétisation des données personnelles. L'entreprise est ainsi en capacité de coupler les métadonnées recueillies via Whatsapp avec d'autres données utilisateurs, ce qui n'est pas notre cas. Enfin, Signal est géré par une organisation à but non lucratif et son logiciel est open source.

Quels sont les principaux bénéfices d'utiliser une application de messagerie instantanée open source ?

Le principal avantage de ce modèle est que nos utilisateurs peuvent aller vérifier tout ce que nous faisons. Dès que nous réalisons des modifications dans notre code informatique, celles-ci sont systématiquement examinées en détail. Certains programmeurs ont même essayé, en vain, de hacker le protocole d'encryptage que nous utilisons. Ce modèle permet donc de créer un lien de confiance avec notre communauté. Nous avons justement choisi de nous structurer comme une organisation à but non-lucratif afin de pouvoir concentrer nos efforts sur notre mission et non sur des objectifs de profits ou de croissance. Cette structure nous permet aussi de faire preuve d'une totale transparence, à l'image de nos finances qui sont aussi publiques.

Signal est financé entièrement grâce aux dons, et compte parmi ses soutiens historiques Brian Acton, cofondateur de Whatsapp. Quel est son rôle au sein de l'organisation et qui sont les autres donateurs ?

Brian a effectivement réalisé une donation significative et visionnaire (cinquante millions de dollars en 2018, après avoir quitté Facebook en septembre 2017, ndlr) qui a rendu possible la création de la fondation Signal. Il siège aujourd'hui au conseil en tant qu'executive chairman. Nous cherchons actuellement à diversifier l'origine de nos fonds en nous adressant directement à nos utilisateurs. Il est aujourd'hui possible de faire un don depuis l'application. Convaincre des millions de petits donateurs offre l'avantage de ne pas dépendre d'un ou plusieurs gros donateurs qui pourraient du jour au lendemain changer d'avis en décidant de soutenir un autre projet. Cela renforce aussi le lien des utilisateurs vis-à-vis de notre service. Nous commençons tout juste à expérimenter ce modèle mais les résultats sont très encourageants.

Parmi les donateurs, on peut citer également Jack Dorsey, cofondateur de Twitter. Comment expliquez-vous ce soutien des personnalités du secteur technologique ?

Nous avons effectivement reçu des dons importants de personnalités qui, à l'image de Brian Acton, sont préoccupées par le respect de la vie privée. Il s'agit souvent de personnes qui ont travaillé dans le secteur technologique et qui partagent notre vision. Ils ont pu voir de l'intérieur le danger que pouvait représenter un business model basé sur une surveillance omniprésente et sur la collecte de données privées. Ils sont conscients du risque de donner trop de pouvoir à de grandes multinationales et souhaitent protéger la vie privée des utilisateurs.

Vous avez lancé début novembre 2022 dernier les "stories" au sein de l'application. L'objectif est-il de faire évoluer Signal vers une plateforme sociale, au-delà de la messagerie instantanée ?

Non, le format Stories reste un moyen de communication. La différence est que vous ne verrez pas sur Signal de publicité ou de contenus créés par des influenceurs comme on peut le voir sur Instagram. Il s'agit ici de contenus créés par vos amis, auxquels vous pouvez réagir. Signal est avant tout un outil de messagerie et de communication et nous n'avons pas l'intention de le transformer en une plateforme de broadcast ou en réseau social. C'est pourquoi nous n'avons pas l'intention d'intégrer de channels, à l'instar de Telegram.

Vous avez commencé à tester en avril 2021 l'intégration de paiement avec notamment le transfert de crypto-monnaies avec MobileCoin. Pour quels résultats ?

Cette intégration du paiement est très expérimentale. Et comme nous avons pour principe de ne pas faire de tracking de ce que font nos utilisateurs, nous n'avons aucun chiffre à partager.

"Signal est une petite structure qui compte une quarantaine de collaborateurs."

Croyez-vous que Signal puisse, à terme, évoluer en une plateforme e-commerce comme WeChat ou bien faciliter les échanges clients-entreprises comme le souhaite Whatsapp ?

Non, car cela impliquerait de mettre en place un business model complètement différent. Pour introduire des fonctionnalités e-commerce, vous devez disposer de certaines autorisations, mais avoir aussi un SAV adapté, un service pour détecter les fraudes, des accords avec les vendeurs et acheteurs, etc. Signal ne dispose pas d'une telle infrastructure. Il faudrait probablement développer une nouvelle organisation, ce qui n'est pas dans nos plans pour le moment. Signal est une petite structure qui compte une quarantaine de collaborateurs. Notre succès vient précisément de notre capacité à rester concentré sur ce que nous faisons très bien.

Certains pays à l'instar de la Chine ou plus récemment de l'Iran ont bloqué l'accès à des outils de communication comme Signal. Quelles sont vos initiatives pour contrer ces blocages ?

Notre engagement est total aux côtés de toutes les personnes qui vivent dans ces pays et qui ont le droit au respect de leur vie privée. Lorsque l'accès à Signal a été bloqué en Iran, nous avons appelé notre communauté sur place à configurer des serveurs proxy. Beaucoup d'actions étaient hors de notre contrôle mais nous avons fait le plus rapidement possible tout ce qui était en notre pouvoir pour permettre aux Iraniens de continuer à communiquer de manière confidentielle. Nous avons notamment publié les instructions et ajouté le support proxy à la version iOS. Nous nous engagerons toujours aux côtés de nos utilisateurs, peu importe où ils se trouvent.

Telegram est souvent perçue comme l'une des applications de messagerie les plus sécurisées. S'agit-il de votre principal concurrent sur ce créneau de la communication privée ?

Même si le marketing de Telegram se tourne beaucoup autour de la confidentialité des données, il faut noter que l'application propose l'encryptage des messages en option et ne l'active pas par défaut.

Meredith Whittaker est la présidente de l'application de messagerie instantanée Signal et siège au conseil d'administration de la Signal Foundation. Cette organisation à but non lucratif a été créée en février 2018 par Moxie Marlinspike et Brian Acton, cofondateurs de WhatsApp. Avant cela, Meredith a été enseignante chercheuse à NYU et dirigé le AI Now Institute qu'elle a cofondé. Elle a travaillé pendant une dizaine d'années chez Google et a fondé l'Open Research Group. Pendant ces années chez Google, elle a également cofondé le M-Lab, une plateforme dédiée à l'open data.