L'appli star BeReal ne convainc pas les professionnels de la publicité

L'appli star BeReal ne convainc pas les professionnels de la publicité Les utilisateurs se multiplient, les marques s'y intéressent, les agences la suivent de près, mais les avis restent mitigés sur les potentiels de l'application… à ce stade.

Avec plus de 53 millions de téléchargements dans le monde (source Sensor Tower, octobre 2022), BeReal revendiquait 10 millions d'utilisateurs actifs quotidiens l'été dernier contre 10 000 dix-huit mois plus tôt. Un boom qui lui a valu le prix App Store de l'application de l'année d'Apple, en 2022. Avec un tel trafic, pas étonnant que les marques s'intéressent à cette nouvelle plateforme star. Mais concrètement, l'exercice reste encore limité et les avis sont très mitigés sur le potentiel de business de cette application.

Le premier frein qui peut décourager les marques d'explorer ce canal sur le long terme, et il est de taille, est le nombre limité d'amis qu'il est possible d'avoir sur BeReal, comme le précise Jean-Baptiste Bourgeois, directeur des stratégies chez We are social, une agence créative spécialisée dans les réseaux sociaux. "Si vous essayez d'ajouter comme amis des marques pionnières sur BeReal, comme Rosalia, Chipotle ou e.l.f cosmetics, vous ne pourrez pas parce que leurs comptes ont déjà atteint le nombre d'amis maximum. Et cela est cohérent avec la vocation de l'application de revenir vers les fondamentaux des réseaux sociaux comme celui de partager ses moments avec ses amis proches", explique-t-il. "On ne peut par conséquent pas considérer BeReal comme un nouveau touch point de marque, c'est sûr : toucher 1 000 followers avec un placement produit n'a aucune valeur", ajoute-t-il.

Inutile donc de se projeter pour l'instant avec du community management en organique, encore moins avec de la publicité, du moins tant que la plateforme elle-même ne proposera pas de format dédié. "Les annonceurs veulent faire des choses pour qu'elles soient vues. Pour le moment cela n'est pas possible sur BeReal, car il n'y a rien de structuré pour les marques", analyse Sophie Noël, directrice générale de Heaven (groupe Hopscotch).

Emulation aux Etats-Unis

Tant que le buzz perdure, dans l'immédiat, la seule possibilité pour les marques chez BeReal est de s'en servir pour faire de beaux coups de com créatifs et des approches de type test and learn. D'autant que BeReal est à la mode, chez les jeunes mais également parmi les influenceurs. Aux Etats-Unis, premier marché de BeReal, l'émulation est déjà bien installée auprès des marketeurs. Un cas souvent cité est celui de Chipotle, une chaîne de restauration rapide tex-mex américaine, qui a incité ses clients à intégrer la marque en tant qu'ami sur BeReal pour bénéficier de coupons de réduction.

"L'effet nouveauté finit toujours par s'essouffler : on en aura vite assez de se prendre en photo"

En France, si les professionnels suivent de près le mouvement, ils restent lucides. Pour Cyril Attias, fondateur et CEO de l'Agence des médias sociaux, le risque pour BeReal, c'est de rater le coche et ne pas se réinventer, comme cela a été le cas pour Clubhouse : "L'effet nouveauté finit toujours par s'essouffler : on en aura vite assez de se prendre en photo, surtout que derrière cela, il n'y a rien. Le vrai sujet pour BeReal est de réussir à conquérir du monde partout sur le globe et surtout de retenir ses utilisateurs sur le long terme. Et pour cela il leur faudra développer de nouvelles fonctionnalités de gamification car l'utilisateur doit voir ce qu'il a à y gagner. Clubhouse n'a pas su maintenir l'intérêt des utilisateurs, ses rooms sont vite devenues des hubs de conversations de troquet."

Car sur BeReal, les utilisateurs sont invités une fois par jour, et à des moments qui varient, à prendre et à envoyer à leurs amis proches une photo de ce qu'ils font à un instant T, sans mise en scène. "Difficile de placer un discours de marque dans ces conditions. Impossible aussi de vendre un espace publicitaire sur une plateforme utilisée de manière occasionnelle", rappelle Cyril Attias.

C'est une notification qui déclenche l'action : les utilisateurs disposent de deux minutes pour le faire dès sa réception. La photo ne peut être prise que via l'application, qui se sert de la fonction double caméra de l'appareil pour montrer à la fois le visage de l'utilisateur et le lieu où il se trouve. En retour, il visualisera les BeReal de tous ses "amis" ayant participé, pris exactement au même instant. Au menu : pas de retouche possible, l'utilisateur ne pouvant intégrer qu'une légende s'il le souhaite.

"Le plus intéressant chez BeReal, c'est sa ligne éditoriale anti-médias sociaux qui répond à un vrai besoin", analyse Jean-Baptiste Bourgeois. "Les gens surconsomment les réseaux sociaux et ils en ont assez de voir les mêmes influenceurs dans les mêmes endroits avec leurs photos parfaites raconter les mêmes histoires pour placer les mêmes produits selon un schéma publicitaire ultra léger et fantasmé", schématise-t-il. "Au début du social, les marques étaient simplement incarnées par leurs community managers, des gens qui nous ressemblaient, auxquels on croyait et qui répondaient quand on les sollicitait", ajoute-t-il.

BeReal se socialise sur les autres réseaux sociaux

Mais ce tableau est en train d'évoluer. "La gen Z commence à détourner BeReal, et si le moment où ils réceptionnent la notification ne les arrange pas, ils ne répondent pas et postent plus tard leur photo, quand ils auront eu le temps de bien se relooker pour l'occasion", résume Sophie Noël. De plus, tout n'est pas si "anti" que cela chez BeReal : les BeReal peuvent être partagés sur tous les réseaux sociaux et applications de messagerie, les utilisateurs peuvent commenter les BeReal des autres, y compris à travers des émojis, et le réseau fonctionne également en mode public, l'utilisateur pouvant laisser l'application (et donc ses algorithmes) présenter sa photo dans le fil de l'onglet "discovery".

En France, les marques se contentent pour l'instant de reproduire la "grammaire" BeReal, avec notamment la photo verticale en mode double objectif qu'elles explorent sur leurs stories sur Instagram et Twitter. Ce qui n'empêche pas certains professionnels de commencer à identifier des opportunités potentielles concrètes à l'avenir : "Au moment du deuxième but de l'égalisation de la finale de la Coupe du monde par l'équipe de France, comme par hasard, tout le monde a reçu la notification BeReal… On peut donc imaginer un usage potentiel de l'application très intéressant lié aux événements. Peut-être qu'à la prochaine finale de la Ligue des Champions ou du Super Bowl une marque pourra s'y intégrer en sponsorisant par exemple la notification de BeReal ?", songe Jean-Baptiste Bourgeois.