Vanessa Bouchara (Bouchara & Avocats) "Seules certaines œuvres co-créées par l'IA et l'humain pourront générer des droits d'auteur"

Pour cette spécialiste en propriété intellectuelle, la jurisprudence devra répondre au cas par cas sur les questions de propriété intellectuelle des créations par IA. Le sujet est beaucoup plus épineux pour les bases d'entraînement.

JDN. Comment analysez-vous la décision du Copyright Office aux Etats-Unis de considérer que les images créées avec des outils d'IA générative ne sont pas protégées par le droit d'auteur ?

Vanessa Bouchara, spécialiste en propriété intellectuelle. © VB

Vanessa Bouchara. La question qui se pose dans ce cas est la suivante : est-ce la personne ou bien l'IA qui a créé le contenu ? Dans sa publication du 16 mars, le Copyright Office, organisme qui gère le droit d'auteur aux Etats-Unis, a publié ses guidelines sur le sujet. Quand on se sert de l'IA pour créer du contenu quel qu'il soit (texte, image, audio, etc.), peut-on se revendiquer auteur de ce contenu ? Le Copyright Office dit que non, car ce qui génère le droit d'auteur, c'est l'intervention humaine dans le processus de création. Ce principe de base relevé comme étant essentiel est à mon sens tout à fait en cohérence avec ce que dit le droit français. En France, c'est l'empreinte de la personnalité de l'auteur qui génère le droit sur l'œuvre.

Mais comment mesurer cela ?

Seule la jurisprudence peut le mesurer et elle le fait en s'interrogeant sur ce qui relève d'une volonté de l'auteur de créer quelque chose de spécifique. En France, quand on engage des procédures pour revendiquer le droit d'auteur, il est nécessaire d'expliquer le cheminement intellectuel et artistique de l'auteur et ce qu'il a entrepris pour arriver à son œuvre. Le Copyright Office indique que pour qu'un contenu généré par IA puisse être protégé, il faut une intervention humaine dans le processus et la protection ne s'appliquerait qu'à la partie relative à l'intervention humaine. Or, il est difficilement acceptable que le droit d'auteur soit reconnu à une machine : l'IA n'entreprend pas de cheminement intellectuel ou artistique. Rappelons qu'en France, ce qui est essentiel, ce n'est pas l'idée, mais la création de l'œuvre : sous réserve d'originalité, le droit revient à la personne qui réalise matériellement l'œuvre définie sur un support matériel – et non à celle qui a eu l'idée.

Que dire alors des prompts hyper détaillés préparés par les équipes créatives d'une agence ou par des artistes, qui précisent à l'IA de très nombreuses exigences pour déboucher sur le résultat souhaité ?

C'est sans doute là toute la subtilité de cette question, à laquelle la jurisprudence devra répondre au cas par cas ces prochaines années. Si on considère que le prompt relève d'une idée et que ses instructions ne contribuent pas vraiment à la matérialiser, ce ne sera pas suffisant pour générer du droit d'auteur. En revanche, si les consignes et les instructions sont extrêmement précises et permettent d'aboutir à une œuvre que la personne a ensuite modifiée pour in fine y intégrer sa personnalité, cette œuvre sera susceptible de protection. Mais il faudra être très précis pour prouver chaque instruction donnée et pour tracer l'évolution de chaque demande et de son propre apport par rapport au résultat final. Le tout pour démontrer l'empreinte créative de la personnalité de l'auteur. C'est en tout cas comme cela, je pense, que ces questions seront perçues par les tribunaux, en accord avec la jurisprudence habituelle sur l'originalité ou l'empreinte de l'œuvre, soit le "comment", la logique qui a permis d'arriver à l'œuvre. Dans le cas des œuvres générées avec l'IA, la personne devra démontrer au juge la part de son apport. A mon sens il pourra y avoir du droit d'auteur sur des œuvres co-créées par l'IA et par l'humain.

"Une inspiration ou une tendance ne peuvent être assimilées à de la contrefaçon"

Que savons-nous à ce stade sur la protection des contenus soumis au droit d'auteur qui composent les bases d'entraînement des IA ?

Les débats sont en cours, il faudra attendre les décisions qui seront prises ces prochaines années. Mais on peut déjà se poser une question : dans quelle mesure peut-on s'inspirer sans copier ? Une personne peut-elle créer un contenu distinct et indépendant des œuvres soumises au droit d'auteur qui nourrissent la base générale de l'IA ? Une inspiration ou une tendance ne peuvent être assimilées à de la contrefaçon. Or, il faut qu'une contrefaçon soit constituée pour que cela relève d'une atteinte au droit d'auteur. Si les outils d'IA sont paramétrés de telle sorte que l'on soit dans l'inspiration et non dans la copie, à mon sens le contenu pourrait ne pas être considéré comme une copie du droit antérieur. Mais ces questions ne seront pas simples à trancher, elles vont encore s'affiner ces prochaines années avec les décisions des juges, car en France la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances, soit une reprise des éléments forts de ce qui constitue le droit d'auteur, et ces considérations sont subjectives. Se posera aussi la question de qui sera responsable en cas de contrefaçon, si c'est l'éditeur de l'IA ou son utilisateur.

A vous entendre, le droit de la propriété intellectuelle en France fournit déjà toutes les réponses aux questions soulevées par l'usage de l'IA générative.

En tout cas notre droit nous fournit toutes les bases de réponse. Ce sont des règles assez générales qui nous permettent de nous positionner dans ce nouveau carcan. Il laisse un espace assez large à l'interprétation et à la jurisprudence. La législation pourrait en revanche évoluer pour poser des mots sur le sujet et parler ouvertement sur l'IA, voire encadrer certaines situations. A titre d'exemple, le Copyright Office indique clairement qu'une personne ayant réalisé une œuvre avec de l'IA doit le déclarer. Cela est très important pour la transparence, et le sujet de la transparence est central en matière d'IA générative. En France nous n'avons pas de Copyright Office, mais un droit d'auteur qui naît de la création et qui peut être prouvé par tout moyen. La législation ne pourra certainement pas  anticiper toutes ces situations. Ce sera évalué au cas par cas.