La vidéo, enjeu de souveraineté numérique

La vidéo c'est 80% des flux web, 30% du temps des cadres. Mais la vidéo s'est aussi 80% d'offres américaines, et la destruction de notre indépendance. Retour sur image…

Merde in France !

Désolé pour ce sous-titre emprunté à Jacques Dutronc (et Cambronne), mais le bilan français n’est pas fameux : il semble presque que nous nous soyons rendus sans combattre…

Coté SVOD, les offres de cinéma en ligne souffrent face Netflix qui truste plus de 50% du marché français. Et comme le note Alain Le Diberder avec la fin du projet Salto, c’est « Le Waterloo de la SVOD française ».

Coté plateformes vidéo, les pertes faramineuses de Dailymotion ou à moindre niveau de Livestorm, la faillite de CanalWeb, la vente in-extremis de Molotov et de très nombreuses cessions de startups vidéo… tout cela forme depuis 20 ans un triste « tableau de la méduse » avec le drapeau tricolore en signe de détresse.

Il faut dire que l’offre gratuite de Youtube n’aide pas, elle exerce une pression extrême sur les acteurs du marché. Mais l’explication tient aussi aux faits qui ne semblent choquer personne : les sites Web de l’Elysée, des Ministères et d’institutions publiques font un usage intensif de Youtube, puisque c’est pas cher…

Et dans les écoles du numérique, les formations vidéo commencent d’ailleurs par la prise en main de Youtube et dans le milieu audiovisuel c’est Adobe Premiere, bref des logiciels américains sont au menu « Best off pratice » de même que dans les CCI et à Pôle Emploi.

Alors espérons juste que c’est du pied gauche, et que les choses vont aller mieux, qu’on va se réveiller…

La vidéo, splendeur et dépendances

98% des flux internet transitent par les câbles sous-marins qui appartiennent en majorité aux Big Tech. Amazon en possède 2, Microsoft 4, Meta 15 et Google 21 dont 7 à titre de propriétaire exclusif avec « l’aimable autorisation » de la Federal Communications Commission (FCC) des États-Unis…

Comme l’observe Ophélie Coelho, chercheuse en géopolitique, « en France il y a 23 câbles sous-marins. La France est la porte de l’Europe pour les connexions transatlantiques. Si on avait les serveurs et les logiciels en France on aurait besoin de moins de câbles sous-marins … au final on pourrait se passer de la dépendance à ces réseaux câblés »

En plus, aujourd’hui 14 % des services cloud dans l’UE sont produits par des entreprises européennes, constat de dépendance que la présidence espagnole au conseil de l’Union traduit ainsi : « l'UE devrait renforcer ses infrastructures de connectivité grâce à de nouveaux câbles terrestres et sous-marins, mais aussi à des satellites, des points d'échange Internet et des centres de données. »

Réduire l’addiction aux Big Techs et renforcer nos infrastructures est donc urgent. Comme le relève l’ARCEP 54% du trafic internet en France provient de quelques acteurs dont Netflix (19,7%), Google (10,5%), Meta (8,2%), Amazon (7%). Et le trafic internet global France ne cesse d’augmenter : +21,5% par an.

En résumé, la vidéo fait exploser le trafic internet et le business des européens diminue, cherchez l’erreur… 

La vidéo et l’innovation en Europe

Vous ne verrez pas d’appel d’offre en France (et en Europe) incitant au financement de plateformes ou solutions technologiques de vidéo ou visio européennes, sauf à la marge… 

Par exemple depuis 20 ans les programmes européens d’aide (Media Europe, Creative Europe) sont associés à la promotion de programmes audiovisuels, ce qui permet même de financer des projets SVOD qui utilisent des Clouds américains (Amazon ou autre) pour leur diffusion, un comble !

De même en France, des Jeunes Entreprises Innovantes et projets de Crédit Impôts utilisent massivement Google, Amazon, Azure pour leurs « travaux d’innovation » convertissant nos finances publiques en support d’abonnements Cloud américain. Il suffirait d’une règle fiscale, mais à quoi bon compliquer…

Pourtant financer des Deeptech vidéo et solutions Cloud européennes serait stratégique au vu de la qualité des ingénieurs français, quelques exemples : VLC le player vidéo créé à l’Ecole Centrale ou FFMPEG l’outil de transcodage vidéo créé par Fabrice Bellard, utilisés mondialement…

Contrairement à ce que pensent la majorité des décideurs, politiques, investisseurs, la vidéo est un sujet stratégique. D’ailleurs quelques entrepreneurs visionnaires dont Bernard Arnault ont investi dans Google, Netflix et un peu à la marge dans des entreprises françaises du numérique et de la vidéo.

Pendant ce temps les innovations sont ailleurs, de nouvelles solutions open source fleurissent aux USA proposant de révolutionner la vidéo en temps réel (WebRTC) en réduisant la consommation de bande passante, unifiant les protocoles vidéo.

Pendant ce temps-là en Europe, en France, on bricole avec des briques WebRTC open source extra européenne comme Jitsi ou Big Blue Button qui consomment 36 flux pour 6 participants alors que les recherches récentes permettent de réduire de 2,5 à 10 fois la facture énergétique et l’occupation de nos réseaux…

Plus que 7 ans pour boucler le plan Europe 2020-2030, il faut agir, considérer sérieusement l’entier de l’écosystème technologique TIC : Technologies, Infrastructure, Cloud.

La vidéo un enjeu crucial pour la sécurité et l’écologie

Pour une grande entreprise ou organisation qui souhaite sécuriser des échanges (meeting) et contenus audiovisuels (vidéo) le choix est réduit à peau de chagrin. Seules quelques entreprises en Europe sont capables de maîtriser les technologies vidéo et réseau en apportant une gamme de fonctions (logiciels).

Pourtant déployer une solution de réunion visio (pour quelques personnes) et/ou de diffusion vidéo en direct (pour des centaines d’usagers) n’est pas chose aisée si l’on souhaite un usage sans reproche en mode hybride (intranet et web) et conformes à la sécurité du système d’information.

Preuve en est, les DSI ne connaissent mal les stratégies des logiciels vidéo et imposent très rarement leurs règles internes de sécurité. Perçoivent-elles que ces solutions (WebRTC) connectent les postes entre eux, et procèdent à une « découverte réseau » et des « résolutions NAT » ?

Coté écoresponsabilité et congestion réseau (intranet) le tableau est encore plus flagrant. Quelles DSI connaissent le diagramme des flux vidéo lors d’un meeting vidéo ? Savent-elles que 30 à 50% des flux sont diffusés inutilement et que des solutions plus adaptées existent ?

Le terme « civilisation de l’audiovisuel » semble nous correspondre, mais il reste encore un long chemin à parcourir avant de maitriser la vidéo qui reste encore le plus souvent un usage sans réelle expertise, sans maitrise de sécurité, sans démarche d’écoresponsabilité.