Les annonceurs doivent-ils s'inquiéter du virage "payant" de Meta ?

Il est bien trop tôt pour y voir une remise en cause du modèle publicitaire du groupe.

Récemment lancées en Europe, les offres d’abonnement payant à Facebook et Instagram marquent un changement d’approche de la part de Meta : désormais, ses utilisateurs peuvent accéder à des versions sans publicité de ses services. 

Les offres d’abonnement sur les réseaux sociaux n’ont rien de nouveau : Youtube propose une version Premium (comprendre “sans publicité”) depuis 2014. Elle est aujourd’hui commercialisée à 12,99€ par mois, avec une offre à 7,99€ pour les étudiants. C’est sensiblement du même ordre que ce que propose désormais Meta à ses utilisateurs, avec son offre à 9,99€ (et 12,99€ lorsqu’elle est souscrite sur mobile). 

Un revirement symbolique

De fait, Meta s’inscrit dans une tendance très actuelle : les réseaux sociaux cherchent à diversifier leurs sources de revenus, au-delà de la publicité. Chez Twitter (aujourd’hui X), l’offre Twitter Blue existe par exemple depuis 2021. Elle a été renforcée sous l’impulsion d’Elon Musk et se nomme désormais X Premium. De son côté, Snapchat a lancé Snapchat + en 2022. Et TikTok teste actuellement sur certains marchés une offre sans publicité, facturée 4,99 $ par mois.

Là où la décision de Meta marque les esprits, c’est qu’elle donne l’impression de revenir sur une promesse historique de Facebook : “c’est gratuit et ça le restera toujours”, un slogan qui a disparu de la page d’accueil du site dès 2019. Mais ce revirement reste avant tout symbolique : avec plus de 98% de ses revenus issus de la publicité, Meta ne va pas révolutionner son modèle économique du jour au lendemain.

Une réponse à un durcissement de la régulation

En fait, le lancement de cette offre sans publicité par Meta illustre peut-être même tout le contraire : un renforcement du modèle publicitaire du groupe. Si Meta lance cette offre, c’est avant tout en réponse à la régulation européenne en matière de protection de la vie privée et de collecte des données personnelles. En particulier, cela lui permet de se mettre en conformité avec la loi européenne sur les services numériques (Digital Services Act), entrée en vigueur le 25 août 2023, ainsi qu’avec les diverses législations et jurisprudences européennes en matière de privacy.

En effet, depuis la mise en application du RGPD en 2018 et les différentes décisions qui ont suivi, la collecte de données personnelles à des fins publicitaires est de plus en plus complexe pour les plateformes. Cette complexité est encore renforcée par des décisions techniques de la part d’Apple, sur iOS, et Google, avec Chrome, qui conduisent à la fin progressive des cookies tiers.

Le calcul de Meta est simple : en conduisant ses utilisateurs européens à faire un choix entre une offre d’abonnement sans publicité et une version gratuite, mais conditionnée à la collecte de données, la plateforme obtient de leur part un consentement explicite, indispensable pour continuer à leur adresser de la publicité ciblée.

Et si les annonceurs en sortaient gagnants ?

D’ailleurs, pour l’heure, Meta ne semble pas mettre d’efforts particuliers en marketing pour “pousser” son offre payante : elle semble avant tout destinée à inciter les internautes à choisir activement de conserver l’offre avec publicité. Les annonceurs devraient donc en sortir finalement gagnants, puisqu’ils vont continuer à bénéficier d’un large bassin d’audience qualifiée et adressable via les plateformes et outils de Meta.

Les annonceurs pourraient toutefois craindre une hausse des CPM si les volumes d’inventaires publicitaires disponibles diminuent. Mais tant que Meta n’intensifie pas ses efforts pour promouvoir l’offre payante, tout porte à croire que l’offre d’abonnement devrait n’avoir qu’un impact marginal. Si on prend l’exemple de Youtube Premium, qui a une proposition de valeur très proche des abonnements à Instagram et Facebook, au bout de 10 ans, moins de 4% de la base d’utilisateurs mondiale a été convaincue par l’offre payante… en dépit de formats publicitaires (les vidéos non-skippable) bien plus intrusifs que ceux de Meta.

Conséquence : pour les annonceurs, ce mouvement ne devrait pas avoir d’implications majeures à court et moyen terme.